Pendant six ans, il a été le chauffeur attitré de Harvey Weinstein pendant le festival de Cannes. Mickaël Chemloul, 57 ans, a décidé de relater cette expérience ultime à travers un récit saisissant dans lequel le producteur se révèle plus répugnant que jamais. Soit un livre savoureusement vengeur écrit par un homme blessé.
Propos recueillis par Sylvain Monier
Votre collaboration avec Harvey Weinstein prend acte à quel moment ?
En mai 2008. Je ne le connaissais pas, même si des anciens du métier m’avaient un peu parlé du lui. De cette histoire, notamment qui s’était passée à Saint Paul-de-Vence vers 93 ou 94, quand Harvey venait de gagner la Palme d’or avec Pulp Fiction. Cette soirée avait tellement dérapé que Harvey avait fait l’amour à une actrice française sur le capot d’une bagnole devant les autres invités. Les témoins de cette scène sordide n’ont jamais réellement su si c’était un viol ou non. Les années 90 ? c’était vraiment les années d’Harvey. Cannes était un lieu où toutes les frasques étaient possibles puisque carrément encadrées par la police. C’est ce soir-là, qu’il a décroché son surnom : « Le gros porc ». C’était l’époque des Hot d’or où tout le monde se battait pour y participer. Harvey adorait ce genre d’événement, forcément.
« Vous savez, Harvey possède ce don particulier d’hypnotiser les gens. Résultat, le milieu du cinéma l’adulait. Il était comme le gourou d’une secte qui nous ensorcelle, qui aspire votre énergie. »
Mickaêl Chemloul avec Jean-Paul Belmondo à Cannes © DR
Aujourd’hui Harvey Weinstein est cloué au pilori. Or du temps de sa toute puissance, les gens connaissaient parfaitement ses agissements. N’est-ce pas un peu le bal des faux-culs, cette affaire ?
Vous savez, Harvey possède ce don particulier d’hypnotiser les gens. Résultat, le milieu du cinéma l’adulait. Il était comme le gourou d’une secte qui nous ensorcelle, qui aspire votre énergie. Quand il arrive, il monopolise la conversation, vous n’avez pas le d’autre choix que celui d’abonder dans son sens. Sinon, il vous détruit. Aujourd’hui, l’industrie lui a tourné le dos, j’ai lu dans le New York Times que Brian de Palma veut même faire un film vengeur sur lui, il l’a déjà écrit, je crois : The Predator. Le réalisateur de Scarface qui va faire un film sur Harvey ? J’attends cela avec impatience.
La première fois que vous l’avez vu, qu’avez-vous pensé de lui ?
Je l’avais trouvé maladif. Il se déplaçait avec difficulté, il portait la trace d’une trachéotomie et avait un anneau gastrique… Je me suis dit : « C’est un papy ! Ça ne peut pas être un violeur ». Après, j’ai vite compris qu’il ne fallait pas se fier aux apparences. Malgré l’anneau gastrique, par exemple, il continuer de s’empiffrer des M and M’s, Tic-Tac, sushis… tout ce qui passait, il se l’envoyait comme un ogre.
« Harvey ne rigole pas, il gueule 95 % du temps. J’étais obligé de faire le dos rond, de dire qu’il avait raison surtout quand il avait tort. Il était atteint d’agoraphobie, la foule le rendait suffocant, transpirant… »
Très vite vous avez su vous rendre indispensable…
Je faisais bien l’affaire. Je connaissais bien la région, j’anticipais, j’évitais les embouteillages. Je me débrouillais pour qu’il arrive en avance. Après, j’avais effectivement les oreilles qui traînaient car les limo, c’est comme un salon ambulant. Vous devenez peu à peu un factotum qui ne moufte pas.
Est-ce un homme qui a de l’humour ?
Avec les intimes mais pas avec moi. Harvey ne rigole pas, il gueule 95 % du temps. J’étais obligé de faire le dos rond, de dire qu’il avait raison surtout quand il avait tort. Il était atteint d’agoraphobie, la foule le rendait suffocant, transpirant… Il partait alors en trance. En conséquence, il s’impliquait dans ma conduite en m’ordonnant de griller des feux rouges, par exemple, et je me questionnais alors en mon for intérieur : « Mais pourquoi j’accepte tout ça ? »
Mickaël Chemloul avec Tim Burton à Cannes © DR
Au niveau des émoluments ça se passait comment ?
Au début, j’étais l’employé d’une boîte de chauffeurs puis très vite, j’ai monté ma propre structure. Harvey était mon principal client, il représentait 70 % de mon chiffre d’affaires. Le problème était qu’il payait en retard. Je recevais d’abord un acompte et c’est seulement en avril que la Weinstein Company lançait le solde pour me réengager en mai pour le Festival. Et ainsi de suite chaque année. Il procédait de la même manière avec les actrices finalement. Elle devait lui faire « une avance » si elles voulaient le grand rôle. Bon, il faut reconnaître que le mec tenait sa parole. La promotion canapé, ça a toujours existé à Hollywood. Il n’a rien inventé, Harvey.
« Nicole Kidman était son actrice fétiche… Son grand truc ? c’était les femmes mariées avec des enfants. Ce mec est un grand malade sexuel, il aurait dû faire du porno. »
En lisant votre livre, on croit comprendre que Nicole Kidman était une « amie intime » de Weinstein…
Nicole Kidman était son actrice fétiche… Son grand truc ? c’était les femmes mariées avec des enfants. Ce mec est un grand malade sexuel, il aurait dû faire du porno.
Au fur et à mesure, une sorte de lien s’est-il tissé entre vous ?
Oui, au début, comme je faisais bien mon travail, il était plutôt content et parfois sympa. Je dois dire que j’ai appris plein de trucs à son contact : comme faire un contrat, comment parler à un banquier, quels sont les ingrédients pour faire un bon film… Comme je suis autodidacte, j’étais à très l’écoute. Les trois premières années avec lui, j’ai les ai adorées. Dieu était avec moi. Je ne me prosternais pas à ses pieds mais presque !
Mickaël Chemloul avec Harvey Weistein à Cannes © DR
Est-ce qu’à un moment ou un autre Harvey vous a contraint à tomber dans l’illégalité ?
Non, je n’étais pas un rabatteur. J’allais chercher des « invitées », nuance. L’illégalité ne regardait que lui. Ça faisait 30 ans qu’il était dans ce business, il possédait ses propres réseaux pour les petits « remontants » et je n’assistais pas à ses orgies.
Les employés de la Weinstein company ont porté plainte contre lui. Certains étaient obligés de lui fournir des préservatifs, des cachets de viagra… Il y avait même une assistante pour laver les canapés après les ébats…
Je suis un type assez pudique et il savait qu’il ne fallait pas me faire entrer là-dedans, que ça n’allait pas fonctionner. Comme tous les grands manipulateurs, il « ressent » bien les gens.
« Les deux filles le plantent et il m’accuse alors de tous les maux. Il venait de s’envoyer une pilule de Viagra qui lui a fait péter littéralement les plombs. Totalement hors de contrôle, il se met à me frapper les bras, les côtes… alors que je suis en train de conduire ! »
En juin 2013, Harvey dérape gravement en s’en prenant à vous physiquement…
Nous sommes alors à Saint Tropez, Harvey a commandé deux escort-girls pour les ramener à son hôtel Byblos. Les deux filles le plantent et il m’accuse alors de tous les maux. Il venait de s’envoyer une pilule de Viagra qui lui a fait péter littéralement les plombs. Totalement hors de contrôle, il se met à me frapper les bras, les côtes… alors que je suis en train de conduire ! J’ai arrêté la bagnole et je l’ai menacé d’arrêter ou sinon je plantais l’automobile dans un virage… Notre collaboration prenait fin à cet instant-là.
Mickaël Chemloul avec Jean Dujardin après son Oscar pour The Artist, film distribué par la Weinstein Company aux Etats Unis © DR
Que s’est-il passé ensuite ?
Un long trou noir. J’étais psychologiquement en état de choc. J’ai fait une dépression et j’ai compris que j’avais subi un harcèlement quotidien pendant six ans. J’ai porté plainte mais ça n’a servi à rien. Harvey, depuis l’Oscar pour The Artist était devenue une icône en France, les journalistes en faisaient des caisses. Vers 2012, il ne touchait plus terre, Nicolas Sarkozy lui avait même remis la Légion d’honneur ! C’est dingue quand on y pense…
C’est quoi le problème d’Harvey selon vous
C’est un sex addict. Mais pas dans le genre Michael Douglas qui lui est plutôt un bel homme. Harvey est laid voire répugnant, il a dû essuyer un maximum de râteaux avant d’acquérir son pouvoir. Sa « sex addiction», je la vois comme une revanche sur les femmes qui le repoussaient avant qu’il acquiert ce statut de nabab hollywoodien tout puissant.
« Soudain Weinstein qui me lance : « Tu as vu où ton comportement t’a mené ? Si tu avais fermé ta gueule tu serais resté avec moi ! »
Vous l’avez revu depuis ?
A Cannes en 2014, j’étais le chauffeur de Rob Lieberman de Lionsgate et Damien Chazelle. Et là, en les attendant je vois l’équipe d’Harvey et son nouveau chauffeur qui me saluent de loin. Derrière eux apparaît soudain Weinstein qui me lance : « Tu as vu où ton comportement t’a mené ? Si tu avais fermé ta gueule tu serais resté avec moi ! » Et puis il est parti.
Le démon de la Croisette de Mickaël Chemloul
éd. BakerStreet (271 pages, 21 €)