Lion d’or à Venise, cette adaptation d’un roman d’Annie Ernaux raconte l’horreur des avortements clandestins dans la France des années 60. Et confirme le talent insolent de la réalisatrice Audrey Diwan.

Par Marc Godin

Dans une vie, il y des films que l’on voit et d’autres que l’on prend en pleine gueule. Des films comme des uppercuts, comme des coups de boule. Quand j’ai découvert – stupéfait, crucifié – L’Evénement d’Audrey Diwan, une spectatrice derrière moi sanglotait tandis que je baissais les yeux à plusieurs reprises pour ne pas avoir à visualiser l’horreur de ce qui se passait sur l’écran. La dernière fois que j’avais ressenti un tel malaise, c’était lors du Fils du Saul

Mais reprenons. L’Evénement est l’adaptation du roman autobiographique d’Annie Ernaux. Nous sommes en 1963. Issue d’un milieu modeste, Anne, une jeune étudiante en lettres, découvre avec stupéfaction qu’elle est enceinte. Elle rêve d’écrire, ne veut absolument pas se retrouver mère au foyer, ni mettre un terme à ses études, et décide d’avorter.

Pas vraiment un heureux événement, donc…

Mais avorter est une crime, puni par la prison (l’avortement ne sera autorisé qu’en 1975), et la jeune femme ne peut en parler à sa mère ou à ses professeurs. Elle découvre alors la lâcheté de ses camarades, l’ignominie d’un médecin, se retrouve absolument seule, désemparée, et va devoir faire face alors que les semaines filent…

Immersif

Refusé à Cannes mais récompensé à Venise ou Saint-Jean de Luz, L’Evénement est une œuvre majeure, un des grands films de l’année. C’est d’abord un film politique sur une femme rejetée de tous car elle veut s’émanciper, être libre et disposer de son corps comme bon lui semble, dans un monde sous domination masculine.

Un film terriblement contemporain car la narration et le hors-champ empêchent une datation précise de l’époque et ajoutent à l’intemporalité du récit, alors qu’en 2021 le droit à l’avortement est remis en question dans certains pays et que les discours réactionnaires se multiplient en France. C’est aussi et surtout une œuvre immersive, hypnotique, dont la mise en scène radicale met le spectateur à la place de la malheureuse héroïne.

Avec le chef opérateur Laurent Tanguy (Le Grand Bain, Bac Nord), Audrey Diwan cadre son actrice serrée, coupe toujours sa tête, son épaule, un bras, la filme de dos, l’isole des autres et du monde, déjà prisonnière du format carré de l’écran, (1.33, à l’image d’un film muet), fenêtre qui l’enferme et qui l’étouffe. Une pure expérience de cinéma, entre trip au bout de l’horreur et chemin de croix.

Un trip au bout de l’horreur

Insoutenable et sombre, L’Evénement est néanmoins éclairé par la lumineuse Anamaria Vartolomei, diaphane et magnifique, en femme qui résiste et qui avance, encore et toujours. Dans des rôles secondaires, Pio Marmaï, Sandrine Bonnaire ou Anna Mouglalis donnent un supplément d’âme à cette œuvre immense et essentielle.

Sortie : Le 24 novembre 2021 – Durée : 1h40 – Réal. : Audrey Diwan – Avec : Anamaria Vartolomei, Kacey Mottet Klein, Luana Barjami… – Genre : Drame – Nationalité : Française – Visuels : © 2021 PROKINO Filmverleih GmbH

Découvrir la gamme

Et SEE tu partageais cet article ?

Mais avorter est une crime, puni par la prison (l’avortement ne sera autorisé qu’en 1975), et la jeune femme ne peut en parler à sa mère ou à ses professeurs. Elle découvre alors la lâcheté de ses camarades, l’ignominie d’un médecin, se retrouve absolument seule, désemparée, et va devoir faire face alors que les semaines […]