Pentagon Papers
Par Marc Godin
En 1971, des journalistes affrontent Nixon pour faire éclater la vérité sur la guerre du Vietnam. A l’époque de Trump et des fake news, Spielberg célèbre la liberté de la presse. Et signe un splendide portrait de femme.
A une semaine d’intervalle sortent deux films – 3 Billboards et Pentagon Papers – qui ont plus en commun qu’il semblerait au premier regard. Deux films de contrebandiers auquel le scandale Weinstein jette un drôle d’éclat. De fait, le tragi-comique 3 Billboards avec cette mère qui réclame justice, ses rednecks pathétiques, son shérif amoureux et son tueur en vadrouille est le portrait absolument bouleversant d’une femme qui dit non, qui s’oppose aux hommes et qui prend son destin en main, pour le meilleur et pour le pire.
Pentagon Papers, (The Post en V.O., pour le Washington Post) raconte comment dans les années 70, des journalistes sont parvenus à récupérer et ont publié un document classé secret-défense détourné par un lanceur d’alerte contenant 30 ans de mensonges étatiques et de révélations ahurissantes sur l’implication des USA au Vietnam. Il y a donc des rotatives en fusion, des machines à écrire fumantes, des moustachus en chemises à manches courtes, des tonnes de cigarettes, mais le film de Steven Spielberg est avant tout le portrait d’une femme, Kay Graham, patronne du Washington Post.
Il est assez ironique que Kay Graham soit au centre de Pentagon Papers, puisqu’elle était complètement absente de l’autre grand film sur l’autre énorme scoop du Washington Post, Les Hommes du président, sur le scandale du Watergate. Il y a bien Dustin Hoffman et Robert Redford qui se tirent la bourre pour savoir qui a la plus belle mise en pli, mais pas de femme à l’horizon. Alors que Kay Graham était à la tête du journal et qu’elle publia les articles qui ont poussé Richard Nixon à la démission !
Dans Pentagon Papers, Steven Spielberg répare une injustice et signe un de ses plus beaux portraits de femme, dans une filmo qui compte plus de dinos, d’aliens, de nazis et de requins que de personnages féminins. Son film est l’histoire de la libération d’une femme, d’une métamorphose. Et se focalise sur le moment où Kay Graham est véritablement devenue Kay Graham. Héritière, épouse, femme de, elle dirige le Post en 1963, après le suicide de son mari. Si elle sait s’entourer, notamment de grands journalistes comme Ben Bradlee ou Howard Simmons, on la voit très passive dans les conseils d’administration où elle est la seule femme pour une vingtaine d’hommes.
Effacée, inaudible. Seule et fragile. Veuve, mondaine, elle est traitée, au mieux, avec condescendance, au pire d’incompétence. Si ses conseillers et financiers pensaient qu’une condamnation de la Cour suprême suite à la publication des dossiers top-secrets ferait capoter l’entrée en bourse du journal, voire signifierait sa fin, Kay Graham va faire la différence, avant de devenir une des femmes les plus puissantes d’Amérique.
TOM HANKS ET MERYL STREEP © Universal Pictures International France
La métamorphose d’une femme
Pour ce personnage tout d’abord couleur papier peint, Spielberg a eu l’excellente idée d’embaucher Meryl Streep avec qui il n’avait jamais collaboré, ce qui est quand même assez invraisemblable. Elle est simplement magnifique. On la voit tout d’abord engoncée dans des robes improbables, avec collier de perles et choucroute sur la tête. Avec une magnifique science de la nuance, elle incarne – tout en douceur – une femme déchirée entre son amitié pour Robert McNamara, l’ancien secrétaire à la Défense de Kennedy et Lyndon, et son envie de faire éclater la vérité.
Plus le film avance, plus elle se métamorphose, se révèle, à elle-même et au monde, balance des répliques comme « Je t’ai demandé ton conseil, pas ta permission », et le séquence où elle lance finalement les rotatives est un grand moment de cinéma, la catharsis d’un film qui, avec un timing parfait, entre en résonance avec le « metoo » et ce mouvement féministe qui secoue la planète entière. Pour cette performance que l’on peut qualifier d’exceptionnelle, Meryl Streep a reçu sa 21e nomination aux Oscars. C’est peu dire que c’est mérité…
MERYL STREEP, steven spielberg et tom hanks © Universal Pictures International France
Une incroyable galerie d’acteurs !
A l’arrivée, Steven Spielberg signe un thriller ponctué de moments d’anthologie (dont une scène de guerre au Vietnam), un plaidoyer en faveur du contre-pouvoir dans une époque où la liberté de la presse se retrouve à nouveau menacée. Un classique instantané, dans un style très Fordien, avec une incroyable galerie d’acteurs, notamment Tom Hanks, l’excellent Bob Odenkirk, le dramaturge de Tracy Letts, Jesse Plemons ou mon chouchou, Michael Stuhlbarg…
Mais tout ceci n’est qu’un écrin pour Meryl Streep.
En sortant de la salle, je n’avais qu’un seul bémol : Richard Nixon. On le voit à plusieurs reprises de dos, aboyant ses ordres par téléphone, avec une voix outrée, caricaturale. Renseignements pris, Steven Spielberg a utilisé de véritables enregistrements de Nixon.
Trop fort ce Spielberg…
Date de sortie : 24 janvier 2018 – Durée : 1h55 – Réal. : Steven Spielberg – Avec : Meryl Streep, Tom Hanks, Sarah Paulson… – Genre : drame, suspense – Nationalité : Américaine
Il est assez ironique que Kay Graham soit au centre de Pentagon Papers, puisqu’elle était complètement absente de l’autre grand film sur l’autre énorme scoop du Washington Post, Les Hommes du président, sur le scandale du Watergate. Il y a bien Dustin Hoffman et Robert Redford qui se tirent la bourre pour savoir qui a la […]