La comédienne Sophie Guillemin (L’Ennui, Harry, un ami qui vous veut du bien) passe à la réalisation avec Sans toi (sortie le 12 janvier), coécrit et interprété par son partenaire à l’écran, comme à la ville, Thierry Godard. Pour See Mag, les deux artistes se sont confiés sur cette histoire d’amour tournée à Saint-Pétersbourg, en toute liberté, et loin du moindre formatage.
Par Grégory Marouzé
Sophie, aviez-vous depuis longtemps des velléités de mise en scène ?
Sophie Guillemin : Depuis que j’ai commencé le cinéma, complètement par hasard, sur le tournage de L’Ennui de Cédric Kahn, je me suis dit tout de suite que c’était super ce qu’il faisait derrière la caméra et que ça me disait bien de faire ça aussi. Mon parcours est un peu atypique car je ne l’avais pas du tout projeté. Quand j’étais petite, j’étais attirée par le métier d’écrivain. J’avais très envie de raconter des histoires.
A dix ans, j’avais commencé à écrire un pseudo-roman sur une antique machine à écrire dont j’avais hérité d’une vieille tante. Dès l’adolescence, je me suis dirigé vers la photo. Mon père en faisait et j’en ai fait beaucoup. Récemment, j’ai retrouvé une photo où je tiens une petite caméra, j’imagine à cassettes (rires), un soir du Nouvel An. Tout ça pour dire que toutes les composantes de la réalisation me plaisaient depuis longtemps.
J’ai toujours eu l’envie de raconter des histoires, de faire des images. J’aime beaucoup regarder les gens. Je suis beaucoup dans l’observation, la contemplation. Dès le départ, j’étais bien plus attirée par le fait de réaliser que de jouer.
Quelle est l’origine de Sans toi ?
Sophie Guillemin : A la base, c’est l’histoire d’amour réelle que je vis avec Thierry Godard. Ça a été une histoire d’amour fulgurante, puisque l’on s’est marié quatre mois après notre rencontre. Et ça nous avait amené à Saint-Pétersbourg, un soir de St Valentin. On s’était fait un trip un peu romantique. On a flashé sur la ville, la Russie, sur les Russes. On avait plein d’à priori débiles, évidemment. On imaginait de gros russes rustres.
Thierry Godard : D’ailleurs, ça vient peut-être de là, russes : russes rustres (rires).
Sophie Guillemin : Et en fait, pas du tout. On était sidéré. Les gens sont d’une douceur incroyable. Ce sont nous, les Parisiens, les vrais rustres. On était vraiment charmé. Je trépignais de faire des images. Et Thierry me dit « Écoute ! Tu as cet appareil entre les mains qui sert aussi à filmer, vas-y ! Lance-toi ! ” (je fais de la photo depuis longtemps avec un Canon 5D). Je me suis dit qu’il avait raison. Il faut faire ! Il faut faire, avant tout. Même avant d’avoir le financement classique pour un film.
Faisons et après on verra. Je suis parti sur l’idée première d’un homme qui marche, qui cherche, et qui cherche l’amour. Et cela devient une quête obsessionnelle, qui le fait sortir des villes et arriver en pleine pampa russe, où il n’aura le choix que de se confronter à lui-même. Cela a donné un tournage complètement fou, libre et assez inhabituel. Je n’avais pas le scénario dès le départ, mais tous les jours j’écrivais le film sur le tournage.
« Je me suis dit, en bon mâle alpha que je suis, “il faut qu’elle ait une bonne opinion de moi, qu’elle puisse se reposer sur mes épaules !”. »
Thierry, vous avez participé à l’écriture des dialogues et vous êtes coproducteur du film. Comment s’est organisée votre collaboration avec Sophie ?
Thierry Godard : Déjà, on n’avait pas le choix. Il fallait que ça se fasse ! C’est compliqué quand on est amoureux de quelqu’un, et que d’un seul coup, on se retrouve dans le travail. Parce qu’à un moment, il faut se lever, il faut tourner, et tourner même quand tu n’as pas envie. Et puis, quand tu es dans la position d’acteur, tu es beaucoup moins volontaire. Il faut accorder son amour et son travail. C’est un exercice que je n’avais jamais fait.
C’est passionnant, mais pas évident sur certaines scènes où tu dois aller chercher certaines choses très personnelles. En plus, on était au début de notre relation. Tu n’as pas envie de montrer tes failles, tu as envie d’être un “bonhomme”, d’être un peu costaud. Je me suis dit, en bon mâle alpha que je suis, “il faut qu’elle ait une bonne opinion de moi, qu’elle puisse se reposer sur mes épaules !”.
On a eu des moments merveilleux, où on a bien rigolé. Ce qui n’était pas évident, c’est qu’on retournait à Saint-Pétersbourg pour filmer. Tu es dans un mode où tu découvres la ville, où tu regardes. Tu as envie de partager la ville avec elle, mais elle filme H24 ! Donc, c’est compliqué ! Elle ne veut plus que tu la regardes ou que tu lui parles. Ce qui ne sera pas dans le film, ne l’intéresse pas. Après coup, tu te dis que c’est merveilleux de travailler avec la personne que tu aimes.
Antoine plaque tout, part en Russie, pour retrouver Solange, la femme qu’il aime toujours. Il devient un autre homme. Il y a une mutation, il change de peau. Qu’est-ce que ce personnage vous a permis d’interpréter, que vous n’aviez pu incarner auparavant dans votre parcours ?
Thierry Godard : Ça fait appel à des choses personnelles, que je n’avais pas eu l’occasion de jouer. Je n’avais jamais joué un personnage à ce point perturbé par une histoire d’amour.
Vous qui vouliez garder le contrôle. Ce rôle vous a-t-il permis d’ouvrir les vannes ?
Thierry Godard : Tous les rôles, et en particulier celui-là, t’ouvrent à des sentiments que tu n’exprimes pas dans la vie de tous les jours. C’est la grande joie, le grand bonheur d’être acteur. On est sauvé d’être uniquement des mâles-alpha, en se confrontant, si on en a l’envie, à des rôles plus sensibles.
Ce moment dans le film, où il se dévoile aux enfants, on l’a refait une quarantaine de fois. Donc, à un moment, c’était aussi ce confort-là, d’aller vraiment chercher les choses. Sur un téléfilm, on aurait fait trois prises. En faisant quarante prises, tu ne peux pas lui resservir la même chose. Elle va le voir. Donc, il faut aller chercher plus profondément les choses. On est proche de l’analyse.
Solange, que vous interprétez, est peu présente à l’écran. Mais paradoxalement, parce qu’elle est l’obsession d’Antoine, elle semble ne jamais quitter l’image…
Sophie Guillemin : Au départ, au montage, il y avait beaucoup plus d’images de Solange. Mais je n’avais pas envie d’être l’actrice qui réalise pour se mettre en scène. Ce n’était pas mon ambition. Si je joue Solange, c’est parce que l’on était en Russie, et que je n’avais pas d’actrice sous le coude. Plus ça allait, plus au montage on a effacé Solange. Parce qu’effectivement, elle est au départ un souvenir, mais elle devient ensuite un fantasme. Presque une illusion.
On ne sait pas depuis combien de temps ils sont séparés. Ce n’est pas tellement important, mais si ça se trouve, ce dont il se souvient est totalement glorifié. Si ça se trouve, ça ne s’est pas si bien passé que ça. Quoi qu’il en soit, il fallait que plus il s’avance dans son vide personnel, et donc dans cette campagne totalement isolée, et qu’il se retrouve lui-même, plus il fallait que Solange s’efface.
La vraie histoire du film, c’est une histoire d’amour, mais c’est surtout un homme qui se retrouve. C’est pour ça qu’à la fin, on ne la voit pas tellement. On voit presque plus le mari et l’enfant. Solange est le symbole de ce qu’il a perdu et de ce qu’il a recherché.
« Là, c’est l’un des mystères fascinants du cinéma (rires) parce que je n’avais jamais vu Vertigo. On l’a regardé après, et je suis resté scotchée devant la scène ! »
On a l’impression qu’il y a quelque chose d’hitchcockien dans Sans toi. Il y a des réminiscences de Vertigo…
Sophie Guillemin : C’est drôle parce que je ne l’avais jamais vu. Vous faîtes allusion à la scène dans le musée devant le tableau ? Là, c’est l’un des mystères fascinants du cinéma (rires) parce que je n’avais jamais vu Vertigo. On l’a regardé après, et je suis resté scotchée devant la scène ! C’est dingue : c’est la même configuration !
Et c’est presque le même sujet : c’est l’histoire d’un homme qui cherche un amour perdu.
Sophie Guillemin : Dans Vertigo, il y a tout un autre développement : il s’entiche d’une autre femme. Dans Sans toi, c’est l’inverse : il part vers la solitude. Mais effectivement, c’est le même point de départ. Je ne me l’explique pas ! Ou alors, peut-être que je l’avais vu petite, un dimanche soir, avec mes parents. Et que je ne m’en rappelais pas et que l’image est restée inconsciemment dans ma mémoire.
Thierry, une scène frappe dans le film : quand Antoine marche nu sur le lac gelé. Comment s’est tournée cette scène ?
Thierry Godard : Je ne peux pas dire qu’on a fait quarante prises ! (rires) On cherchait un endroit où le lac était vraiment gelé, parce que ça commençait déjà à dégeler par endroits. J’ai appelé des copines maquilleuses, aucune n’avait de solutions. Je me suis demandé si je me mettais du baume du tigre partout sur le corps, pour que ça me chauffe.
Et puis, j’ai oublié l’idée. On y est allé. Il faisait un peu meilleur. Il y avait du vent, mais il ne neigeait pas. Vite, entre les prises, j’allais mettre une espèce de doudoune. J’essayais de m’éloigner au maximum. Sophie me disait “Pars, pars, loin, loin, loin !” Là, en fait, je me disais “elle ne m’aime pas du tout, elle veut que je meure !” (rires de Sophie Guillemin) On a fait trois, quatre prises, pas plus ! Pour le coup, on ressent une vraie sensation de froid. Tu as même peur que ton corps ne survive pas à ça. Il y a quelque chose d’archaïque, tu as l’impression d’être un homme sauvage. Mais c’était nécessaire.
« Je voulais réussir l’émotion palpable d’Antoine pour Solange, et leur histoire d’amour, parce que c’est tout de même le cœur du film. »
Sophie, vous avez écrit, réalisé, Sans toi. Vous avez même signé les images. Vous fallait-il, après avoir été dirigée par d’autres, vous offrir la chance de tout maîtriser ?
Sophie Guillemin : Exactement ! Au-delà de tout maîtriser, c’est tout mettre en œuvre, tout initier, tout créer. C’est moins l’idée de tout maîtriser (car on ne maîtrise jamais tout, même un acteur, même une météo) : c’est créer plus largement qu’une interprétation. C’est ça qui me plaît beaucoup. J’adore ça ! J’adore trouver des costumes, habiller les acteurs comme de grandes poupées (rires).
Que vouliez-vous à tout prix réussir et à tout prix éviter ?
Sophie Guillemin : Je voulais réussir l’émotion palpable d’Antoine pour Solange, et leur histoire d’amour, parce que c’est tout de même le cœur du film. Je voulais à tout prix éviter de faire un film d’actrice. Ce n’est pas une critique envers celles qui le font, mais moi, je préfère filmer les autres.
Crédits photos © Multifruits productions, Elkin Communication