Mi-novembre 2017, Rian Johnson (Looper) et Ram Bergman, respectivement auteur-réalisateur et producteur de Star Wars, Episode 8 : Les Derniers Jedi débarquaient au Bristol, à Paris. Alors que le film le plus attendu de la galaxie devait percuter les écrans moins d’un mois plus tard, les deux hommes plaisantaient et devisaient, apparemment sans stress et sans langue de bois. Entretien galactique.
Propos recueillis par Marc Godin
Rian, vous avez mis en scène le film, mais vous l’avez également écrit. Avez-vous eu une totale liberté sur l’histoire ou vous a t’on imposé une ligne directrice ?
Rian Johnson : On a eu toute la liberté imaginable. On m’a donné le script du Réveil de la force, j’ai pu visionner les rushs tous les jours du tournage. Et ensuite, il a fallu imaginer ce qui allait se passer. Trouver ce qui devait arriver à ces personnages et comment faire une suite qui ait du sens. C’était logique, organique, et selon moi, la meilleure approche. Et très similaire à l’écriture de mes autres films.
Rian, est-il vrai que vous avez demandé à JJ Abrams de changer un peu la fin initialement prévue du Réveil de la force ?
R. J. : Un tout petit peu, en effet. A l’origine c’était BB-8 qui devait accompagner Rey sur l’île où se trouve Luke. Et j’ai réalisé, pour plusieurs raisons, qu’il serait mieux que R2D2 l’accompagne et que BB-8 reste en retrait. Je crois qu’il ne fallait modifier qu’un seul plan, celui où ils disent au revoir à Chewie et le droïde dans le Faucon. J’ai demandé à JJ de modifier la scène et il a accepté, il a été très sympa et compréhensif.
Comment s’est déroulée la toute première journée du tournage de ce nouveau Star Wars ?
R. J. : Durant le tournage, il y avait des moments où je me disais que c’était simplement dingue de faire ce que j’étais en train de faire ! Que ce soit filmer C-3PO ou le Faucon Millenium. Mais le tout premier jour, pendant la majeure partie de la journée, la chose la plus incroyable, c’était comme si l’esprit Star Wars avait un peu disparu, comme si on travaillait sur un autre film, essayant de collaborer avec les acteurs, de faire fonctionner les scènes, l’histoire. Il y avait des moments où je me disais « Oh mon Dieu, je réalise un film de la saga Star Wars ! », mais la plupart du temps il s’agissait simplement de mettre en scène un film.
Ram Bergman : Nous avons travaillé avec les meilleures équipes de designers, de costumiers, des techniciens… Tous les jours, nous contemplions des décors merveilleux qui étaient détruits le lendemain. Et on se disait « Tu arrives à y croire ? »
Rian Johnson et Carrier Fisher © The Walt Disney Company France
Je voulais faire tout mon possible pour que Mark Hamill s’empare de son rôle et l’aider à se reconnecter à son personnage
Mark Hamill a déclaré s’être beaucoup interrogé sur ce qui était arrivé à Luke pendant les 30 ans qui s’écoulent entre Le Retour du Jedi et Le Réveil de la force et qu’il avait partagé ses idées avec vous. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
R. J. : Mark a BEAUCOUP d’idées (rires), et c’est merveilleux. Nous avons beaucoup parlé de ce qu’aurait pu être son aventure entre ces deux films. Je voulais qu’il prenne pleinement possession de son personnage, en particulier parce que j’ai réalisé combien ça pouvait être étrange pour lui, qui a toujours été très attaché à Luke, de recevoir le script et des ordres d’un jeune branleur. J’avais conscience que ce serait difficile pour lui. En travaillant ensemble sur le rôle, je voulais faire tout mon possible pour qu’il s’empare de son rôle et l’aider à se reconnecter à son personnage, à comprendre comment il en est arrivé là. C’était la meilleure chose à faire.
Il parait que votre film sera le plus long de toute la saga.
R. J. : Ouais, c’est effectivement le plus long, il dure 2h30, générique inclus. Pour nous, c’était une évidence, le film était bon et il ne nous a pas semblé long. Si nous avions voulu le raccourcir, nous aurions dû sacrifier des personnages ou certaines aventures. Nous n’avons pas fait ce choix… C’est la bonne durée et nous espérons que vous ne verrez pas le temps passer…
Ram, vous connaissez Rian depuis longtemps, vous avez produit son tout premier film, Brick. Vous saviez qu’il était la bonne personne pour réaliser un Star Wars ?
R. B. : La décision de choisir Rian ne vient de moi, mais je sais que tout ce qu’il entreprend, il le fait de façon parfaite. Rian est unique, parce qu’il écrit et réalise et il y a très peu de personnes capables de faire les deux à Hollywood. C’est un atout, car cela lui permet de tout articuler comme il le souhaite, il sait où il va. Pour le studio et l’équipe de production, c’était une évidence.
Rian Johnson, john Boyega et Oscar Isaac © The Walt Disney Company France
Nous avons pris L’Empire contre-attaque comme référence visuelle. J’adore la lumière très sombre de cet épisode, c’est très audacieux.
Comment travaillez-vous avec Steve Yedlin, votre directeur de la photo ? Qu’apporte t-il à l’univers Star Wars ?
R. J. : Je suis ami avec Steve depuis nos 17 ans. Nous nous sommes rencontrés à l’université, sur le tournage d’un film étudiant, donc nous travaillons ensemble depuis TRES longtemps. Avoir Steve à mes côtés dans cette aventure était fondamental pour moi. C’est aussi un chef op incroyable ! Nous avons pris L’Empire contre-attaque comme référence visuelle. J’adore la lumière très sombre de cet épisode, c’est très audacieux. Mais au final, nous ne voulions pas simplement copier l’aspect visuel d’un autre film de la saga, nous nous en sommes inspirés tout en essayant de trouver le bon équilibre.
Quel a été la journée de tournage qui vous a le plus marqué ?
R. J. : C’est drôle, ce n’était pas un jour de tournage, mais une journée de travail avec John Williams, lors de l’enregistrement de la musique d’ouverture du film. Et être là, à côté d’un orchestre d’une centaine de musiciens, avec John Williams à la baguette, aussi près de l’orchestre que je le suis de vous, et sentir cette musique transpercer vos os… C’était magnifique ! Toute cette aventure de tournage a été remplie de moments magiques, mais celui-ci est vraiment le summum.
Comment vous vivez-vous le stress de la sortie ?
R. J. : Le stress s’est fait sentir quand on a terminé le film. Pendant la conception, on pouvait se cacher derrière notre travail, mais dès que nous avons terminé, j’ai réalisé que le compte à rebours avait désormais commencé et je me suis tout à coup senti nerveux. Mais je suis très fier du film, nous le sommes tous, et j’espère que les fans l’aimeront aussi. C’est inévitable d’être nerveux lorsqu’on révèle au monde quelque chose qui te tient à cœur. Et moi-même, étant fan de la saga depuis 40 ans, je sais ce que le public ressent vis-à-vis de Star Wars et je ne veux surtout pas les décevoir.
Rian Johnson et Joonas Suotamo alias Chewbacca. © The Walt Disney Company France
Souvent, lorsque des étudiants en cinéma ou des débutants demandent des conseils, ils veulent savoir comment percer dans le business, ce qui selon moi devrait être la dernière de vos préoccupations.
Avez-vous reçu des conseils de la part de George Lucas ? Et quel conseil donneriez-vous à un réalisateur débutant ?
R. J. : J’ai pu discuter avec George Lucas au tout début du tournage. C’était une longue conversation très générale, il m’a témoigné son soutien, mais il n’était pas du tout impliqué dans cet épisode. Mais c’était énorme car George Lucas est mon héros. Le seul conseil que je pourrais donner si vous voulez faire un film c’est « Faites-le tout de suite, commencez dès cet après-midi ! » Rassemblez vos amis, utilisez votre téléphone et faites un film. Souvent, lorsque des étudiants en cinéma ou des débutants demandent des conseils, ils veulent savoir comment percer dans le business, ce qui selon moi devrait être la dernière de vos préoccupations. Vous devez exclusivement penser à faire votre film, trouver votre voie, vous améliorer, développer ce qui vous tient à cœur. Si vous parvenez à montrer des choses personnelles même avec une petite caméra, les gens le remarqueront. C’est toujours très rare aujourd’hui de trouver quelqu’un qui possède une voix, qui soit capable de faire quelque chose qui retienne l’attention.
Un petit mot sur Carrie Fisher.
R. J. : Carrie… (pause) Je suis tellement triste… Je n’ai eu l’occasion de la connaître que pendant la durée du tournage mais je suis très heureux de l’avoir rencontrée. Et dans le film, elle nous a livré une magnifique performance. J’espère que les fans vont maintenant pouvoir faire le deuil du personnage de Leia et de cette merveilleuse actrice, Carrie. Je pense que certaines scènes du film devraient vraiment vous toucher.
Vous êtes un fan de Star Wars, mais vous arrivez sur la saga au moment où Han Solo s’en va. Ce n’était pas un peu frustrant ?
R. J. : Oh, ça aurait été vraiment amusant de travailler avec Harrison Ford, mais ça tombait plutôt bien pour moi, car enfant, je m’identifiais plutôt à Luke Skywalker. Han Solo était le mec super cool, ce que je n’étais pas vraiment. J’étais plus comme ce garçon de ferme un peu innocent, qui voulait vivre une aventure mais ne savait pas comment. J’étais donc ravi à l’idée de faire ce film avec Mark.
Avec Daisy Ridley © The Walt Disney Company France
Des créatures comme Jar Jar Binks ou les Ewoks ont beaucoup déplu aux fans. Craignez-vous que ce soit le cas des Porgs ?
R. B. : Pas une seule seconde ! La première fois que nous avons montré les Porgs à tout le monde sur le plateau, on a su que ce serait un carton. Tout le monde les a trouvés très mignons.
Dans Le Réveil de la Force, Daniel Craig jouait un Stormtrooper, et il parait que dans Les Derniers Jedi, les princes William et Harry vont aussi jouer des Stormtroopers. Peut s’attendre à d’autres caméos dans le film ?
R. J. : Je ne peux rien confirmer pour Harry et William (rires). Mais vous savez, tout le monde veut incarner un Stormtrooper, jusqu’au moment où l’on enfile le costume et réalise que c’est un instrument de torture médiéval. Cependant, je peux vous révéler le caméo de Gareth Edwards (réalisateur de l’excellent Rogue one, NDR). Ram et moi avons joué un caméo dans la chambre de tir de l’Etoile de la Mort, dans Rogue one, ce qui était parfait parce qu’on savait qu’il ne pourrait pas nous couper au montage. Du coup, le caméo de Gareth a lui aussi été gardé au montage (rires).
Qu’est-ce que vous pensez apporter de vos précédents films ainsi que vos expériences sur la série Breaking Bad ?
R. J. : On apprend énormément de chacune de ses expériences. Sur Breaking Bad, je pensais ne pas avoir grand-chose à dire aux acteurs, je me disais qu’ils connaissaient bien mieux leurs personnages que moi. Qu’est-ce que je pouvais apprendre à Bryan Cranston sur Walter White ? Mais j’avais tort. Car si les acteurs savent parfaitement d’où viennent leurs personnages, ils ne savent pas où ils vont… Et c’est directement applicable à sur Star Wars. Nous avons des personnages qui ont été créés dans Le Réveil de la force, ou dans les précédents films, et c’était à moi de les guider vers de nouvelles directions, une nouvelle histoire. Breaking Bad m’a également beaucoup appris sur le crystal meth. Les cristaux rouges qui sont sur l’affiche de Star Wars, c’est du crystal meth !
Rian Johnson en 7 dates
1977 : Naissance du petit Rian le 17 décembre dans le Maryland aux Etas-Unis .
2002 : Il bosse en tant que monteur sur May, un film d’horreur réalisé par Lucky McFee
2005 : Il remporte le Prix Spécial du Jury au Festival de Sundance avec Brick, un film qu’il a réalisé dans sa ville natale avec 450 000 dollars que sa famille avait rassemblé pour lui.
2012 : Il écrit et réalise Looper, un film de science fiction avec Bruce Willis et Joseph Gordon-Lewitt.
2010-2013 : Il réalise trois épisodes de la série Breaking Bad.
2014 : Il est choisi par Disney et Lucasfilm pour réaliser le huitième épisode de la sage Star Wars.
2017 : Star Wars : Les Derniers Jedi sort dans le monde entier. Disney et Lucasfilm décident que Rian supervisera une nouvelle trilogie de la saga.