Le combat d’une jeune femme, brûlée à l’acide par son ex. Une femme qui doit affronter le regard des autres, avant de se reconstruire, d’apprendre à s’accepter et, peut-être, d’aimer à nouveau. Un long chemin vers la lumière, filmé par une réalisatrice néerlandaise, Sacha Polak, et une formidable actrice non-professionnelle, Vicky Knight, elle-même brûlée dans sa chair.
Propos recueillis par Marc Godin
A l’occasion de la sortie de cette œuvre époustouflante, à la fois insoutenable et délicate, rencontre avec Sacha Polak et son actrice, la formidable Vicky Knight.
Quelle est la genèse de Dirty God ?
Sacha Polak : Il y a quelques années, lors d’un festival de musique hollandais, Lowlands, j’ai posé mes yeux sur une fille avec le visage couvert de cicatrices. Tout le monde autour d’elle réagissait de la même façon, en essayant de détourner les yeux, mais en regardant malgré tout. Aussitôt, j’ai décidé de faire un film sur le sujet. Plus tard, à Londres, j’ai entendu parler des agressions à l’acide et j’ai commencé à interviewer des filles avec de nombreuses cicatrices. Je leur ai posé des questions sur leur vie quotidienne, leur vie amoureuse…
« C’est mon troisième long-métrage et mon objectif a toujours été de faire des films qui fonctionneraient bien sur le plan international. » Sacha Polak
Pourquoi avez-vous travaillé en Angleterre ?
Sacha Polak : J’ai commencé mes entretiens en Angleterre et mon projet avait ces racines là-bas, c’était comme une évidence. Vous savez, les attaques à l’acide sont un fléau en Angleterre (de fait, les chiffres s’envolent. De 2015 à 2018, ce sont 2 602 attaques à l’acide qui ont été perpétrées sur le territoire britannique, soit une quinzaine en moyenne par semaine, NDR). C’est mon troisième long-métrage et mon objectif a toujours été de faire des films qui fonctionneraient bien sur le plan international.
Pourquoi avoir choisi une actrice non professionnelle ?
Sacha Polak : Je n’ai jamais envisagé une actrice connue avec un super maquillage, je voulais vraiment quelqu’un qui avait connu ce drame dans sa chair. Mais je ne savais pas si une telle personne existait… J’ai donc commencé le casting avec mon producteur très en amont. Je n’avais pas d’argent mais nous avons commencé à chercher notre héroïne, en dormant dans des auberges de jeunesse. Nous avons écumé tous les hôpitaux, en essayant de trouver la perle rare. Et je suis tombée sur Vicky, qui n’avait pas vraiment envie de tourner dans un film…
Vicky Knight : J’ai commencé par décliner, car j’avais déjà été castée deux ans auparavant dans une émission de télé stupide qui montrait le quotidien de gens brûlés. J’avais accepté car la productrice de l’émission m’avait dit que ce serait l’occasion de mettre en lumière mon histoire. J’ai tourné dans cette émission mais cela s’est avéré être un programme de rencontre amoureuse, sans que ça ne me soit jamais vraiment dit clairement. C’était absurde. Surtout que je suis gay et qu’ils m’ont fait rencontrer un garçon. A la fin, j’ai découvert que l’émission s’appelait Too Ugly for Love (« Trop moche pour l’amour »). J’ai été publiquement humiliée et je me suis dit plus jamais ça ! Puis Sacha Polak m’a harcelé pendant un an, m’envoyant constamment des SMS, des petits mots… Un jour, elle m’a téléphoné en appel masqué, cette vieille ruse, et j’ai décroché. Elle a réussi à me convaincre en m’assurant que j’allais jouer un personnage et non moi-même. Et je suis devenue Jade.
« Avec ce film, je veux que les spectateurs comprennent qu’il y a une vie après les cicatrices. » Vicky Knight
Lors d’une conférence, vous avez déclaré que le film vous avait sauvé la vie.
Vicky Knight : Absolument. Avant le tournage, j’étais arrivé à un point où je ne voulais plus vivre, j’étais suicidaire. Je ne me sentais plus humaine. Avec toutes mes cicatrices, j’avais l’impression d’être un monstre. A huit ans, j’ai été brûlée dans un incendie où mes cousins ont perdu la vie. Vivre pendant 15 années avec ces cicatrices est un combat quotidien, où chaque jour est différent. Parfois je les accepte mieux, parfois je voudrais rester planquée. J’ai tout connu : les gens qui me défigurent comme un animal, une bête de foire, menacent de me brûler à nouveau, les passages à tabac après l’école… J’étais arrivée à un point où je ne voulais plus vivre. Mais avec ce film, je veux que les spectateurs comprennent qu’il y a une vie après les cicatrices.
Dirty God est un film sur le regard. Avant d’accepter, vous n’avez jamais eu peur du regard de votre réalisatrice, d’un voyeurisme éventuel ?
Vicky Knight : J’étais nerveuse, notamment à cause des scènes d’amour ou de masturbation. Comme n’importe quelle actrice. Montrer mon corps brûlée, mes blessures, mes cicatrices, c’était angoissant. Sacha a même commencé en filmant toutes mes brûlures en gros plan, comme si elles étaient des œuvres d’art. Maintenant, j’en suis fière et je suis heureuse que le monde puisse les découvrir. Et le tournage a été vraiment fun…
Sacha Polak : Les scènes d’ouverture sont essentielles. Je montre longuement le corps de Vicky. Après avoir vu les cicatrices, ces affreuses brûlures, le spectateur peut les oublier et se concentrer sur le personnage. C’était la même chose avec les femmes brûlées que j’ai rencontrées. Les cinq premières minutes, on ne voit que leurs cicatrices et puis, on les oublie.
Quelle est l’économie de ce film ?
Sacha Polak : Dirty God a coûté 2, 9 millions d’euros et nous avons tourné pendant 33 jours : 10 jours à Londres, les intérieurs en Hollande puis la fin au Maroc.
« Pour les scènes d’amour, j’ai regardé La Vie d’Adèle, un film incroyable. » Vicky Knight
Vous n’avez jamais eu de doute quant à votre actrice, dont c’était le premier film ?
Sacha Polak : Non, jamais ! Nous nous sommes longuement fréquentées avant le premier jour de tournage. J’ai fait beaucoup d’essai avec elle, je savais comment elle réagissait. Et dès que nous avons commencé le tournage, elle en a adoré chaque seconde. Elle était très professionnelle, géniale, très naturelle, très courageuse.
Et vous, vous étiez sûre de parvenir à jouer de ce rôle ?
Vicky Knight : J’ai beaucoup travaillé sur le scénario, nous nous sommes préparées. Et sur le set, j’adorais quand la caméra était sur moi, c’était une impression géniale. Et dès que j’avais un doute, Sacha me rassurait, m’aidait, me demandait de refaire la prise. Quand on me dévisage dans la rue, cela n’a rien à voir. Je n’ai jamais eu ce sentiment avec la caméra sur moi, et pourtant, je suis dans toutes les prises. Parfois, j’avais des doutes, notamment quand Sacha filmait mes cicatrices, mais qui s’envolaient quand je découvrais le résultat à l’écran. Pour les scènes d’amour, j’ai regardé La Vie d’Adèle, un film incroyable. Je suis allée regarder des sites comme ChatRoulette, puis quand nous avons tourné, Sacha me mimait les gestes. Nous nous sommes bien marrées. Je suis prête à recommencer. Si tu es actrice, ça fait partie du job. Tu joues, ce n’est pas la réalité.
J’ai l’impression que votre film est placé sous la double influence de Ken Loach et d’Andrea Arnold. Vous êtes d’accord ?
Sacha Polak : Ce sont deux de mes cinéastes préférées, donc j’accepte le compliment. Le film se déroule en Angleterre, donc il peut y avoir les influences de Loach ou d’Arnold. Mais avec ma façon de filmer, j’ai essayé de pénétrer dans l’esprit de mon personnage, notamment lors de la scène du car wash.
Quels sont vos projets ?
Vicky Knight : J’ai pris un agent et je veux vraiment continuer cette carrière. Je veux être actrice !
Sacha Polak : Nous allons refaire un film ensemble, j’écris le scénario en ce moment…
Dirty God de Sacha Polak avec Vicky Knight.
En salles le 19 juin 2019