Par Marc Godin

De Nazareth à Brooklyn en passant par Paris, Elia Suleiman balade son spleen, observe les absurdités du monde et rit pour ne pas pleurer.

Dix ans.

Cela faisait dix ans que l’on n’a pas dégusté un film d’Elia Suleiman. Né en 1960 à Nazareth, de parents arabes devenus subitement citoyens israéliens en 1949 après les accords d’armistice entre Israël et Palestiniens, Suleiman est l’enfant de la guerre et de l’exil.

Vers 20 ans, il s’installe à New York et s’invente dès 1991 un personnage de clown dépressif, nomade qui ne cesse de revenir sur les lieux de son enfance, sur les traces de son passé.

En 2002, il réalise Intervention divine, une comédie burlesque et politique où il explose un tank en lançant un noyau d’abricot, dénonce les horreurs de l’armée israélienne par petites touches absurdes et décroche le Prix du jury à Cannes.

Sept ans plus tard, il signe son chef-d’œuvre, Le temps qu’il reste, l’histoire d’une famille arabe israélienne de 1948 à nos jours. Il choisit la poésie contre l’exclusion, le rire contre les bombes pour un long-métrage d’une drôlerie bouleversante. Et puisque son film parle de son père et des territoires occupés, Suleiman divise l’espace avec des cadres composés comme un peintre. Il ne sera donc question que de pénétration, d’intrusion, d’espaces vides ou pleins, de territoires occupés ou désertiques, des murs, de portes, de vitres, de frontières, que l’on franchit. Ou pas…

C’est beau comme du Jacques Tati, du Buster Keaton ou du Takeshi Kitano, Plus que métaphorique, son cinéma est simplement poétique et, avec une succession de plans fixes, où règnent l’immobilité et le silence, Suleiman, tel Beckett ou Kafka, nous propulse dans un monde absurde, hors du temps, le sien, comme figé pour l’éternité, une pierre tombale dans le désert.

« Pas assez palestinien »

Présenté à Cannes, It must be Heaven marque donc le grand retour de Suleiman au cinéma. Il se met en scène, cheveux blanchis, les yeux écarquillés, le plus souvent silencieux, look Droopy, en metteur en scène un peu has been, à la recherche de fonds de financement pour son prochain film. De Nazareth à New York, en passant par Paris, il se penche sur de petites choses, fait une série de rencontres, drôles, burlesques, décalées.

A Nazareth, dans la maison de sa défunte mère, il observe, incrédule, son voisin lui voler les citrons de son jardin, avec le sourire, tous les matins. A Paris, il regarde les oiseaux et des flics, écoute le producteur Vincent Maraval (César du meilleur second rôle !) lui assurer que son film n’est « pas assez palestinien ». A New York, toujours en quête de financement, il croise Gael Garcia Bernal et découvre dans cette mégalopole qui a succombé à la tentation du tout sécuritaire que le monde s’est mis à l’heure palestinienne.

Une suite de saynètes, parfois inégales, où il témoigne de l’absurdité du monde, de la montée irrépressible de la violence. Mais le tout est transcendé par une science de la mise en scène, un jeu avec le hors-champ, un sens du cadre, de la composition, absolument ahurissants.

Soutenu par son directeur de la photographie Sofian El Fani (Timbuktu), Suleiman se révèle une fois encore un immense formaliste, et avec la précision millimétrique d’un chorégraphe, il joue sur la durée, étire ses plans séquences, et trouve souvent la grâce dans la simplicité d’une image qui touche au cœur.

Et pour lutter contre la folie d’un monde qui court à sa perte, il offre – dans un geste fou – 102 minutes de poésie et de beauté.

Simplement.

Sortie : 4 décembre 2019 – Durée : 1h42 – Réal. : Elia Suleiman – Avec : Elia Suleiman, Vincent Maraval, Gael Garcia-Bernal… – Genre : comédie – Nationalité : Française – Qatarienne – Allemande – Turque – Canadienne – Palestinienne

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