Riches à millions grâce au pétrole, les Amérindiens Osage d’Oklahoma ont été les victimes d’une conspiration criminelle dans les années 1920. En réalisant son premier western, à 80 ans, le maestro Martin Scorsese dénonce la violence, le racisme et la cupidité, ADN honteux de son pays. Une œuvre puissante, épique et intime à la fois. Du grand cinéma.

Par Christelle Laffin

MAUVAISE FORTUNE

Dans les années 20, les Amérindiens Osage d’Oklahoma semblent avoir gagné à la loterie d’attribution des terres de leurs réserves. Ils y ont découvert des gisements de pétrole, ce qui leur a conféré une fortune inouïe pour des indigènes. Demeures luxueuses, automobiles avec chauffeur, domestiques… Une opulence soudaine qui n’est pas sans attiser la convoitise et la jalousie des fermiers et notables blancs locaux.

C’est dans ce contexte qu’Ernest Buckhart (Leonardo di Caprio) vétéran de 14-18 vient rejoindre son oncle Bill « King » Hale (Robert De Niro) à, Fairfax, en terres Osage. Ambitieux et un peu roublard, le jeune homme recherche un boulot, de l’argent et une épouse. Exactement ce que « le King », éleveur prospère wasp et « bienfaiteur » de la communauté indienne, lui promet. Il l’encourage à séduire la belle Molly Kyle (Lili Gladstone), pour que ses très lucratifs headrights  (droits payés aux Amérindiens pour l’utilisation de leurs terres, y compris ceux liés à l’exploitation du pétrole) puissent revenir en héritage à leur famille par le biais du mariage.

Une pratique d’alliance d’intérêt répandue dans la région qui a donné naissance à une conspiration criminelle méconnue, l’une des plus sombres, de l’histoire des Etats-Unis. Car la communauté Osage a été victime d’une mystérieuse vague de meurtres et de décès par empoisonnement qui a motivé une demande d’enquête du FBI de leur part. L’une des premières du bureau alors fraîchement créé par J.Edgar Hoover…

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UN WESTERN POST-REVISIONNISTE

En 60 ans de carrière, Martin Scorsese n’a eu de cesse que d’explorer les tréfonds-et bas-fonds- de l’âme américaine, les origines du mal qui la ronge, les passions humaines et leur rédemption. Le best-seller David Grann, Killers of Flower Moon, lui a inspiré le scénario d’une histoire d’amour et de trahison, qu’il met en scène comme un western post-révisionniste. Cette nouvelle vague du genre fondateur de Hollywood, non contente de se ranger du côté des Indiens, leur donne la parole pour s’exprimer sur leur condition.

C’est donc la voix de Lili Gladstone révélation du dernier festival de Cannes qui égrène les meurtres inexpliqués, le point de vue de son peuple éternellement massacré et floué par les blancs, que Scorsese nous laisse entendre. Nous tombons amoureux d’elle et de son visage à la beauté minérale, de sa dignité sans faille, en même temps que Leonardo di Caprio, qui atteint ici des sommets d’interprétation avec son personnage de poupon aux yeux bleu, un crétin veule tiraillé entre loyauté meurtrière et sentiments pour sa femme.

Face à lui, De Niro, qui retrouve son réalisateur fétiche quatre ans après The Irishman, campe sans fioritures une pourriture mielleuse, haïssable à souhait, qui nous fait oublier tous les rôles grimaçants et autoparodiques qui ont pu entacher ces dernières années de carrière.

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DES SEQUENCES EN APESANTEUR

Durant ces 3h26 mais qui contrairement aux 3h d’Oppenheimer de Christopher Nolan ne comptent pas triple, Scorsese nous rappelle que des scènes de plus de 3 mn, même de dialogues assis, peuvent nous saisir à la gorge bien plus qu’un montage épileptique de baston de super-héros en images de synthèse.

Brillante démonstration par l’exemple : devant son film, pour adultes, « à l’ancienne », on ne peut que se ranger dans la #team Scorsese quand il taxe les blockbusters Marvel de « non-cinéma. » Le cinéma, ça ressemble donc plutôt à cela : un western entre enquête policière, film de gangsters et histoire d’amour déchirante. De grands espaces de l’Ouest filmés dans la splendeur orangée de la « magic hour », le gris cendré couleur deuil, omniprésent pour les scènes se déroulant en ville, participant d’une sublime palette visuelle que le réalisateur explore ici, en nous gratifiant de séquences en apesanteurs, hors du temps.

Le décès de la matriarche qui rejoint ses ancêtres, Mollie, qui invite Ernest à se recueillir, en silence, pendant l’orage qui gronde, en signe de respect pour la nature, des fermiers éteignant un feu infernal, filmée comme une séquence d’ombre chinoises apocalyptique… Sans oublier la bande-son, tour à tour lancinante, comme une menace qui plane sur les Osages, ou enveloppante, à l’image de l’union d’Ernest et Mollie, melting-pot de chants tribaux traditionnels, de blues et de country d’époque.

Tout, dans Killers, relève de la quintessence du style de Martin Scorsese même si le jeune cinéaste de 80 ans, parvient encore à nous surprendre – quel étonnant épilogue !- avec la satisfaction d’une mission accomplie : une injustice réparée, et une mémoire à jamais honorée grâce au pouvoir rédempteur du septième art.

Sortie : 18 octobre 2023 – Durée : 3h26 – Réal. : Martin Scorsese – Avec : Leonardo diCaprio, Robert de Niro, Lili Gladstone, Jesse Plemmons – Genre : drame – Nationalité : Etats-Unis – Production : Apple Studios – Distribution :  Paramount

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C’est dans ce contexte qu’Ernest Buckhart (Leonardo di Caprio) vétéran de 14-18 vient rejoindre son oncle Bill « King » Hale (Robert De Niro) à, Fairfax, en terres Osage. Ambitieux et un peu roublard, le jeune homme recherche un boulot, de l’argent et une épouse. Exactement ce que « le King », éleveur prospère wasp et « bienfaiteur » de la communauté indienne, lui promet. Il l’encourage […]