Voyoucratie
Par Marc Godin
Dans une cité, une racaille consumée par la rage se retrouve pris au piège d’un engrenage infernal. Un thriller hardcore, réalisé lors d’un tournage guérilla par deux surdoués, le tandem FGKO. Plus qu’un film, un cocktail Molotov.
Aseptisé, déconnecté de la réalité, bourgeois, insupportable de prétention ou de médiocrité, le cinéma français n’en finit plus de bégayer, de ronronner et d’endormir. Il y a bien sûr des auteurs passionnants en France, mais pour un Léos Carax, un Gaspar Noé, un Guillaume Nicloux, un Bertrand Bonello ou un Jacques Audiard, combien de comédies débiles avec Kev Adams ou Jamel, de drames conjugaux dans un loft du 11e, de pamphlets sociaux qui nous balancent des messages importants comme le racisme, c’est mal, l’amour, c’est bien ou ensemble, on est plus forts ?
Néanmoins, de temps à autre, un ovni nous parvient, nous réveille, nous griffe la rétine. Dans ce contexte déprimant, Voyoucratie est une vraie bonne nouvelle.
Petit film venu de nulle part, tourné grâce au système D par deux jeunes mecs qui n’avaient même pas 30 ans, c’est un thriller hardcore, violent, sans concession, irrigué par une énergie absolument renversante.
Pendant 90 minutes qui filent à la vitesse de la lumière, le film colle aux basques de Sam, racaille de banlieue qui vient de plonger pour un braquage de superette. A sa sortie de prison, Sam retrouve la rue, zone dans sa cité, picole en bas de immeubles, traficote, agresse les filles dans le métro avec un cutter, tente de reprendre sa place auprès de sa femme et son tout jeune fils.
Paumé, à la ramasse, rongé par une haine dévastatrice, irrécupérable ( ?), il se remet à dealer pour le compte d’un caïd, accepte un contrat, et devient la cible d’une bande de flics coriaces qui l’obligent à balancer. Le piège autour de Sam est grand ouvert, il va vite se refermer…
Impossible de parler de Voyoucratie sans parler de sa conception et de sa réalisation chaotique. Issus de la banlieue, Fabrice et Kevin, nom de guerre de FGKO, se rencontrent sur les bancs d’une école de ciné. Coup de foudre : ils aiment Stallone, Schwarzy, Kubrick, Cameron et Scarface. Ils quittent leur école de ciné avant le diplôme, commencent dans une boite de pub, galèrent, puis décident de foncer, d’apprendre sur le tas. De faire, quoi !
Il y a quatre ans, ils se lancent dans un court-métrage, Voyoucratie. Puis, ils ne vont avoir de cesse de faire de ce court un long, grappillant du pognon pour obtenir une journée de tournage en plus, une séquence de plus, déchirant des pages de scénario suivant l’économie du moment, bouclant les scènes en une seule prise, le tout grâce au support indéfectible de leurs comédiens et de l’équipe technique. A l’arrivée, le film se tournera sur moins de vingt jours, pour la somme dérisoire de 100 000 euros, le budget apéro de Valérian de Luc Besson. Un putain de tour de force !
les deux réalisateurs, alias fgko sur le tournage © Alex Pixelle
Le duo FGKO n’a peur de rien. Leur scénario, c’est Ma 6T va craquer puissance 1000. Il montre la face sombre des cités : le deal, la loi du plus fort où l’on règle ses comptes à coups de flingue, de cutter ou de batte de baseball et des mecs en marge dont la vie se résume à la délinquance, la prison ou la mort.
Dans ce territoire sans loi, c’est la misère, le chômage, la peur, les bandes. Avec courage, FGKO décrit le quotidien misérable du lupenprolétariat de la banlieue, l’inéluctabilité du pire, le déterminisme social, les vies brisées, dans une banlieue sans fard.
Leur anti-héros, Sam, est une petite frappe, un dealer, un mec fruste et vicieux qui attaque les femmes sans défense, prêt à tout pour survivre. Comme il est pour le moins difficile de s’identifier à un tel personnage, FGKO lui offre un atout qui le sauve : son amour naissant pour son fils. Et on le suit pendant sa descente aux enfers, qu’il soit bourreau ou victime.
sam incarné par salim kechiouche et sa lueur d’espoir, son fils © dr
Sur le plan de mise en scène, Voyoucratie défonce tout. Pendant 90 minutes, FGKO fonce bille en tête, avec une énergie revigorante, une envie de tout bouffer. Les garçons enchaînent les scènes d’action, les confrontations haute tension, les scènes plus introspectives.
C’est violent, simple comme un uppercut, incroyablement puissant, et le film évoque la rage tellurique des deux premiers Pusher, de Nicolas Winding Refn. Il y a pire comme référence… En tout cas, on est à mille lieues du cinéma de banlieue habituel, des niaiseries de Luc Besson ou du territoire fantasmé par Jacques Audiard.
Le tout, je vous le rappelle, dans une économie dérisoire, tourné sans autorisation dans les rues de Paris ou de la banlieue, et avec l’obligation de mettre la scène en boîte dès la première ou deuxième prise. Devant la caméra, FGKO réussi à réunir un casting vraiment épatant, Salim Kechiouche, vu chez Kechiche, absolument dément dans le rôle de Sam, Abel Jafri, habitué du cinéma de Rabah Ameur-Zaïmeche, Hichem Yakoubi (Un prophète) ou encore le terrifiant Jo Prestia (le violeur d’Irréversible).
Vous savez ce qu’il vous reste à faire…
Date de sortie : 31 janvier 2018 – Durée : 1h24 – Réal. : FGKO – Avec : Salim Kechiouche, Abel Jafri, Hichem Yacoubi… – Genre : drame, français – Nationalité : française
Pendant 90 minutes qui filent à la vitesse de la lumière, le film colle aux basques de Sam, racaille de banlieue qui vient de plonger pour un braquage de superette. A sa sortie de prison, Sam retrouve la rue, zone dans sa cité, picole en bas de immeubles, traficote, agresse les filles dans le métro […]