Par Marc Godin

Sous le soleil éclatant de la Suède, un couple au bord de la rupture assiste aux cérémonies d’un autre âge d’une secte d’illuminés. Après Hérédité, le nouveau chef-d’œuvre vénéneux d’Ari Aster.

Ari Aster veut te mettre le cerveau à l’envers.
Et te griller les neurones.
Avec un film d’horreur.
En pleine lumière, sous le soleil d’été de la Suède.
Simplement avec puissance tellurique de sa mise en scène qui évoque parfois la maîtrise d’un Kubrick.

Et une série de plans et de visions encore jamais vue sur un écran : une route filmée à l’envers, une porte qui ouvre sur un autre espace, le décor qui se met à vaciller, la bouffe qui prend vie et le spectateur qui commence à se recroqueviller dans son fauteuil, submergé par un sentiment d’inquiétante étrangeté qui ne va plus le lâcher lors d’une heure d’un trip hallucinogène, cauchemardesque et vénéneux.

Mais reprenons depuis le début.

On a découvert Ari Aster, 33 ans, l’année dernière avec un chef-d’œuvre authentiquement terrifiant, Hérédité, plongée dans les ténèbres d’une famille pour le moins dysfonctionnelle. Un des meilleurs films 2018, ambitieux, perturbant, définitif, qui explose le cahier de charges des habituels tâcherons de l’horreur, et la révélation d’un talent inouï, avec un Ari Aster aussitôt sacré comme le boss de l’horreur viscérale.

Avec son nouveau film, commande d’une société suédoise, Aster semble prendre le contrepied de son film précédent, une œuvre solaire, en pleine campagne alors qu’Hérédité s’apparentait à un huis-clos claustro dans l’obscurité.

Mais Midsommar et Hérédité sont les deux faces de la même pièce, des films jumeaux, du cinéma-trauma, des odyssées intérieures, descriptions de structures vacillantes (familles ou couple), de personnages dérangés, ravagés par le deuil. Dans la maison-piège de Toni Colette ou l’immensité de la nature nordique, Aster t’attend de pied ferme avec ses idées tordues et sa caméra-guillotine.

Pour te mettre le cerveau à l’envers.

Scènes de la vie conjugale à la tronçonneuse

D’après Ari Aster, Midsommar est un « break up movie », l’histoire d’un échec amoureux, d’une rupture, entre Dani une étudiante traumatisée par un triple deuil et son boyfriend un peu veule, Christian, qui attend le meilleur moment pour la larguer.

Au pays du réalisateur de Scènes de la vie conjugale, ça ne manque pas de sel… Car nos deux « tourtereaux » s’envolent avec d’autres étudiants en anthropologie pour passer une partie de l’été en Suède, au milieu d’une communauté rurale, afin d’assister à une cérémonie champêtre qui se déroule tous les… 90 ans.

Et si on commence avec de gentils hippies habillés en blanc, avec fleurs dans les cheveux, qui dansent dans les champs en faisant la farandole, la communauté de babas pas cools va bien sûr se révéler beaucoup moins peace and love que prévu, avec une prédilection pour des rituels d’un autre âge…

Trip convulsif

Alors que depuis des années le genre est pollué par des séries Z type Annabelle, Conjuring et autres bêtises made in Jason Blum, Midsommar brise tous les codes. Le film dure 2H 20, ce qui est un format plutôt inhabituel pour un film d’horreur, refuse les jump scares et autres facilités habituelles, et se révèle résolument ambitieux comme le Suspiria version 2018 de Luca Guadagino, avec en bonus les ombres noires d’Ingmar Bergman et de Stanley Kubrick qui irradient la pellicule.

Et tandis que les membres de la secte révèlent peu à peu leurs vrais visages, Ari Aster sort le grand jeu. Avec pour armes son génie de la mise en scène, ses mouvements de caméra ultra-précis, son sens la symétrie, son travail sur la photo avec son chef opérateur fétiche Pawel Pogorzelski qui évoque le mirifique Narcisse Noir ou la musique de The Haxan Cloak (Triple 9, Hacker) Ari Aster joue la carte du trip hypnotique.

Et tandis que l’horreur se déchaîne, que le chaos devient l’ordre du monde, Aster dérègle nos sens, comme Kubrick avec The Shining, son récit labyrinthique se métamorphosant en un voyage au cœur d’une psyché blessée. La mise en scène agit comme une drogue, comme un poison qui te plonge dans un vertige convulsif.

A plusieurs reprises, Midsommar s’apparente à expérience hallucinatoire et plusieurs fois, je me suis demandé si je voyais réellement ce qui se passait sur l’écran ou si, comme certains personnages, je n’étais pas moi aussi victime d’hallucinations. Une expérience que l’on vit rarement au cinéma.

Un des très grands films de 2019 et la confirmation de l’immense talent d’Aster.

Skol !

Sortie : 31 juillet 2019 – Durée : 2h27 – Réal. : Ari Aster – Avec : Florence Pugh, Jack Reynor, Will Poulter… – Genre : horreur – Nationalité : américaine

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