Climax
Par Marc Godin
De la danse, des filles, de la sangria… En 90 minutes, Gaspar Noé passe du paradis aux enfers, avec un very bad trip absolument stupéfiant. Plus qu’un film, une expérience de cinéma.
Quand je suis sorti de Climax, je n’ai pu m’empêcher de penser que Gaspar Noé aurait tout à gagner à collaborer avec un (bon) scénariste : il pourrait alors structurer ses histoires, bosser la narration et ses personnages, partir vers de nouveaux horizons, se colleter à des thèmes différents (il a peut-être fait le tour de son sujet de prédilection, nous ne sommes qu’un bout de viande), se renouveler.
J’avais tout faux car le génie de Noé réside exactement dans la répétition de sa fulgurance formelle, de la recherche du trip hypnotique, de ses scénarios prétextes, du labourage du même sillon extrême. Car depuis 20 ans, Gaspar Noé le visionnaire excelle dans le trip hallucinatoire, le cinéma sous influence (Stanley Kubrick, Kenneth Anger, David Lynch, David Cronenberg…) et, comme ses maîtres, renouvelle le langage cinématographique.
Alors oui, ses personnages pourraient être moins clichés, ses films moins provos (le viol de Monica Belucci dans Irréversible, l’éjaculation vue de l’intérieur du vagin dans Love), plus ramassés, mais ne perdrait-on pas ce qui fait le génie de Noé, le cœur de ses odyssées psychédéliques ?
Des corps en mouvement
Climax, son nouveau bébé, est un best of de son cinéma, un remix. Un objet fulgurant, étrange et saisissant, dont il faut livrer le moins de clés possible au spectateur. Si Gaspar tourne un long-métrage tous les cinq ans, il a bouclé le tournage-guérilla de Climax en 15 jours, sans scénario, avec des dialogues improvisés et des comédiens non professionnels.
Le film commence par la fin, puis comme un nouveau volet de Sexy Dance, avec des jeunes gens de toutes origines, très légèrement (dé)vêtus, qui s’éclatent sur le dancefloor en dansant le krump et le hip-hop. Mais bientôt le formaliste le plus inspiré de l’hexagone met la misère à tous les cinéastes qui ont jamais filmé une scène de danse.
© Wild Bunch Distribution
Pendant 30 minutes, les corps en mouvement s’envolent, vibrent, pulsent, la caméra fonce, s’élève… C’est merveilleux, la quintessence du génie cinématographique de Noé, c’est sexy et orgiaque, le désir fuse, la tension monte, et chaque spectateur normalement constitué ne peut que taper du pied, frémir de plaisir et bientôt entrer dans la transe, soutenu par la musique de Gary Numan (un remix d’Erik Satie), Giorgo Moroder, Cerrone ou Daft Punk… On n’est plus dans un ciné, mais au cœur d’une rave !
Simplement phénoménal
Mais on est également chez Noé et on sent bien que l’extase ne va durer qu’un temps. De fait, un petit malin verse de l’acide dans la sangria, oui, oui. Et dans une seconde partie symétrique à la première, la fête des sens va se transformer en jeu de massacre.
Le good trip se métamorphose alors en very bad trip et le spectateur se recroqueville alors que les coups pleuvent (sur une femme enceinte, comme dans Seul contre tous), les couteaux s’affutent et que les danseurs plongent dans les ténèbres. Noé cite le 2001 de Kubrick, Schizophrenia, un de ses films préférés, Suspiria de Dario Argento… On se retrouve plongé dans un film de zombies, le directeur de la photo Benoît Debie éclaire le 7e cercle des enfers avec des lumières de sécurité (mais c’est Noé qui fait le cadre, avec de courtes focales), la chronologie s’emballe, l’hystérie gagne les différents protagonistes et l’on se retrouve à l’agonie, abasourdi par le déferlement de violence, de décibels, des corps qui saignent et convulsent.
J’en suis sorti laminé, la tête à l’envers, après cette overdose qui vous fait passer du paradis aux enfers.
Gaspar Noé, qui ne s’est jamais remis de son trip à l’ayahuasca avec Jan Kounen, est le dealer du 7e art, le plus grand fournisseur de paradis artificiels et de trips hardcore. Ici, il filme la montée orgasmique puis la descente hallucinogène, et parvient même à nous faire ressentir le manque.
J’espère juste qu’il ne faudra pas attendre 5 ans avant d’avoir une nouvelle dose…
Date de sortie : 19 septembre 2018 – Durée : 1h35 – Réal. : Gaspar Noé – Avec : Sofia Boutella, Romain Guillermic, Souheila Yacoub… – Genre : drame, – Nationalité : française
Alors oui, ses personnages pourraient être moins clichés, ses films moins provos (le viol de Monica Belucci dans Irréversible, l’éjaculation vue de l’intérieur du vagin dans Love), plus ramassés, mais ne perdrait-on pas ce qui fait le génie de Noé, le cœur de ses odyssées psychédéliques ? Des corps en mouvement Climax, son nouveau bébé, est […]