Après des années, plusieurs tentatives infructueuses, voici enfin d’adaptation US de Ghost in the Shell. Et bonne nouvelle, le film est une merveilleuse réinterprétation du chef-d’œuvre de Masamune Shirow, une superproduction avec une âme. Rencontre avec l’équipe du film. SPEAK.
Propos recueillis par Marc Godin
Le 21 mars 2017, l’équipe de Ghost in the Shell débarquait en force à Paris : le réalisateur britannique de Blanche Neige et le chasseur, Rupert Sanders, Scarlett Johansson bien sûr, le Danois Pilou Asbæk, vu dans Borgen et Game of Thrones, la Française Juliette Binoche et Michael Pitt. Un Pitt passablement décalqué, qui a passé la conférence à demander s’il répondait correctement aux questions. Des artistes qui citaient respectueusement l’œuvre de Masamune Shirow (pour le manga) et de Mamoru Oshii (pour l’anime), à part Binoche, très éloignée de cet univers cyberpunk et qui a accepté grâce à l’intervention de ses enfants.
Le film est une incroyable réussite, une formidable claque visuelle, doublée d’une belle interrogation sur l’homme et la machine. Pour une fois, Hollywood n’a pas essayé tirer vers le bas, émasculer ou édulcorer l’œuvre originale. Et l’équipe nous a régalé avec une conférence de presse d’un très bon niveau, loin de la langue de bois habituelle.
Pourquoi cette adaptation du manga Ghost in the Shell ?
Rupert Sanders : J’étais à la fac quand j’ai découvert une VHS poussiéreuse de Ghost in the Shell. L’animé m’a vraiment explosé le cerveau, visuellement. J’avais plus l’habitude de voir des nains et des éléphants dans les films d’animation, je n’avais jamais vu rien de tel… Le visuel me parlait, m’inspirait, et l’histoire me paraît encore plus pertinente aujourd’hui qu’à l’époque. Masamune Shirow a vraiment inventé ces histoires de réseaux et d’internet avant que cela n’arrive réellement. C’est le Nostradamus de la SF.
Qu’est-ce qui vous a intéressé dans GTS, l’histoire ou votre personnage ?
Pilou Asbæk : Je ne suis vraiment pas dans une position où je pourrais refuser un projet, c’est moi qui quémande les rôles (rires). C’était un défi majeur car avec Akira, Ghost in the Shell est le plus grand manga jamais créé. Faire partie de cette aventure, c’est s’inscrire dans cette histoire qui se prolonge. Ce tournage était vraiment génial. Mes derniers films au Danemark étaient plutôt d’inspiration Dogma. Et c’était formidable d’incarner ce personnage, ce big guy, d’aller vers un autre univers. J’adore avoir rendu hommage à ces deux grands artistes que sont Masamune Shirow et Mamoru Oshii.
« J’avais ensuite très envie de travailler avec Scarlett et de créer ce rapport, avec des sentiments maternels mais complexes, car mon personnage est loin d’être rose. C’était difficile, complexe, mais c’était une belle marche vers une création commune. » Juliette Binoche
Scarlett Johansson : C’est difficile à dire… Ce fut un long processus entre le début des discussions d’adaptation et le tournage en Nouvelle-Zélande. Ce n’était pas très évident pour moi au départ de comprendre comment on allait transposer un anime qui est un tel chef-d’œuvre, comment en faire une œuvre cinématographique. Si cela avait été une simple transposition, quel intérêt, quelle aurait été ma place ? L’anime est poétique, introspectif mais un peu froid. Petit à petit, cela m’a hanté, l’histoire est restée en moi. J’ai rencontré Rupert qui bossait sur les visuels depuis deux ans. On a commencé à parler et je me suis demandé comment je pourrais rentrer dans la peau de ce personnage du Major. Cela a duré une année et je me suis sentie de plus en plus investie émotionellement. Nous nous sommes regardés et nous nous sommes dits « On y va ? » C’était comme emménager ensemble. C’est ce partenariat créatif qui a scellé notre travail collectif.
Juliette Binoche : C’est univers où l’on ne m’attend pas, c’est probablement pour cela que ça m’a attiré. J’ai le goût de l’aventure et il faut savoir se mettre dans des zones nouvelles. Quand j’ai lu le scénario, je n’ai absolument rien compris. Les codes, le vocabulaire, l’univers : je n’avais pas d’entrées possibles. J’ai dit à Rupert que ce n’était pas un rôle pour moi. Il m’a répondu : « Ne m’abandonne pas ! Je vais te convaincre. » Il est revenu trois fois et j’ai pu discuter avec la scénariste qui allait s’occuper des scènes entre le Major et moi. Ces scènes n’étaient pas encore dans le scénario. Même pendant le tournage, Rupert améliorait le script, c’était une œuvre en mouvement. J’avais ensuite très envie de travailler avec Scarlett et de créer ce rapport, avec des sentiments maternels mais complexes, car mon personnage est loin d’être rose. C’était difficile, complexe, mais c’était une belle marche vers une création commune.
Michael Pitt : C’est quoi la question ? J’ai découvert le manga quand j’étais ado, puis le film d’animation, un truc pour adulte. À l’époque, c’était très underground, pas du tout aussi populaire que maintenant. Je connaissais Rupert, un ami, je savais qu’il était sérieux. J’ai donc dit oui. J’avais vu Under the Skin avec Scarlett, que j’ai trouvé incroyablement authentique. Je réponds bien à la question, là ?
« J’apprends toujours des choses sur moi-même quand je tourne. J’apprends sur mes limites, sur ce qui m’embarrasse, ce qui me gêne. » Scarlett Johansson
Le Major, c’est un cerveau dans un corps qui n’est pas le sien. C’est le même processus pour un acteur pour rentrer dans un personnage ?
Scarlett Johansson : Non, je ne pense pas. Quand vous êtes acteur, votre esprit et votre corps doivent se connecter quand vous jouez. En tant qu’acteur, vos tripes sont votre meilleur outil, comme votre instinct. Le corps est un outil supplémentaire. Le corps et l’esprit doivent être en osmose.
Juliette Binoche : Dans l’éducation occidentale, on sépare le corps et l’esprit. Le travail de l’acteur, c’est celui de la reconnexion, retrouver des sensations pour pouvoir exprimer une idée. Mais cela passe d’abord par le corps.
Le grand thème de Ghost in the Shell est la mémoire, le souvenir. Quel souvenir de ce film pourrait vous servir pour l’avenir ?
Pilou Asbæk : Ne plus accepter un film où l’on perd ses yeux ! Les prothèses, plus jamais !
Scarlett Johansson : Je ne sais pas… J’apprends toujours des choses sur moi-même quand je tourne. J’apprends sur mes limites, sur ce qui m’embarrasse, ce qui me gêne. Ce film a confirmé ce à quoi je crois profondément : il est primordial de collaborer avec un metteur en scène qui est votre partenaire créatif, ce qui est le cas avec Rupert. Ce film a été difficile à concevoir, réaliser, il y avait des tas défis à relever. Cette collaboration avec un réalisateur qui a une vision, mais aussi avec des acteurs investis est indispensable. Rupert aime les acteurs et il avait toujours du temps pour nous diriger.
Juliette Binoche : Le film m’a confirmé qu’il faut toujours être en phase avec ce que l’on ressent. Et il faut l’assumer. En refusant le film tout d’abord, je me suis rapprochée de Rupert. Cela nous a permis d’aller plus loin et transformer cette relation entre le Major et le docteur Ouelet.
Michael Pitt : Il y a eu tellement de moments formidables… J’ai plein de souvenirs, mais je ne les révélerais jamais dans une conférence de presse (rires). Désolé !
« Quand j’ai commencé à travailler mon rôle, j’ai étudié à la fois la spiritualité et la science, car le corps et l’esprit sont intimement liés. Et la question essentielle reste qu’est-ce que l’âme ? » Michael Pitt
Que pensez-vous de l’évolution homme-machine ?
Rupert Sanders : Un jour, Stephen Hawking a déclaré que l’intelligence artificielle était la plus grande mais aussi la dernière invention de l’homme. Nous construisons notre futur, la technologie est en nos mains, nous pouvons modeler l’avenir. Elon Musk a également rappelé que lorsque l’on a commencé à cloner des moutons, les gouvernements du monde entier se sont entendus pour parler réglementation. Ce qui n’est pas le cas avec les intelligences artificielles. J’ai parlé avec une personne qui travaille sur les voitures autonomes, connectées. En cas d’accident, ces voitures auront peut-être à sacrifier le conducteur pour sauver les 5 autres personnes en face, sauver un jeune et sacrifier un vieillard… Les IA ont déjà été programmées pour prendre ces décisions, sans aucune réglementation. Les Tech Industries sont maintenant plus importantes que les gouvernements.
Scarlett Johansson : Je n’ai rien à ajouter à la réponse fascinante de Rupert.
Michael Pitt : De nombreux metteurs en scène se sont déjà posés cette question du rapport home-machine, je pense notamment à Stanley Kubrick pour 2001 L’Odyssée de l’espace. Quand j’ai commencé à travailler mon rôle, j’ai étudié à la fois la spiritualité et la science, car le corps et l’esprit sont intimement liés. Et la question essentielle reste qu’est-ce que l’âme ? J’ai découvert qu’à Berkley, des chercheurs avaient déjà connecté un cerveau au net, et ils étudient comment fonctionnent les réseaux du cerveau. Nous sommes aujourd’hui très proches de ce qui est montré dans le film. J’ai adoré dans notre film ce questionnement entre l’humain et la technologie. Et surtout, que faisons-nous puisque pour le moment il n’y a pas de règles ?