ça
Par Marc Godin
C’est une des meilleures surprises de l’année. Un excellent film d’épouvante qui nous venge de toutes les merdes préfabriquées genre Annabelle, Conjuring, Saw et autres remakes pathétiques de Massacre à la tronçonneuse. Peut-être pas le film du siècle comme l’a déclaré un Xavier Dolan en totale érection, mais une œuvre incandescente, une des plus fidèles adaptations d’un roman de Stephen King.
Le premier atout de ça, c’est son script remarquablement ciselé par trois novices : le cinéaste Cary Fukunaga, Chase Palmer dont c’est le premier scénar et Gary Dauberman, scribouillard pathétique des deux Annabelle. Vous connaissez tous l’histoire de ça, sa petite ville pavillonnaire du Maine, son clown tueur, sa bande de « losers », ses parents pour le moins à côté de la plaque. Le bouquin de King, un de ses plus puissants, est un pavé qui se déroule sur deux époques. Les scénaristes ont eu l’excellente idée de simplifier la chronologie et d’ancrer la narration pendant l’adolescence des héros. Pas de flashbacks, pas de jeux temporels, juste une action qui se déroule dans les années 80 (et non, comme dans le roman, en 1957). Assez nombreux, les personnages sont remarquablement dessinés. Ils ne sont pas archétypaux mais complexes, contradictoires. Donc contrairement à un Conjuring 28 ou Poltergeist 59 où les « héros » sont de la chair à découper, du condiment pour psychopathe, ici le spectateur vibre, tremble dès qu’ils sont soumis à la moindre épreuve.
Les scénaristes accumulent les scènes de flip, des passages ahurissants avec les parents, des séquences anthologiques et bien sûr quelques jump scares bien sentis, tout en faisant monter la pression crescendo pendant 2H30. Depuis quand n’avez-vous pas vu un film d’horreur de 150 minutes qui tienne ses promesses jusqu’au générique final (le très prometteur A Cure for Life s’effondrait au bout de… 60 minutes) ? Film d’épouvante avec un supplément d’âme, récit d’apprentissage, ça tisse des correspondances entre les peurs surnaturelles (démons, zombies, maisons hantées…) et les terreurs du quotidien des enfants (persécution par les caïds de l’école, deuil, torture, violences domestiques…). De fait, cette adaptation représente la substantifique moelle de l’œuvre de Stephen King. L’horreur, l’enfer, ce ne sont pas les monstres du placard, les psychopathes ou les fantômes, ce sont les … parents. Un romancier alcoolique qui veut découper son môme à la hache (Shining), une mère bigote et démente qui rêve de sacrifier sa fille (Carrie), ici une mère abusive, un flic violent et psycho ou un père pédophile.
Antoine Reinartz © Saltzgerber&Co. Mediem GmBH
ça n’est assurément pas un film d’auteur. A l’origine, Cary Fukunaga, réalisateur de la série télé True Detective, devait le mettre en scène. Après son départ (on parle pudiquement de « divergences artistiques »), la Warner confie le bébé à l’Argentin Andrés Muschietti, 44 ans, réalisateur de Mama (2013) avec Jessica Chastain. Alors qu’il venait de fuir la production de La Momie avec Tom Cruise, Muschietti hérite d’un scénario déjà finalisé, de nombreux choix artistiques de son prédécesseur et d’un temps de pré-production réduit. Pour ce film de commande, il va néanmoins faire quelques choix incroyablement judicieux. Tout d’abord, il va embaucher Chung Chung-hoon, le chef op de Park Chan-wook, l’homme qui a illuminé Old Boy ou Mademoiselle. Un génie. Regardez la première apparition de Pennywise dans la bouche d’égout. On ne voit d’abord que ses yeux, puis son visage s’illumine, dans une lumière sépulcrale. L’image du film est mordorée, charnelle, entre le paradis de l’enfance et l’enfer de Gustave Doré.
Esthétiquement, c’est une merveille. Marqué au fer rouge par des films comme L’Abominable docteur Phibes ou Le Survivant avec Charlton Heston, Muschietti est un homme de goût : un des monstres du film, la femme à la flûte, sort directement d’un tableau de Modigliani (un tableau qui l’avait tétanisé étant enfant). Grâce à sa science de la mise en scène qui évoque la générosité et la force d’un Steven Spielberg, Muschietti porte l’épouvante à l’incandescence. Il refuse la plupart du temps le jump scare facile, et plus intelligemment, il parvient à générer une angoisse sourde, profonde, poétique, qui évoque l’imaginaire enfantin et qui nous renvoie à nos peurs primales. Je pense notamment cette scène ahurissante des cheveux qui sortent du lavabo et du sang qui asperge la salle de bain de l’adolescente. Inoubliable.
L’autre idée géniale d’Andy Muschietti, c’est d’avoir embauché Bill Skarsgård, hallucinant en Pennywise avec son sourire-rictus imparable et ses yeux qui partent dans tous les sens durant les séquences-chocs. Avec les mômes incroyablement castés, il est la révélation de ce lettre sanglante à notre enfance perdue, dévastée.
Hautement recommandé.
Date de sortie : 20 septembre 2017 – Durée : 2h15 – Réal. : Andy Muschietti – Avec : Bill Skarsgard, Jarden Lieberher, Finn Wolfhard… Genre : horreur Nationalité : américaine
Les scénaristes accumulent les scènes de flip, des passages ahurissants avec les parents, des séquences anthologiques et bien sûr quelques jump scares bien sentis, tout en faisant monter la pression crescendo pendant 2H30. Depuis quand n’avez-vous pas vu un film d’horreur de 150 minutes qui tienne ses promesses jusqu’au générique final (le très prometteur A […]