A l’occasion de la ressortie de son cultissime Donnie Darko et d’une nouvelle version Director’s cut, Richard Kelly, son metteur en scène, revient sur ce succès au goût étrange.
Propos recueillis par Jean-Pascal Grosso
Dix-huit ans après la sortie de Donnie Darko, où en êtes-vous Richard Kelly ?
Mes priorités ont changé depuis ces dernières années. J’écris depuis une décennie. Longtemps, mes scénarios ont été en évolution permanente. Je les changeais tout le temps, j’ajoutais des détails, de nouveaux dialogues constamment. Je les construisais, déconstruisais, reconstruisais, je les réajustais au quotidien sur les plateaux. C’était un peu foutraque et, surtout, épuisant pour tout le monde. Je me retrouvais à chaque fois avec des films de 2h30, 3H, et les séances de montage se transformaient en séances de torture. Cela devenait de plus en plus déchirant de faire des coupes afin que le film puisse garder tout son sens. Depuis, je n’ai fait que m’exercer à l’écriture, en me concentrant sur la structure narrative, pour, au final, obtenir tout un arsenal de projets à proposer.
Vous allez donc tourner à nouveau…
Oui. Et pour une dizaine d’années, j’espère. J’ai plusieurs scénarios terminés. Pour moi, ils sont nickel. Les producteurs pourront constater que je suis prêt. Et que je suis aujourd’hui beaucoup plus efficace. Je pense pouvoir tourner des films sans période d’arrêt pendant longtemps.
Donnie Darko, « film culte ». Appréciez-vous cette étiquette ?
Ça ne me dérange pas. J’aimerais bien, un jour, avoir le mot « hit » accolé à l’un de mes films. Un vrai carton. Qui ferait de l’argent au box-office. Qui remplirait les salles dès le premier week-end. Je n’ai jamais connu ça. J’ai surtout vécu des flops dans ma vie. « Culte », c’est bien. Je l’accepte. Cela signifie que les gens continuent à parler du film après tant d’années et qu’il reste une base de fans passionnés. C’est toujours bon à prendre. Mais, définitivement, je préfère le mot « succès » ou « carton ».
« Voilà ce que je veux faire désormais : réussir des films inoubliables que les gens regarderont encore et encore. »
Le film a-t-il été lourd à porter ?
Un peu, à force. Disons que le succès critique de Donnie Darko m’a un peu mis la pression. Je me devais, pour mon second long-métrage, de parvenir à quelque chose d’aussi mémorable. Ceux qui sont venus le voir, ainsi que mon troisième film, les ont trouvés très intéressants. D’un certain point de vue, c’est plutôt rassurant. Ma grande peur est de faire un film dont personne ne se souviendrait ; un film jetable. Voilà ce que je veux faire désormais : réussir des films inoubliables que les gens regarderont encore et encore. Des films à grilles de lecture multiples que le public ne cessera de vouloir décoder.
J’imagine qu’avec Donnie Darko dans vos bagages, vous auriez pu également foncer tête baissée dans le cinéma « mainstream »…
Bien sûr. On m’a proposé énormément de projets, dont un nombre incalculable de films d’horreur. Mais cela ne m’intéresse pas de filmer un groupe d’ados se faire poignarder ou piéger dans une maison hantée. Cela m’ennuierait à mourir. C’est pour cela que j’ai préféré me concentrer sur l’écrit. Ces films, ce n’était pas mon public. J’aime les tournages compliqués, avec des décors naturels, que la mise en place d’un plateau elle-même me stimule…
« Cela ne m’intéresse pas de filmer un groupe d’ados se faire poignarder »
En quoi votre Director’s Cut va-t-elle aider ceux qui n’ont toujours rien saisi à Donnie Darko ?
La Director’s Cut donne clairement plus d’informations sur l’intrigue autant que sur les personnages. Il va également plus loin dans la découverte du livre La Philosophie du voyage dans le temps de « Grand-mère-la-mort » dont Donnie prend possession au cours du film. L’idée du livre n’est que survolée dans la version sortie dans les salles. Au fur et à mesure qu’il progresse dans sa lecture – avec les références aux différents chapitres -, cela donne au personnage principal la motivation de découvrir ce qui se cache derrière les hallucinations et les prémonitions dont il fait l’expérience. On en sait un peu plus sur l’architecture des 28 jours qu’il a devant lui avant la fin du monde. Mais beaucoup de gens ne souhaitent pas non plus avoir ce genre d’informations. Ils veulent que Donnie Darko reste plus énigmatique. Ça me va également. Quoiqu’il en soit, commencez toujours par la version « normale ». Après, si vous désirez savoir plus…
Votre premier souvenir de Jack Gyllenhaal ?
On était deux gamins à l’époque. J’avais quelque chose comme 24 ans, lui 18, 19 ans. Il venait de passer deux ans à l’Université de Columbia. Je me rappelle à quel point il débordait d’énergie. C’était l’archétype du gosse dingue de théâtre qui avait grandi sur ce terrain de jeu qu’est Los Angeles pour un acteur. Ses parents étaient célèbres, ils avaient beaucoup de succès. Lui était sous pression à cause des enjeux de ce rôle très sombre, très intense, et, en même temps, très structuré. Le scénario de Donnie Darko était bâti presque comme un calendrier : « tel jour, tel ressenti, telle sentiment. » Ça a été une expérience très forte car tout était réglé au millimètre. Entre chaque prise, je me souviens, il lâchait la pression, il courait dans tous les sens, il n’arrêtait pas de déconner, de nous faire rire, il faisait des imitations… Et puis, il y avait pas mal de ses amis d’enfance impliqués dans l’aventure, que ce soit comme acteurs ou non. Il avait fréquenté la Harvard-Westlake School, une école très chic de Los Angeles. Et beaucoup d’anciens élèves de cette école étaient présents sur le tournage : Maggie Gyllenhaal, sa propre sœur, Alex Greenwald qui joue Seth Devlin… Seth Rogen, dont c’est la première apparition à l’écran, devait aussi connaître Jack à l’époque. Ce tournage, c’était presque une histoire de famille.
« Tout acteur qui travaille à Los Angeles se retrouvera à plus ou moins court terme dans une franchise Marvel. Même Meryl Streep ne pourra y échapper ! »
Et maintenant, il joue Mysterio pour Marvel…
Écoutez, tout acteur qui travaille à Los Angeles se retrouvera à plus ou moins court terme dans une franchise Marvel. Même Meryl Streep ne pourra y échapper ! (Rires)
Restera-t-il jamais de la place pour le cinéma indépendant à Hollywood ?
Je ne sais pas. En tout cas, je l’espère. « Quelle que soit la formule, tant que ça marche… », c’est un peu le credo des studios aujourd’hui. Du paranormal, du gore, de la comédie potache et des super-héros : voilà à peu près tout ce qu’ils savent produire. Sans oublier, chaque année, deux ou trois films à Oscar, parce que c’est toujours agréable d’aller faire la fête après la cérémonie. Ensuite, c’est tout pour le streaming Netflix, Amazon… A l’époque de sa sortie, Donnie Darko a été vendu comme un thriller de science-fiction, mais c’était plus compliqué que ça. Beaucoup de distributeurs ne savaient pas trop quoi en faire. Aujourd’hui, je trouve le public plus sophistiqué. Il est beaucoup plus à l’aise face au mélange des genres.
Un réalisateur que vous appréciez actuellement ?
Jordan Peele. Pour sa capacité à mélanger horreur et humour avec une grande sophistication. Ce sont de genres qui fonctionnent merveilleusement si vous savez vous y prendre. Et lui y parvient très bien.
Vous parliez de problème de distribution à l’époque de Donnie Darko…
Oui. Le film avait reçu un accueil glacial à Sundance et personne ne souhaitait le distribuer. Il est sorti sur les écrans peu après le « 11 septembre », le public n’a pas suivi. Il avait coûté 4,5 millions de dollars et en a rapporté un peu plus de 7,5. Sincèrement, j’ai bien cru que ma carrière était terminée. Ce n’est seulement qu’après sa sortie en Angleterre que sa réputation a commencé à changer. Mais cela aura pris des années. Donnie Darko a été un vrai bide pendant longtemps.
Votre second long-métrage, Southland Tales avec Dwayne Johnson, a connu un camouflet terrible à Cannes en 2006. Certains journalistes parlent même depuis d’ « un effet Richard Kelly » lorsqu’un film se fait « basher » pendant le Festival…
Oh, mon Dieu ! J’imagine que je ne peux pas y changer grand-chose. A part proposer une séance de thérapie de groupe aux réalisateurs passés, eux aussi, par-là. Je me dis souvent que si Cannes l’avait refusé, nous aurions tout posé à plat et l’aurions retravaillé pour aller ensuite le présenter à Toronto. Southland Tales est un film si étrange, si inclassable, si peu adapté à ce qui est généralement présenté dans les festivals… Il est arrivé à Cannes, qui plus est, précédé d’une mauvaise réputation. Sans l’avoir vu, des gens racontaient que c’était raté, complaisant, que j’avais littéralement pété un câble. Cannes a peut-être été la pire tout comme la meilleure des choses qui lui soit arrivée. L’expérience, sur le coup, peut paraître dramatique, mais, à ce que je sache, personne n’en est mort.
L’avez-vous revu depuis ?
Oui. Il a été présenté récemment au LACMA (le plus grand musée d’art moderne de Los Angeles, ndlr). Une des plus belles soirées de ma vie. Le public s’enthousiasmait, riait, applaudissait à tout rompre. On se serait cru à un concert de rock !
Donnie Darko de Richard Kelly avec Jack Gyllhenhaal, Maggie Gyllenhaal, Patrick Swayze… Sortie le 24 juillet.