Par Marc Godin

Au XVIIIe siècle, deux femmes s’affrontent à la cour pour gagner les faveurs de la reine d’Angleterre. Drôle, subversif et cruel : le film en costumes dynamité par le Grec Yórgos Lánthimos. Une merveille.

Au fil des années, le Grec Yórgos Lánthimos, ange du bizarre, a construit une œuvre unique, la sienne, et propose un cinéma perché, cruel, ravagé et insoutenablement drôle.

Une filmographie où il est question de totems et de tabous, de sexe et de jeux de pouvoir, de pactes secrets, de torture, d’animaux morts, de frustration et de filiation, de mutilation, le tout dans des univers surréalistes, instables et cohérents, régis par des lois et des codes qui échappent au spectateur, qui déambule comme un somnambule, sans tout comprendre, mais en ressentant chaque plan, chaque image, en vibrant à 2000%.

Bref, Lánthimos – fils illégitime de Michael Haneke et Stanley Kubrick – n’est pas loin d’être un génie et ses films, dont Canine, The Lobster ou La Mise à mort du cerf sacré sont de gros morceaux de cinéma, des diamants noirs dont les éclats ont entaillé à jamais nos rétines.

Si Lánthimos a déjà bossé avec des pointures comme Colin Farrell, Rachel Weisz ou Nicole Kidman, il prend un nouvel essor avec La Favorite, extraordinaire tour de force narratif et visuel, manifeste punk aussi vibrant qu’intelligent. Pour ce film en costumes, il travaille au sein de la Fox, avec un cast de vedettes, un énorme budget et un scénario orienté grand public.

Bref, tout pour limer ses canines et lui intimer à faire un cinéma sans saveur, sans odeur, un truc à Oscars nullos. Sauf que Yórgos est grand et que nous sommes définitivement ses disciples.

Un cocktail Molotov boosté au gaz hilarant

1711, l’Angleterre et la France sont en guerre. A la cour, la reine Anne, caractérielle, infantile, à la santé fragile, semble peu intéressée par l’avenir de l’Angleterre, tandis que son amie Lady Sarah gouverne le pays à sa place, d’une main de fer dans un gant d’airain.

Lorsque Abigail, une jeune et belle arriviste, débarque à la cour, Lady Sarah lui offre une place de servante et la prend sous sa coupe. Alors que la guerre et les manœuvres politiques absorbent Sarah, Abigail parvient quant à elle à gagner les faveurs et la couche de la reine. Lady Sarah et Abigail se déclarent la guerre. Une guerre totale, sans quartier, sans prisonnier, avec du sexe, du sang, et des larmes…

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L’énorme surprise que réserve La Favorite, c’est que pour la première fois Yórgos Lánthimos n’a pas écrit le scénario avec son complice habituel Efthymis Filippou (Canine, The Lobster, La Mise à mort du cerf sacré). Il semble abandonner son univers ultra-personnel et zinzin pour adapter un script écrit par une débutante, Deborah Davis, et un auteur de séries TV improbables, Tony McNamara.

Pourtant, les thèmes, les obsessions de Lánthimos explosent sur l’écran et son film est une farce bourrée de lames de rasoir, un cocktail Molotov boosté au gaz hilarant.

Dans un jardin anglais, dans de sombres couloirs ou dans le secret des alcôves, Lánthimos multiplie les jeux de pouvoir, les caprices et les caresses, les trahisons et les disgrâces, les métaphores animalières et les visions crues, cruels, sadiques. Comme l’a délicieusement souligné le critique de Rolling Stone, « c’est All about Eve (de Jospeh L. Mankiewicz) en corset. »

Trois prix d’interprétation aux Oscars

C’est à se demander si Lánthimos n’a pas tout réécrit, ou encore plus dingue, s’il n’a pas tout transcendé lors du tournage avec sa mise en scène virtuose qui défonce à grands coups de pompe le cadavre putride du film à costume. Car une nouvelle fois, il se révèle comme un immense formaliste. Avec le chef op britannique Robbie Ryan (American Honey), il tourne en 35 mm au Fish eye, ou avec de grandes focales qui donnent le vertige et déforment l’image, les visages (les âmes ?).

Comme dans ses films précédents, il transforme chaque scène en sommet paroxystique, et chaque photogramme pourrait être exposé dans une galerie d’art contemporain. La Favorite est une œuvre au noir, ponctuée de travellings lumineux, de plans-séquences virtuoses, de cadrages millimétrés, de hors champs réjouissants… C’est beau comme du Kubrick, période Barry Lyndon, drôle et absurde comme un Monty Python, avec une critique politique acérée sur les bassesses du pouvoir qui évoque en miroir notre époque, où rien n’a fondamentalement changé.

Dans cette satire jouissive et cruelle sur la cupidité, la médiocrité, Lánthimos est aidé par un trio d’actrices déchaînées et divinement démentes : Olivia Colman, Rachel Weisz et Emma Stone. Grâce à leur talent, la finesse de leur jeu, tout passe : une danse très hip hop, les exactions et les excitations, les coups de pute dignes de la télé–réalité. Et avec un simple regard et une réplique, la sublime Rachel Weisz parvient à transformer – in fine – le film peau de vache en une sublime histoire d’amour.

Renversant. Elles méritent chacune l’Oscar pour lequel elles sont toutes trois nominées ; mention spéciale à Olivia Colman, qui s’est métamorphosée pour incarner une reine à la dérive, rongée par l’ennui, le désespoir et la maladie, qui garde 17 lapins en liberté dans son palais pour les 17 enfants qu’elle a perdus. Elle est sublime.

Hautement recommandé.

Sortie : 6 février 2019 – Durée : 2h00 – Réal. : Yorgos Lanhtimos – Avec : Olivia Coman, Rachel Weisz, Emma Stone… – Genre : drame – Nationalité : américaine, britannique, irlandaise

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