Au Moyen Age, un viol, trois versions d’une même histoire. Du lit conjugal aux champs de bataille, Ridley Scott, 83 ans, ressuscite un Moyen Age barbare, sous domination masculine, et signe un grand spectacle au parfum de #MeToo.

Par Marc Godin

Paris, 29 décembre 1386. La foule se presse vers le monastère de Saint-Martin-des-Champs, dans une arène de neige et de sang.

Deux seigneurs normands, deux anciens amis, le chevalier Jean de Carrouges et l’écuyer Jacques Le Gris, se préparent. Côtes de maille, casques, épées : les deux hommes bardés d’acier comme des insectes mutants vont s’affronter dans un duel judiciaire, autorisé par le roi de France Charles VI, procédure ordalique dont le vaincu, défait par Dieu par voie d’armes, sera considéré comme parjure.

Les guerriers montent sur leurs chevaux caparaçonnés, s’élancent, baissent leurs lances, pour un combat barbare où l’un d’eux devra obligatoirement mourir…

Féministe et barbare

A 83 ans, Sir Ridley Scott, machine à raconter des histoires et inventeur de mythes comme Alien, Gladiator ou Blade Runner, fait son retour au cinéma, quatre ans après le thriller Tout l’argent du monde et la série SF Raised by Wolves, pour un grand film féministe et barbare.

Sur un scénario des acteurs Matt Damon et Ben Affleck, il replonge dans le Moyen Age, après Kingdom of Heaven et son Robin des bois, pour une histoire inspirée de faits réels.

Pendant la guerre de Cent ans, Jacques Le Gris est accusé par la femme de de Carrouges de l’avoir violée en l’absence de son époux. Favori du comte Pierre d’Alençon, Le Gris, un courtisan érudit, jouit d’une insolente impunité. Pour retrouver son honneur, Carrouges en appelle au roi et parvient à provoquer son rival en duel. Mais en cas de défaite, sa femme sera brûlée vive en place publique…

Un dispositif narratif qui produit de la complexité

Le premier atout du Dernier Duel, c’est son scénario adulte et profond, ciselé comme un puzzle, acéré comme une lame, avec une structure narrative en trois parties qui évoque bien sûr le Rashomon d’Akira Kurosawa. D’environ 40 minutes chacun, les trois chapitres (La Vérité selon de Carrouges, La Vérité selon Le Gris, La Vérité) se télescopent, les personnages, de plus en plus complexes, se métamorphosent, les situations diffèrent, les versions changent.

Comme le regard du spectateur. Loin d’être accessoire ou répétitif, ce dispositif narratif est une pure merveille qui produit de la complexité, de la subtilité, la manière dont les personnages se voient et se décrivent ne correspondant pas vraiment à la réalité de l’autre ou à la réalité tout court.

Pour fignoler leur scénario, Damon & Affleck se sont adjoins un regard féminin en embauchant la (médiocre) scénariste Nicole Holofcener pour le segment de Lady Marguerite (cela aurait-il à voir avec les accusations de comportements déplacés de Ben Affeck ?). Comme si deux hommes ne pouvaient plus écrire correctement un beau personnage féminin…

Malgré cette concession à la « woke culture », les scénaristes font rimer Moyen Age et #MeToo, dans cette histoire où il est question de viol et de consentement à une relation sexuelle. « Depuis des siècles, on dit toujours aux femmes violées qu’il ne s’agit pas vraiment d’un viol », assure Ridley Scott en interview. Sept cents ans plus tard, les femmes sont toujours sous domination masculine, le viol reste un fléau, et Le Dernier Duel a de nombreuses similitudes avec Les Choses humaines, film d’Yvan Attal sur le viol et la zone grise qui se déroule pourtant de nos jours (sortie le 1er décembre prochain).

Un film politique

Grand film politique, Le Dernier Duel est aussi et surtout un immense film d’action, une plongée dans un Moyen Age crépusculaire où les hommes – seigneurs et maîtres – règnent sur les champs de bataille et les lits conjugaux. Les scènes de bataille sont lumineuses, sublimement chorégraphiées et Ridley Scott lâche les chevaux. On coupe les têtes, les membres, les artères sont sectionnées, les crânes explosent sous la puissance des coups, le sang gicle comme la peinture sur une toile de Jackson Pollock

Dans ce monde masculin et sauvage, cimenté par le sang et la haine, les femmes sont cachées, voilées, réduites à l’état de meuble. Scott jongle avec les récits et les flashbacks, alterne film de procès, reconstitution épique et séquences anthologiques. Et sublime ses comédiens.

Coupe mulet et gueule couturée, Matt Damon devient un bloc de haine, un guerrier fier de son nom, prêt à tout sacrifier, même sa femme, pour son « honneur ». Décidemment dans tous les bons coups cette année, Adam Driver incarne son meilleur ennemi, avec une belle subtilité, tandis que dans un rôle plus secondaire, Ben Affleck, partouzeur rigolard décoloré, s’offre les meilleures répliques, un sourire libidineux constamment accroché aux lèvres.

Vue dans la série Killing Eve, la pas toujours convaincante Jodie Comer est simplement éblouissante. Qu’elle affronte son violeur, son mari ou la cour du roi, c’est elle la grande gagnante de ce duel, un sommet dans la carrière de Scott, qui va enchaîner avec House of Gucci (sortie en novembre), un biopic sur Napoléon et la suite de Gladiator.

Ridley Scott est immortel.

Sortie : Le 13 octobre 2021 – Durée : 2h33 – Réal. : Ridley Scott – Avec : Matt Damon, Adam Driver, Jodie Comer… – Genre : Drame – Nationalité : Américaine

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