Veuve et dépressive, Frances McDormand erre avec son van au sud de nulle part et croise les laissés-pour-compte du rêve américain. Lion d’or à Venise, trois Oscars, dont celui du meilleur film : un des très grands longs-métrages de 2021 et la confirmation du talent étincelant de la réalisatrice Chloé Zhao.

Par Marc Godin

Née en Chine, scolarisée en Angleterre, émigrée aux Etats-Unis, Chloé Zhao, 39 ans, nous a déjà balancé deux directs au cœur : Les chansons que mes frères m’ont apprises (2015) et The Rider (2017), tournés sur la réserve sioux du Dakota du Sud, qui jouent avec les codes du western et de la pastorale américaine.

Du ciné en liberté, tellurique et brûlant, sur les laissés pour compte du rêve US, qui fait le grand écart entre le documentaire pur et dur et la poésie de Terrence Malick.

De fait, Chloé Zhao est le talent le plus parfait, le plus évident à nous parvenir des USA depuis des années et semble appeler à régner (elle vient de boucler son premier blockbuster Marvel, The Eternals).

Un road-movie mélancolique

Avec Nomadland, récompensé de trois Oscars majeurs (meilleur film, meilleure réalisatrice, meilleure actrice), elle creuse le même sillon, signe un road-movie mélancolique, redonne un visage et leur humanité aux invisibles et ausculte cette fois les hobos, une communauté de voyageurs qui a élu domicile dans des caravanes rouillés. Et colle aux basques de Fern, une sexagénaire peu amène qui a tout perdu : son mari, décédé d’un cancer, sa maison, son travail dans une petite ville du Nevada, ses amis.…

Pour survire, elle traverse les États-Unis au volant de son vieux van, de petits boulots chez Amazon en grosses galères, et se rapproche parfois d’une communauté de septuagénaires lessivés par la retraite ou la crise économique. Incapable de saisir une main tendue, elle affronte au fil des saisons le froid, la dépression, la solitude, dans un monde hostile, voire indifférent, où une panne de voiture ou un pneu crevé peuvent signifier un aller sans retour vers le précipice…

Aller simple vers le grand nulle part

Comme pour ses précédents films, Chloé Zhao a recruté des non-professionnels, ici de vrais nomades sélectionnés sur les différents lieux du tournage, qui racontent leurs vies face caméra et qui transforment le scénario au gré de leurs performances.

Le temps s’arrête alors et ces monologues, entre rap et slam, t’arrachent le cœur. Entre deux rencontres aussi furtives qu’intenses, l’image du compagnon de Zao, le directeur de la photo Joshua James Richards, passe du réalisme documentaire au lyrisme le plus absolu.

De la poésie en mouvement

Chloé Zhao cadre le ciel, la route, un visage délavé par les années, un bison qui surgit, son héroïne qui se baigne nue dans une source, les bras en croix, un coucher de soleil qui embrase la prairie, une route déroule sa monotonie à l’infini… Et fixe sur grand écran de la poésie en mouvement : la pluie sur un pare-brise, le regard d’un chien que l’on abandonne, la main d’un bébé qui se referme, le sourire d’un inconnu rencontré dans la rue, une chanson autour d’un feu de camp…

Des fragments d’éternité poétiques, d’une beauté insoutenable, qui évoquent au choix John Ford (au hasard, Les Raisins de la colère), une chanson de Bruce Springsteen ou Terrence Malick, bien sûr, qui a visionné une version de travail du montage.

Impossible de conclure sans mentionner Frances McDormand. Qu’elle écoute des confessions d’outre-tombe, qu’elle rue dans les brancards, qu’elle regarde l’infini, qu’elle se batte ou qu’elle baisse les bras, elle est simplement magnifique.

Sortie : 9 juin 2021 – Durée : 1h50 – Réal. : Chloé Zao – Avec : Frances McDormand, David Strathairn…  – Genre : Drame  – Nationalité : Américaine

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