Benoît Magimel : « Je ne suis pas dans la quête de l’élitisme »

Comédien des plus sollicités, il est à l’affiche du très touchant Lola vers la mer de Laurent Micheli. Rencontre « cinéma » avec un Benoît Magimel autant courtisé qu’il sait se faire discret.

Propos recueillis par Jean-Pascal Grosso.

A 45 ans, dont quasiment trente de carrière, cela vous plaît-il d’avoir « pris de la bouteille » ?
Jeune acteur, j’attendais avec impatience cet âge-là. Je me disais que, pour certains rôles, je manquais d’épaisseur, de vécu. Quand on regarde le « cinéma de papa », tous ces acteurs français qui aujourd’hui m’inspirent encore beaucoup, les Rochefort, Marielle, Brasseur, Delon, Belmondo, toute cette époque-là, c’était des hommes. Ils avaient tous l’air accompli à l’écran ; quelque chose qui passait beaucoup par leur physique. C’est comme lorsque vous regardez les films de Claude Sautet : ses acteurs possédaient une maturité qui les rendaient capables de saisir des enjeux très forts.

Quel est votre point de vue sur le cinéma actuel ?
Si on schématise, on peut faire aujourd’hui le grand écart entre les X-Men et les films ancrés dans le social. Le cinéma, j’ignore quel sera son avenir. Ce qui est sûr, c’est que les modes de diffusion ont énormément changé. Par exemple, le cinéma survivra-t-il au format du téléphone portable ? Les gens semblent surpris lorsque je dis que j’achète encore des DVD. Mais j’apprécie qu’il me reste quelque chose d’un long-métrage et c’est un objet que j’aime. Cette culture-là, même elle a tendance à disparaître. La VOD, ça reste trop immatériel pour moi.

« Michael Haneke lui-même ne comprenait pas pourquoi, après La Pianiste, je me retrouvais dans Les Chevaliers du ciel… »

Il semble que le pessimisme ambiant gagne aussi votre profession…
En même temps, pour toute évolution, il faut savoir faire des sacrifices. Regardez avec la naissance du parlant, l’apparition de la couleur… Pareil pour le numérique. C’est dingue que le numérique ait eu, au moment de son lancement, si mauvaise presse. Moi le premier, j’étais assez contre ! Et finalement, cela permet des possibilités extraordinaires. Un metteur en scène peut aujourd’hui s’exprimer avec très peu de moyens.

Et du côté du public, comment voyez-vous les choses évoluer ?
Tout est consommé très vite désormais. Les gosses, pour la plupart, ne connaissent plus les réalisateurs du passé. Il y a vingt ans déjà, quand j’allais au Japon, ils ne savaient pas qui était Akira Kurosawa ! Même en France, La Haine, qui fut pourtant un film-phénomène, il y en a beaucoup parmi les jeunes générations de spectateurs qui ignorent ce que c’est.

Quelle serait votre « marque de fabrique » en tant que comédien ?
J’ai toujours aimé me frotter à des genres différents parce que je ne m’adresse pas à un seul public. Lorsque j’ai accepté La Possibilité d’une île avec Michel Houellebecq, les gens se sont demandé ce que j’allais ficher là-dedans. Pour moi, c’était un pari tout simplement. Michael Haneke lui-même ne comprenait pas pourquoi, après La Pianiste, je me retrouvais dans Les Chevaliers du ciel

Déjà engagé sur Une Minute de silence de Florent-Emilio Siri, vous avez décliné le rôle principal de Taxi de Gérard Pirès. Des regrets aujourd’hui ?
C’est ça qui est merveilleux avec ce métier. Taxi, j’avais vraiment envie de le faire. J’étais très motivé. A l’époque, je sortais du Téchiné (Les Voleurs en 1996, ndlr) que j’aimais beaucoup. Mais, à mes yeux, Taxi amenait une nouvelle proposition de cinéma. Comme celui de Siri ou de Dahan. Plein d’acteurs avaient refusé le rôle, je faisais partie des derniers de la liste. Je voulais vraiment prendre ce virage-là. Je suis bon spectateur. Je m’oriente toujours vers un type de cinéma que je veux aller voir en salles. Et ça peut aller du film d’auteur à la grande production familiale. Je ne suis pas dans la quête permanente de l’élitisme ni du sublime. Je préfère essayer des choses.

« Pour moi, le Graal, c’est Le Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville. »

Un peu d’uchronie : et si vous aviez fait Taxi ?
Est-ce que cela aurait à ce point bouleversé ma carrière ? C’est toujours la même chose pour un acteur : un film en appelle un autre. Une sorte d’effet papillon. Il y a Téchiné, Les Voleurs. Suite à ce film, Olivier Dahan me propose Déjà Mort. Diane Kurys voit Déjà Mort et me propose le rôle de Musset dans Les Enfants du siècle, énorme production avec le chef op’ de Kusturica. Et, après avoir découvert Les Enfants du siècle, Gérard Corbiau, lui, m’appelle pour Le Roi Danse… C’est un parcours, un enchaînement constant. Si j’avais tourné Taxi, de toute façon, il m’aurait fallu continuer à travailler pour prouver que j’étais capable d’aborder différents genres.

Et de quels films vous parlent les spectateurs aujourd’hui ?
C’est assez varié. Parfois, c’est La Pianiste, d’autres fois, les Chabrol. Marseille, on m’en parle aussi beaucoup. Et puis, il y a les mecs des quartiers qui, eux, ont vu Truands, des choses comme ça…

Celui-là ne figurera pas à votre Panthéon…
Truands
avait un énorme potentiel, c’est un film que j’estime. Ça a été surtout très dur pour Caubère… Le cinéma de genre, c’est ce qui reste le plus dur à faire. Pour moi, le Graal, c’est Le Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville. Les polars, tout le monde ne peut pas les tourner et, surtout, pour les acteurs, tout le monde ne peut pas les interpréter. Renoir expliquait que la plupart des acteurs jouent ce qu’ils ont déjà vu à l’écran. Et lorsqu’on incarne un gangster, il est très facile de glisser vers la caricature ou le fantasme. S’il n’y a pas derrière Guy Ritchie ou Quentin Tarantino, ça vire souvent au n’importe quoi. Ce qui explique que je n’en ai pas fait beaucoup.

« L’étiquette, on finit par vous la coller quoiqu’il arrive, parce qu’il y a des films qui sont plus vus que d’autres, qui sont plus populaires que d’autres. »

Un rôle qui manque à votre « tableau de chasse » ?
A un moment donné, j’aurais bien aimé jouer un vieux chanteur comme Gérard Depardieu dans Quand j’étais Chanteur. Mais ça vient d’être fait récemment par Alex Lutz avec Guy. Chanter, c’est quelque chose qui m’a toujours attiré même si je n’ai pas ce talent-là. La plus grosse honte de ma vie, je l’ai eue sur Selon Matthieu de Xavier Beauvois. Dans le film, Xavier m’a demandé de chanter une chanson à Nathalie Baye. A cette époque-là, j’écoutais beaucoup d’Aznavour. Je chantais sous ma douche et j’étais certain d’avoir une très belle voix. Au moment de tourner la scène, je me dis que je vais tous les épater. Je prends le micro, on lance la caméra, la musique commence… Et là, je comprends que ce n’est pas du tout ça. J’étais parti pour séduire le personnage de Nathalie avec une chanson. J’y parviens mais parce que je m’y prends de manière si maladroite que ça en devient touchant. Moi qui, en réalité, pensais pouvoir briller !

Des acteurs de référence ?
Dans ma jeunesse, on me parlait tout le temps des acteurs américains. Mais les Américains, pour moi, De Niro, Pacino, etc., c’était trop éloigné de ma culture. Il fallait que je me reconnaisse dans quelque chose qui m’était proche ; d’organique presque. Et là, gamin, je découvre le cinéma français d’avant et d’après-guerre et des acteurs que je trouve formidables : Michel Simon, Jean Gabin, Jules Berry… Quand vous regardez Jules Berry dans Le Jour se lève, vous vous dites que l’Actor’s Studio n’a rien inventé. Les acteurs français, disons jusqu’aux années 60, avaient dans les films comme dans la vie une tonalité qu’on ne retrouve plus aujourd’hui.

Avec votre parcours, est-ce toujours difficile de ne pas être catalogué ?
Tous les acteurs souffrent de se retrouver enfermés dans un certain type de rôles. Je le ressens depuis le début. L’étiquette, on finit par vous la coller quoiqu’il arrive, parce qu’il y a des films qui sont plus vus que d’autres, qui sont plus populaires que d’autres. Et l’acteur, lui, vous répondra toujours : « Oui mais je n’ai pas fait que ça… ».

Une Fille facile de Rebecca Zlotowski avec Zahia Dehar, Benoît Magimel, Clotilde Courau… Durée : 1h32. En salles le 28 août 2019

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