Once Upon a Time in… Hollywood
ILS N’ONT PAS VU LE MÊME FILM
Le POUR et le CONTRE des journalistes de SEE
POUR : CINEMA MON AMOUR !
Par Tramber
1969, Rick Dalton, star de séries TV voit sa carrière décliner. Lui et sa doublure le cascadeur Cliff Booth, vont devoir faire Face à un Hollywood qui se métamorphose. Le controversé Quentin Tarantino signe ici son meilleur film depuis Jackie Brown.
Faussement cool
Sous ses airs « cool », Once Upon a Time… in Hollywood, le neuvième film du réalisateur de Pulp Fiction, est une œuvre totalement crépusculaire avec toute l’angoisse mais aussi toute la beauté que véhicule ce terme.
Crépusculaire d’abord, parce que Rick Dalton, joué par l’impeccable Leonardo DiCaprio, se voit obligé de dire adieu à un type de cinéma qu’il a connu pour faire face à un nouvel Hollywood, un nouvel Hollywood qui ringardise instantanément et sans pitié l’âge d’or qu’il a vécu pour laisser la place à une ère plus moderne et radicalement différente. Tarantino déclarant ceci : « Rick Dalton a un peu de George Maharis en lui, mais il ressemble aussi un peu à Edd Byrnes, à Tab Hunter, à Vince Edwards (…). Ce sont tous des mecs qui étaient beaux. Et tout à coup, du jour au lendemain, les acteurs deviennent des types androgynes aux cheveux longs et poilus, comme Michael Sarrazin, Peter Fonda ou le jeune Michael Douglas. »
Crépusculaire aussi dans sa réalisation, une réalisation qui sur le plan formel balance sans avarice du coucher de soleil californien jusqu’à une nuit qui laisse présager une fin, puis un renouveau, comme une métaphore de la situation de Dalton et d’Hollywood.
Un crépuscule largement traité également par la présence presque fantomatique, comme une contrainte ou un obstacle obligé, de la Family, la secte de Charles Manson, en opposition avec le personnage de Sharon Tate, qui représente un avenir radieux et optimiste et un tantinet naïf.
Du cinéma à tous les étages
Mais Once Upon a Time, c’est aussi l’œuvre d’un réalisateur au sommet de son art, difficile de quantifier les fulgurances visuelles de ce film tant elles sont nombreuses. Tarantino joue avec la caméra avec une telle virtuosité, il la pose toujours au bon endroit, fait des travelings, des plan-séquences, des plans tout court mais complètement inattendus, le tout réglé comme un système de haute horlogerie qui met clairement à l’amende les « faiseurs » du moment avides d’action sans cinéma dedans.
Tarantino, en plus d’être souvent accusé de plagiat par ses détracteurs, se voit également souvent reproché une sorte de machisme dans ses films, Dans Once Upon a Time, le cinéaste torpille en une scène cette théorie. Lorsque Rick Dalton, joué par DiCaprio, rencontre une très jeune actrice qui sera sa partenaire de jeu, qu’il est submergé par une profonde tristesse créée par son nouveau statut d’acteur « has-been », et que face à ses larmes, la jeune comédienne entreprend de le rassurer et de le renarcissiser. Tarantino inverse là les rôles, l’enfant devient l’adulte et surtout la mère, tandis que Dalton redevient le petit garçon qui rêvait d’être une star. Comment mieux statufier la femme ?
Les bons mots de Tarantino
Depuis 1992 avec Reservoir Dogs, son premier film, on sait que le réalisateur aime les mots, et les bons mots, comme d’habitude chez Tarantino il réside une sorte de jubilation dans les dialogues, une jubilation que chaque comédien ou comédienne déclame sans cacher sa joie.
Tarantino aime les acteurs, et côté casting, comme écrit plus haut, DiCaprio laisse exprimer sans inhibition tout le talent qu’on lui connait, Brad Pitt confirme à celui qui en doutait encore, qu’il est réellement un immense acteur, la délicieuse et ultra talentueuse Margot Robbie incarne une Sharon Tate touchante car remplie d’allégresse, d’optimisme et d’une certaine innocence, quant aux rôles secondaires, Al Pacino cabotine comme jamais mais j’aime ça aussi et Mike Moh livre une version de Bruce Lee dont je vous laisse apprécier… ou pas, la vanité et l’orgueil du personnage.
Sortir du lot
En ces temps d’hystérie super-héroïque, et dans lequel ce nouvel Hollywood de 1969 semble 50 ans plus tard, avoir lui-même laissé la place au règne de « réalisateurs faiseurs » doués mais sans magie particulière, Tarantino émerge du lot et fait ici une épatante déclaration d’amour à ce cinéma à qui il a tant donné mais dont il a reçu aussi beaucoup, à commencer par une Palme d’Or pour Pulp Fiction, et une reconnaissance et un respect du public rarement atteints chez un cinéaste.
Et pour sa déclaration il a eu la bonne idée comme dans tous ses films, de faire vraiment du cinéma, et comme à son habitude, il livre une œuvre à plusieurs niveaux de lecture, avec pas mal de couches sous le vernis hollywoodien.
Once Upon a Time In… Hollywood ne ressemble à rien de ce qui se fait aujourd’hui, Tarantino est de retour et il surprend à nouveau avec un film crépusculaire, mais finalement bien « cool » quand même.
CONTRE : UNE LETTRE D’AMOUR AVEC UN DRÖLE DE PARFUM
Par Marc Godin
En 1969, Leonardo DiCaprio et Brad Pitt déambulent et déblatèrent dans L.A., tandis que les tueurs de la Manson Family rôdent. Signée Quentin Tarantino, une lettre d’amour au cinéma, mal écrite et avec un drôle de parfum.
C’est la rock star des réalisateurs, le dieu des geeks, le prince de la pop culture et du marketing.
Chacun de ses films est un événement et Quentin Tarantino, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est vénéré par la critique et des hordes de fans dans le monde entier.
C’est aussi le roi du copier/coller, du cool et du tape-à-l’œil. Mais son côté alchimiste du cinéma, je transforme les images chocs et des musiques oubliées collectées dans d’obscures séries B voire Z et je les monte style rockn’ roll, m’a toujours semblé d’une terrible vacuité.
Depuis Reservoir Dogs, notre homme s’apparente à une espèce de DJ postmoderne, compilant, remixant le cinéma de genre – western spaghetti, film de blaxploitation, de guerre ou chambara – pour en faire des condensés de pop culture, quelque chose comme « Le Cinéma de genre pour les Nuls ». Désolé, je préfère l’original et je m’ennuie copieusement en écoutant la petite musique de QT.
Néanmoins, Tarantino a du goût et du talent, il sait filmer, ciseler des dialogues-uppercut, aime les acteurs, mais ses personnages ne sont que des stéréotypes vides, des pantins désincarnés. QT ne parle de rien, ne dit rien (ah ouais, il y a des messages politiques ?), se contentant de se masturber avec son amour pour le 7e art et ses pseudos références méta.
De son cinéma, je n’aime que Reservoir Dogs, révélation d’un talent unique pour la construction narrative, les dialogues et le repompage…, et Boulevard de la mort, une histoire de cascadeur psychopathe, racontée deux fois, avec scratchs sur pellicule et jump cuts, une véritable installation d’art contemporain qui te reconnecte avec tes sensations de malade de ciné, éprouvées lors des doubles-programmes de série B dans des cinémas de quartier miteux.
Plus récemment, si j’ai trouvé Django regardable, j’ai copieusement détesté Inglourious Basterds, avec ses soldats bas de plafond qui discutent pendant des plombes, un Adolf Hitler devenant tout rouge et piquant de grosses colères en hurlant « Nein, nein, nein » comme Jacques Villeret dans Papy fait de la résistance. Avec Les 8 salopards, c’était presque pire. Trois heures de bavardage sur rien, 180 minutes de torture et de coups de poing dans la gueule pour la pauvre Jennifer Jason Leigh, transformée en paillasson humain, un Dix petits nègres au Far West, stupide, avec des geysers de sang et de barbaque pour masquer un scénario avec des trous gros comme le Wyoming. Beurk…
Il était une fois…
Quatre ans après cet échec public et critique, QT revient avec son neuvième et peut-être ultime film : One upon A Time in… Hollywood. L’action de ce « conte » se déroule en 1969, entre le 8 février et le 8 août, veille du massacre de l’actrice Sharon Tate par les hippies dingos de la secte de Manson.
Le film est composé d’une série de petits flashbacks inoffensifs, de digressions, d’extraits de faux films, Leonardo DiCaprio incrusté dans La Grande Evasion à la place de Steve McQueen, et deux arcs narratifs distincts : quelques moments dans la vie de Sharon Tate (incarnée par Margot Robbie qui va dans des fêtes avec Polanski, marche pieds nus, ressemble au ravi de la crèche) et l’amitié indéfectible entre l’acteur Rick Dalton (Leo DiCaprio) et son cascadeur Cliff Booth (Brad Pitt).
Alcoolique, dépressif, Rick est sur la pente descendante. Il a eu son heure de gloire dans des séries télé, mais devenu un has been, il se voit proposer par Marvin Schwarz (Al Pacino) de tourner de séries B en Italie. La lose, quoi…
Chilling with Leo and Brad
Et, c’est tout ! Avec Once upon the Time in… Hollywood, QT signe son « scénario » le plus relâché, le moins vissé. Pendant 2H 42 (il y a, comme dans Les 8 Salopards au moins 40 minutes de trop), il déclare son amour au 7e art avec cette œuvre de fétichiste malade qui compile les plans sur les affiches, vraies ou fausses, les frontons des cinémas, les drive-in, les projecteurs 35mm, avec de multiples références aux œuvres ou séries qu’il a aimées et des clins d’œil à ses propres films.
Le problème, c’est la dramaturgie. Ce n’est pas la première fois que l’on construit une histoire en délaissant le personnage principal pour s’intéresser à deux figures obscures, c’est même le principe narratif de Rosencrantz et Guildenstern sont morts du dramaturge Tom Stoppard, qui laisse Hamlet dans l’ombre pour suivre à la trace deux anti-héros, marionnettes pathétiques d’un destin qui n’est pas le leur.
Ici, QT abandonne très vite l’arc narratif consacré à Sharon Tate, pour mieux se consacrer à ses voisins miteux, Rick Dalton et Cliff Booth. La famille Manson est tapie dans l’ombre, attend son heure et QT goupille un suspense morbide avec Sharon Tate qui doit mourir, lacérée de 16 coups de couteau, alors qu’elle est enceinte de huit mois.
Mais QT semble tellement aimer ses deux héros qu’il les filme inlassablement en voiture, devisant à l’infini sur des sujets divers et variés, allant au studio, revenant du studio, retournant au studio… Les dialogues ne sont pas vraiment funky (« We love Pussy. Yes we do. »), certaines séquences sont interminables, répétitives, mais DiCaprio et Pitt sont tellement cools, tellement brillants dans leur Cadillac vintage que l’on regarde leurs virées un sourire vissé aux lèvres.
Pour le reste, QT multiplie les plans à la grue, change de registre, filme une baston avec Bruce Lee, des bouts de westerns, des pieds (sales) de filles, le cabotinage enfiévré d’Al Pacino (pourquoi l’avoir embauché pour un rôle aussi pauvre ?) et transforme une scène dans le ranch de la Manson Family en séquence d’horreur en plein jour.
Féminicide
D’autres aspects sont autrement plus problématiques. Le personnage de Sharon Tate est inexistant et Margot Robbie n’a que cinq pauvres répliques. C’est une potiche qui se marre en regardant la vraie Sharon Tate dans le film Matt Helm règle son compte, privée de parole (sois belle et tais-toi). Après avoir massacré Jennifer Jason Leigh pendant trois heures dans Les 8 Salopards, QT explose dans le final deux femmes dans un déluge de coups, défonce les crânes et fait sortir la viande de l’emballage, suscitant les rires des spectateurs devant cette violence mi-dégueulasse, mi-cartoonesque.
J’ai toujours trouvé la violence de QT envers les femmes pour le moins suspecte (revoyez Inglourious ou Les 8 Salopards), mais ici, dans son premier film depuis 25 ans sans son producteur fétiche, le célèbre philanthrope Harvey Weinstein, QT prend pour héros un cascadeur soupçonné d’avoir assassiné sa femme. Un tueur de femmes incarné par le sex-symbol uber-cool Brad Pitt, qu’il filme comme un modèle de fidélité et de droiture, n’est-ce pas un poil problématique ?
Mais un tueur avec des principes :
» Est-ce que tu veux que je te suce la bite pendant que tu conduis ? »
» Tu as quel âge ? »
C’est drôle, non ? Et dire qu’aux États-Unis, le film a suscité une polémique parce que Pitt met une branlée à… Bruce Lee !
A l’arrivée, Once upon a Time in… Hollywood laisse un drôle de goût dans la bouche. Tu as quelques moments d’anthologie, des acteurs, notamment Brad Pitt, au summum de leur talent, une playlist d’enfer, une nostalgie qui évoque Jackie Brown, le Hollywood de 1969 recrée avec maniaquerie, mais le film ressemble surtout à une suite de sketchs, une série Netflix qui avance par à-coups et qui ne va nulle part.
Mais surtout, Once upon a Time in… Hollywood génère une interrogation : qu’a bien donc essayé de nous dire Quentin Tarantino pendant ces 162 interminables minutes ?
Sortie : 14 août 2019 – Durée : 2h41 – Réal. : Quentin Tarantino – Avec : Leonardo DiCaprio, Brad Pitt, Margot Robbie… – Genre : comédie – Nationalité : Américaine
Crépusculaire aussi dans sa réalisation, une réalisation qui sur le plan formel balance sans avarice du coucher de soleil californien jusqu’à une nuit qui laisse présager une fin, puis un renouveau, comme une métaphore de la situation de Dalton et d’Hollywood. Un crépuscule largement traité également par la présence presque fantomatique, comme une contrainte ou […]