FGKO : « Les exploitants ont peur des débordements »

Fabrice et Kevin, le duo FGKO, viennent de réaliser un film goupillé comme un cocktail Molotov. Ils nous racontent la genèse de Voyoucratie, son tournage commando, sans argent, et leurs galères pour le sortir en salles. SPEAK.

Propos recueillis par Marc Godin

Kevin a 31 ans. Il vient de Melun, la ville de Franck Gastambide, porte une grosse barbe de hipster et parle cash et balance des vannes. Fabrice, 32 ans, est né quant à lui à Courbevoie. Carrure de déménageur, il ressemble à Ben Affleck et pratique frénétiquement les arts martiaux. Les deux sont sympathiques, déconneurs, ils aiment Kubrick, Cameron et Schwarzy. Et l’air de rien, ils viennent de mettre un bon coup de boule au cinéma français avec un film tourné à l’arrache, sans autorisation, pour 100 000 euros.

Quel est votre parcours ?
Kevin : L’école ne m’intéressait pas beaucoup, je préférais faire le con. A 12 ans, mon prof de maths m’a fait découvrir des films comme Elephant Man, des films asiatiques, des films indépendants de Cassavetes, des films que je n’aurais jamais regardés seul. J’étais un peu caillera, je traînais avec les mecs qui faisaient les cons, donc mes parents m’ont envoyé dans une école privée. Même là-bas, je faisais le guignol. Et j’étais toujours passionné par le ciné, j’ai grandi avec Rocky, Terminator 1 et surtout le 2, les films de James Cameron et ceux de Disney. Comme j’étais timide, j’ai fait deux années au cours Florent pour m’ouvrir aux autres et me détendre. Mais bien sûr, je faisais encore le con !
En terminale, mes parents m’ont demandé de décrocher le bac et le permis, avant de me laisser partir pour habiter à Paris. J’ai donc bossé et j’ai obtenu les deux. J’ai essayé la finance, mais je détestais ça et je passais mon temps au ciné. Ma mère m’a fait visiter des écoles de ciné et j’ai atterri à l’EICAR.
Fabrice : Vers 5 ou 6 ans, j’ai découvert le cinéma d’horreur et la science-fiction. Je me souviens de Freddy, Les Gremlins, j’étais sidéré. Vers 12 ans, avec les potes, on faisait de petits films en vidéo. Au lycée, j’ai voulu faire une option cinéma, mais comme j’ai dit que j’adorais Matrix et Terminator, ils ne m’ont pas pris ! C’était plutôt mal vu… J’ai fait un BTS, j’ai été vendeur de matériel photo, mais cela ne me convenait pas. J’ai convaincu mes parents et j’ai fait l’EICAR où j’ai rencontré Kevin.

AL PACINO DANS SCARFACE DE BRIAN DE PALMA, 1983

Fab, un grand mec balèze avec une dégaine un peu comme la mienne. Je lui ai demandé ce qu’il préparait comme scène et il m’a dit que c’était une scène de Scarface, quand Al Pacino plonge la tête dans la poudre.

Parlez-nous de votre école de cinéma.
Kevin : Je suis arrivé à l’EICAR avec une semaine de retard. Il fallait se mettre par groupe de deux et je me suis dirigé vers Fab, un grand mec balèze avec une dégaine un peu comme la mienne. Je lui ai demandé ce qu’il préparait comme scène et il m’a dit que c’était une scène de Scarface, quand Al Pacino plonge la tête dans la poudre. J’étais fou ! Il m’a demandé d’aller acheter un paquet de farine pour faire la cocaïne.
Fabrice : Tout a donc commencé entre nous avec de la farine et Scarface ! L’école nous a donné un cadre, une structure, mais nous n’avons pas appris la mise en scène. C’était assez dérisoire, nous n’avons pas assez touché de matériel, il n’y avait pas assez de pratique… Mais dès que l’on nous proposait quelque chose en dehors de l’école, un clip fauché, on le faisait ! Nous ne sommes même pas allés chercher notre diplôme. Nous avons fait un stage sur Les Cinq doigts de la main, d’Alexandre Arcady, et nous sommes devenus potes avec Pierre Abou, qui est comédien et assistant d’Arcady.

Cela vous plu de bosser sur un tournage ?
Kevin : On a kiffé, on était dans le cinéma, le mec tournait avec trois caméras. C’est ça que l’on voulait faire. Ensuite, on a trouvé un stage chez Hamster publicité, spécialisé dans les pubs gros budgets avec des pointures comme Tim Burton. On s’est fait engager à deux et l’aventure a duré 3 ans ½. Nous étions assistants de production. On a beaucoup appris. Puis l’agence a mis la clé sous la porte et nous nous sommes lancés dans le cinéma. C’était en 2013.

SALIM KECHIOUCHE PENDANT LE TOURNAGE DE VOYOUCRATIE © PIXELLEPHOTO

Salim Kechiouche, sur photos, on le trouvait trop beau gosse, mais on l’a rencontré et cela a été un coup de foudre. Il a grandi à Vaulx-en-Velin et il a eu envie de se confronter à ce genre de personnage qu’il avait toujours refusé.

C’est à l’époque que vous avez écrit Voyoucratie.
Kevin : C’est surtout Fab qui écrit. Je suis son premier lecteur et je rebondis sur ce qu’il écrit.
Fabrice : A l’origine, c’était un court-métrage. On a décidé de foncer. On voulait une gueule mais pas un gars identifié, que l’on ne sache pas s’il était kabyle, de l’Europe de l’Est, un mec comme Vincent Rottiers, qui puisse se fondre dans toutes les communautés. Pierre Abou nous appelé, on lui a donné un rôle, et il nous a présenté Salim Kechiouche. Sur photos, on le trouvait trop beau gosse, mais on l’a rencontré et cela a été un coup de foudre. Il a grandi à Vaulx-en-Velin et il a eu envie de se confronter à ce genre de personnage qu’il avait toujours refusé. Et c’est parti !

Parlez-nous du tournage ?
Kevin : Nous avons tourné à Aubervilliers, Montreuil, la Défense, Stalingrad, Bourg la reine, Malakoff, à Barbès… Nous avons essayé de filmer dans la cité des quatre chemins, à Colombes, où il y avait du deal mais les gars nous ont pris pour des flics. C’était trop compliqué et on n’avait pas le temps. On faisait deux prises, parfois trois et on passait à autre chose. Et parfois on rayait des scènes entières. C’était stressant mais on transformait le stress en énergie. On se disait « Ca va le faire, on se débrouillera au montage ».
Fabrice : On était une vingtaine dans l’équipe de tournage, parfois, la nuit, nous étions seuls avec le cadreur. C’était crevant, un tournage guérilla, sans fric, sans autorisation.
Kevin : On a tourné 10 jours. On a commencé à monter notre film et on a fait une bande-annonce que l’on a balancé sur le net. On a eu 50 000 vues avec des commentaires déments ! Et on a eu envie de continuer, pour étoffer le court. On a essayé d’avoir du matériel, Salim partait tourner avec Kechiche… On est reparti en tournage avec moins d’argent, mais on essayait de montrer une autre facette du personnage principal.
Fabrice : La sœur de Clotilde Courreau, Camille, nous a aidé sur la production. Il nous restait 40 minutes à tourner. On est repartis sur le scénario six mois pour combler les blancs. On a eu une partie du financement par Arte et Salim connaissait un mec qui voulait se lançer dans le cinéma et qui a décidé de nous financer un peu. Sur le tournage, on arrachait parfois des pages du script car nous n’avions pas assez d’argent, notamment pour les scènes d’action avec des flingues.

Il s’est passé plusieurs années entre la fin du tournage et la sortie.
Kevin : En 2015, on a fait que galérer avec des tracasseries administratives, c’était râteau sur râteau. En mars 2016, on a présenté notre film au festival de Manchester, avec un DCP sous-titré sous le bras, et on a reçu 4 prix là-bas : meilleur acteur, meilleur film, meilleurs réalisateurs, et film du festival. C’en était presque comique ! On s’est dit que l’on avait peut-être quelque chose.
Fabrice : On a enfin trouvé un distributeur, La 25e heure, et ça a pris encore des mois pour trouver les agréments et la sortie salle.

Avec vos comédiens, vous n’avez pas eu peur que l’on vous accuse de stigmatiser une communauté ?
Fabrice :Des comédiens d’origine maghrébine, comme Ichem ou Abel sont venus spontanément vers nous. Il y a déjà eu Un prophète, Ma 6-T va crack-er, La Haine ! Mais ce que l’on montre, c’est que c’est un milieu dur, le déterminisme social, l’environnement qui plonge les mecs dans la violence. Et c’est la réalité, le milieu maghrébin existe, comme le mafia Corse.

PUSHER de Nicolas Winding Refn, 2006 © Ninety Seven Film Production & Distribution

Pusher fait partie de nos influences, j’ai été marqué au fer rouge par ce film. Cette façon de montrer la petite délinquance, j’avais l’impression de n’avoir jamais vu ça en France. Un prophète a été une grosse claque, Mean Streets, de Martin Scorsese, aussi..

C’est difficile d’être en empathie avec votre héros. On n’a pas envie de le croiser dans la rue.
Fabrice : On est réalistes, mais ce mec a aussi un fond d’humanité. On a croisé ce genre de mec, notamment au Mouvement de réinsertion social. Des mecs comme cela, il y en a plein, ils sont dans la nature ! Si tu veux faire voir la street, la banlieue, la misère, il faut être sans concession. Ca va peut-être déranger, mais nous avons a été honnêtes.

Votre vision de la banlieue, La Haine à côté, c’est du Disney.
Kevin : Je le prends comme un compliment. Nous nous sommes documentés, nous avons rencontré du monde : des flics, des racailles, des truands… On n’avait surtout pas envie que l’on nous dise après que l’on édulcorait. On voulait être le plus réaliste possible, le plus juste.

J’ai pensé plusieurs fois à Pusher, de Nicolas Winding Refn.
Fabrice : Cela fait partie de nos influences, j’ai été marqué au fer rouge par ce film. Cette façon de montrer la petite délinquance, j’avais l’impression de n’avoir jamais vu ça en France. Un prophète a été une grosse claque, Mean Streets, de Martin Scorsese, aussi.

Et la sortie en salles ?
Kevin : C’est problématique. Les exploitants veulent défendre le film, mais pour l’instant, nous n’avons qu’une trentaine de salles, dont de gros multiplexes. Nous n’avons toujours pas de réponse d’UGC ou de Gaumont-Pathé et nous sommes à 5 jours de la sortie ! Nous n’avons qu’une seule salle à Paris, le Publicis, en haut des Champs Elysées. C’est angoissant, on ne sait même pas si on met des affiches dans le métro…
Fabrice : Nous avons fait deux avant-premières qui se sont super bien passées. Mais les exploitants ont peur des débordements, comme paraît-il sur Chouf, de Karim Dridi. On nous dit que notre film va ameuter du public un peu chaud dans les salles et donc les programmateurs balisent. Notre distributeur, La 25e heure, a même proposé un agent de sécurité par salle !

Quels sont vos projets ?
On travaille sur plusieurs projets, on a écrit plusieurs scénarios, dont Un crépitement sous les néons, un road movie à la Bonnie & Clyde.

Voyoucratie de FGKO.
Sortie en salles le 31 janvier 2018

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