Le Belge Fabrice du Welz est un cinéaste brillant, un immense formaliste, polisseur de diamants noirs comme Calvaire ou Vinyan. Pour Message From a King, son premier film américain, il a signé une œuvre de vengeance bourrée d’humanité, un thriller sous tension aux allures de films de Blaxploitation des années 70. Rencontre avec un homme qui ne pratique pas la langue de bois…
Propos recueillis par Marc Godin
Vous avez réalisé Message from the King en réaction à Colt 45 ?
Non, j’avais fait Alleluia en réaction à Colt 45. Colt 45, qui a failli m’abattre, a été un épisode malheureux mais c’est derrière moi… Là, j’ai fait mon métier. C’est certes une commande, devenue un projet plus personnel pendant la préparation et le tournage. La postproduction, cela a été une autre histoire… J’ai appris énormément de choses, c’est une expérience dont je vais pouvoir me resservir.
Comme Nicolas Winding Refn avec Drive, vous avez tourné aux USA pour vous confronter à l’Americana, aller sur les terres de Sam Peckinpah ?
J’ai un amour absolu pour le cinéma américain des années 50, 70 ou 90. Aller aux USA, avec un scénario certes balisé mais aussi quelques latitudes et le producteur David Lancaster (Drive) ainsi que le Français Manuel Chiche, cela me permettait de sortir de ma zone de confort, de prendre des risques. Je me suis mis au service d’une histoire, de producteurs, en préservant ma vision.
Les scénaristes de Message from the King ont écrit des trucs improbables pour Liam Neeson. Il y avait déjà dans leur scénario cette humanité qui irrigue le film ?
Le scénario était très carré. J’ai dit aux scénaristes : « Si vous voulez un Taken like, il faut aller chercher un Pierre Morel… Mais si vous voulez creuser l’humanité et l’aspect organique, viscéral de l’histoire, je suis votre homme ! » J’ai donc travaillé avec les scénaristes, notamment bossé sur le personnage de Kelly ; malheureusement, il n’en reste pas grand-chose, cela a été coupé au montage…
Calvaire, son premier film en 2005 avec Laurent Lucas et Jackie Berroyer
C’est un personnage que j’aime beaucoup ; j’adorerais le décliner en série…
Comment se fait-il que je n’ai pas vu venir le twist final ?
C’est parce qu’il est bien écrit (rires). Le twist est fondamental, pour moi en tout cas. Cela permet une relecture du film et de jeter un autre regard sur King. C’est un personnage que j’aime beaucoup ; j’adorerais le décliner en série…
Pourquoi avez-vous choisi Chadwick Boseman ?
C’est un film de commande, c’est Chadwick Boseman qui m’a choisi ! C’est un scénario qui traînait depuis longtemps et de nombreux réalisateurs ont été approchés. Le film n’arrivait pas à se monter car le héros est noir. Chadwick a débarqué sur le projet et il avait une petite fenêtre avant Black Panther. Il a fallu trouver un réalisateur en très peu de temps. David Lancaster lui a montré Alleluia et Chadwick a aimé mon film.
Nous nous sommes rencontrés et il m’a validé. Cela se passe souvent de la sorte aux USA, ce sont les acteurs qui choisissent les réalisateurs.
Quand j’ai vu Message from the King, j’ai eu l’impression de découvrir un film de Blaxploitation que j’aurais raté dans les années 70.
(Silence). Ca me fait énormément plaisir, ça me fait énormément plaisir, Marc. C’est comme cela que j’ai essayé d’orienter le film, d’être juste et au service de mes personnages. Un film très humain avec son quota d’émotion, de scènes d’action, dans un Los Angeles poisseux. Pour moi, c’est un pur pulp, avec que des archétypes.
Chadwick Boseman et Teresa Palmer dans Message From a King – 2017 © The Jokers/Les Bookmakers
J’ai adoré la façon viscérale dont Monika Lenczewska éclairait les peaux noires. J’ai vite compris que je pourrais travailler avec elle.
C’est difficile de tourner aux USA ? Je sais que vous n’avez pas pu embaucher votre chef op habituel ?
Je voulais tourner avec Benoît Debbie (le génie derrière les images d’Enter the Void, Spring Breakers, NDR) ou Manu Dacosse (L’Amant double, L’Etrange couleur des larmes de ton corps). Benoît attendait le feu vert pour un film d’Harmony Korine qui ne s’est pas fait et il traînait à me donner une réponse claire. Il fallait aller très vite. Le cinéma est aux mains des syndicats et des agences. Chaque corps de métier est représenté par un syndicat très puissant. Le syndicat devait valider le choix de Manu Dacosse et c’était un problème. Je n’ai pas eu le temps de faire le dossier administratif, les papiers, et c’est tombé à l’eau. Je ne connaissais personne dans l’équipe technique et pour moi, le chef op a une importance capitale. On m’a présenté des chefs op connus mais cela n’allait pas. Jusqu’au jour où j’ai découvert le site d’une petite chef op polonaise, Monika Lenczewska. C’était brillant. J’ai visionné un de ses films, sur les mariages forcés en Afrique. J’ai adoré la façon viscérale dont elle éclairait les peaux noires. J’ai vite compris que je pourrais travailler avec elle.
Donc vous avez déjà tourné avec un des plus grands chefs op du monde et là, vous filmez aux USA avec une directrice de la photo quasi débutante… C’est très dangereux.
Oui, mais je l’avais déjà fait sur Alleluia. Benoît n’a pas pu éclairer Alleluia, et il a fallu que je me remette en cause et j’ai trouvé Manu Dacosse. Cela m’a libéré. J’aime repérer les jeunes talents et je ne me suis pas trompé avec Monika. Elle vient d’éclairer le film sur la mort de Tupac, avec Johnny Depp et Forest Whitaker, et ce grâce à son travail sur Message from the King.
Et pourquoi tourner en 35 mm, qui complique encore l’entreprise ?
Je suis comme ça, je dois aimer ça. Sur un plateau aux USA, tout est compliqué, tu ne peux pas changer une ampoule, parler à un figurant… J’ai eu beaucoup de problèmes avec le 35 mm. A Los Angeles, tu penses que tu va bosser avec les meilleurs techniciens. Mais qui tourne à L.A. ? Ce sont les grandes séries Showtime, HBO, avec d’excellents techniciens très bien payés… Quand tu tournes un petit film avec tout le monde payé au tarif syndical, tu n’as pas forcément les meilleurs techniciens. C’est un problème quand tu tournes en 35 mm. Je voulais tourner caméra à l’épaule, en ouverture complète, en longue focale, et là, je m’aperçois que j’ai des problèmes de point tout le temps. Impossible de virer qui que ce soit, car tout le monde est syndiqué, et je ne veux pas éclairer plus, je veux pouvoir sculpter ma lumière… J’ai néanmoins réussi à boucler le film en 28 jours.
Je me mets TOUJOURS en danger.
Et donc vous vous mettez en danger, surtout avec un tournage guerilla.
Je me mets TOUJOURS en danger. Après Calvaire, je suis allé tourner en Thaïlande. Faire des films sans risque, cela ne m’intéresse pas. Le cinéma me permet de vivre vraiment. Je ne peux pas faire un film pépère, j’ai besoin de vivre et de brûler, de danser sur un volcan.
Message from the King est-il déjà sorti aux USA ?
Netflix l’a acheté pour le monde entier à Toronto et il ne sortira en salles qu’en France. J’espérais une sortie américaine, mais Netflix est maintenant incontournable. Je me console en me disant que le film sera beaucoup vu et je m’en réjouis. Le monde change et dans dix ans, un film sur dix sortira en salle.
Fabrice Du Welz sur le tournage de Message From a King – 2017 © The Jokers/Les Bookmakers
Mais les sites de streaming comme Amazon ou Netflix vont booster la créativité et contrer les diktas des exploitants, des chaînes de télé… On risque de vivre un nouvel âge d’or du cinéma indépendant. Il va falloir du contenu intelligent. Au cinéma, en France, on ne voit que du téléfilm de luxe. Et à la télé, sur Netflix, HBO, Showtime ou Canal, on voit du cinéma. Les choses vont s’équilibrer…