Lady Bird
Par Marc Godin
A Sacramento, la chronique enjouée d’une ado au bord de la crise de nerfs. Un bijou d’humour et d’émotion ciselé par la comédienne Greta Gerwig. Plus qu’un film, un miracle.
Je ne sais pas si Lady Bird est un grand film, ni même si c’est un chef-d’œuvre. Ce qui est bien plus fort et surtout bien plus rare, c’est que le film de Greta Gerwig te reconnecte avec tes sensations d’ado : tes révoltes, tes premiers émois, tes déprimes, tes espoirs, tes rêves… Avec une belle sensibilité et plus de sincérité que dans la plupart des films ultra-balisés sur l’adolescence, Lady Bird se balade entre les vestiges de l’enfance et les promesses de l’âge adulte, puis se transforme en un voyage dans le temps, avec une belle énergie vitale et une mélancolie qui te cloue au fauteuil, l’œil embué.
Récit d’apprentissage comme Les 400 coups ou Deep End, Lady Bird raconte la dernière année de lycée de Christine, cheveux roses, yeux translucides, un bras dans le plâtre, qui rêve de quitter sa mère envahissante, son père chômeur et la vie provinciale à Sacramento pour suivre des études, forcément plus excitantes, dans une école d’art new-yorkaise.
Car tout est banal dans la vie de Lady Bird (elle ne supporte plus qu’on l’appelle Christine) : son prénom tout d’abord, ses parents, son frère, ses copines, son lycée catholique, sa maison, son quartier… Tout est moyennement moyen, tandis que Lady Bird ne rêve que de s’envoler et note les noms de ses amoureux – un fils de bonne famille et une petit rebelle ténébreux – tout en haut du mur de sa chambre, au niveau du plafond.
En véritable auteur, Greta Gerwig, comédienne de 34 ans vue dans Frances Ha ou Mistress America, a écrit le scénario semi-autobiographique de son film. Et c’est un véritable tour de force. Elle évite tous les clichés du teen-movie classique (avec défonce, séance de baise, prout et fausse carte d’identité) et développe une narration absolument passionnante.
Elle décrit bien sûr plusieurs mois essentiels dans la vie de Lady Bird, s’accroche à une série de personnages hauts en couleur, mais Greta Gerwig ne raconte pas une histoire. Elle empile les anecdotes, les épisodes, les instants, des bribes, les émotions, laisse flotter le récit…
Elle peut s’attarder sur une virée en voiture ou couper cut une séquence émotion. Le temps file, la vie défile, trop vite, trop lente. Elle dilate le temps, saisit des fragments du réel, comme des pépites, les fait briller grâce à une écriture juste, drôle, sincère, et les immortalise de telle façon qu’il trouve une résonance en chacun de nous. Du grand art.
Greta Gerwig sur le tournage © DR
Entre John Hugues et… Eric Rohmer
Il y a une dizaine d’années, Greta Gerwig avait déjà coréalisé Nights and Weekends. Pour son second film, elle se révèle une cinéaste douée, sensible, qui semble à la fois inspirée par John Hughes et… Eric Rohmer, et qui peut dans la même séquence te faire marrer avant de serrer le cœur, avec un cadrage ou une rupture de ton.
Avec elle, une simple balade en voiture se métamorphose en odyssée de la nostalgie grâce à une série de travellings latéraux sur un paysage bucolique filmé du siège passager et elle transforme une séance de shopping en un règlement de compte à la Bergman. Pour parvenir à ce prodige,
Greta Gerwig a eu la bonne idée de s’entourer d’une équipe technique de toute beauté : le chef op de Frances Ha et Velvet Goldmine, le monteur de la série The Night Of, le musicien de Punch-Drunk Love, la costumière de The Cell…
C’est bien sûr du très beau boulot, loin des tics du cinéma indé US, mais là où Greta Gerwig passe à la vitesse supérieure, c’est dans la direction d’acteurs. Elle a réuni une série de comédiens attachants et magnifiques : Lucas Hedges, vu dans Manchester by the Sea et 3 Billboards, Timothée Chalamet, qui ne quitte plus les écrans (Call me by your Name et bientôt le western Hostiles), le dramaturge Tracy Letts (Killer Joe, Bug).
Timothée Chalamet ©Universal Pictures / Merie Wallace,
Insupportable, égocentrique et… attachante
Ils sont magnifiques, transcendés par la profondeur de leurs personnages et la richesse de leurs dialogues. Lady Bird est incarnée par l’impeccable Saoirse Ronan, vu dans Grand Budapest Hotel ou Lovely Bones. Elle est insupportable, égocentrique, attachante, délicieuse et Saoirse Ronan parvient à montrer toutes les facettes de cette ado en surchauffe.
Quant à la mère tyrannique, c’est Laurie Metcalf, abonnée depuis une vingtaine d’années aux séries TV, notamment Roseanne. Elle est extraordinaire et les scènes entre les deux comédiennes forment le noyau nucléaire du film, le centre autour duquel tout gravite et s’articule.
Nommé dans cinq catégories majeures des Oscars (dont Meilleur film et Meilleur réalisatrice), Lady Bird est reparti bredouille de la cérémonie.
Date de sortie : 28 février 2018 – Durée : 1h35 – Réal. : Greta Gerwig – Avec : Saoirse Ronan, Laurie Metcalf, Timothée Chalamet… – Genre : comédie, drame – Nationalité : Américaine
Car tout est banal dans la vie de Lady Bird (elle ne supporte plus qu’on l’appelle Christine) : son prénom tout d’abord, ses parents, son frère, ses copines, son lycée catholique, sa maison, son quartier… Tout est moyennement moyen, tandis que Lady Bird ne rêve que de s’envoler et note les noms de ses amoureux – […]