Le Cas Richard Jewell
Par Marc Godin
Lors des J.O. d’Atlanta, un vigile au comportement héroïque se voit bientôt accusé de terrorisme. Casting dément, mise en scène aérienne : Clint Eastwood au sommet.
Que va-t-on devenir quand Clint Eastwood ne sera plus ?
Depuis les années 70, Clint met en scène pratiquement un film par an, une filmographie dense et cohérente avec des classiques et des films plus mineurs, des cartes postales de l’Americana, des œuvres crépusculaires sur la réconciliation et la possibilité de vivre ensemble aux Etats-Unis, hantées par des rebelles et des héros, des retraités et des chiens fous…
Dernier des classiques, Eastwood est un cas à part, probablement le seul metteur en scène qui a signé ses meilleures réalisations après 60 ans avec une filmo en or massif : Impitoyable, Un monde parfait, Sur la route de Madison, Mystic River, Million Dollar Baby, Lettres d’Iwo Jiwa, American Sniper, La Mule…
« Si vous pensez vieux, vous êtes vieux. Si vous pensez jeune, vous restez jeune. Le corps suit l’esprit. Essayer de nouvelles idées, c’est ce qui rend ce métier excitant. D’autre part, j’apprends de mes prédécesseurs, les Capra, les Wilder, qui ont arrêté de tourner vers 70 ans. Je me suis demandé pourquoi. En fait, ce sont les studios qui ont arrêté de leur faire confiance. Le type qui a tourné Assurance sur la mort ou Boulevard du crépuscule n’a pas soudainement perdu son talent à 70 ans. »
Clint aura 90 ans en mai prochain, et si Quentin Tarantino ne parle que de sa retraite dès son dixième film, Clint dégaine quant à lui son… 38e long-métrage ! Un de ses meilleurs.
« Un gros lard qui vit avec sa mère »
Le Cas Richard Jewell est un projet qui traîne à Hollywood depuis des années, passé entre les mains de Paul Greengrass puis de David O. Russell, avec Jonah Hill, un temps envisagé pour incarner le rôle-titre, et son poto Leo DiCaprio, qui devait jouer l’avocat.
Les deux acteurs héritent des titres honorifiques de producteur et Eastwood récupère le bébé. Avec un budget de 45 millions de dollars, il cisèle un film sur l’héroïsme individuel, inspiré de l’histoire vraie de Richard Jewell, fou de sécurité, flic raté et vigile bedonnant, un homme qui se conduisit héroïquement lors d’un attentat terroriste pendant les Jeux olympiques de 1996, avant de se voir accusé d’avoir lui-même posé la bombe qui a tué deux personnes et en a blessé plus de cent.
Car Jewell est différent, et comme le dit une journaliste, c’est « un gros lard qui vit avec sa mère » (« That fat fuck lives with his mother »), mais surtout un homme fondamentalement bon, naïf, qui va se retrouver cloué au pilori par les « deux plus grosses puissances du monde », le gouvernement américain et les médias. Bientôt, le héros du jour se retrouve au banc des accusés, persécuté par un agent du FBI, une journaliste arriviste, détesté par des millions d’Américains, et seulement protégé par un avocat libertarien en short.
Héroïsme et épure
Depuis des années, Clint Eastwood interroge la notion d’héroïsme (Sully, American Sniper ou encore Le 15h 17 pour Paris), avec des outsiders, seuls contre tous, obligés de se transcender dans un environnement hostile et de se battre contre le système. Ici le système est représenté par le FBI et ses méthodes extrêmes pour fabriquer un coupable et les médias, toujours prompts à traîner les suspects dans la boue pour faire le show 24 heures sur 24. Ce qui a valu à Clint Eastwood de se faire violemment attaquer aux Etats-Unis, notamment à cause du personnage de la journaliste, incarnée par Olivia Wilde, qui couche avec un agent du FBI afin d’obtenir des infos.
Un portrait peu reluisant il est vrai, mais Eastwood dissèque les contradictions humaines, repeint le monde aux couleurs du clair-obscur et même son héros, vieux garçon avec son obsession de la sécurité, de l’ordre, et son arsenal digne d’un mass murderer, fait parfois froid dans le dos.
Sur le plan formel, Eastwood joue une nouvelle fois la carte de l’épure. Tel un maître de calligraphe, son geste est pur, simple, fluide, et sa mise en scène s’apparente à ses états d’âme, sa personnalité. Pas d’esbroufe, pas de tics, pas de toc, et ses plans – simples et beaux – touchent au cœur.
De plus, cet héritier de John Ford et de Frank Capra a mitonné un de ses plus beaux castings, avec une troupe de comédiens en lévitation. Le comique Paul Walter Hauser (Moi, Tonya) est dément dans le rôle principal. Il est d’autant plus extraordinaire qu’il a face à lui de redoutables voleurs de scènes : Kathy Bates (Misery), Jon Hamm (Mad Men) et surtout Sam Rockwell. Récompensé d’un Oscar pour 3 Billboards, le comédien éclabousse de son talent tous les plans où il apparaît et fait passer le spectateur du rire aux larmes en un clin d’œil.
A la fin, une question subsiste, néanmoins : que va-t-on devenir quand Clint Eastwood ne sera plus ?
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Sortie : 19 février 2020 – Durée : 2h09 – Réal. : Clint Eastwood – Avec : Paul Walter Hauser, Olivia Wilde, Sam Rockwell… – Genre : drame – Nationalité : Américaine
« Si vous pensez vieux, vous êtes vieux. Si vous pensez jeune, vous restez jeune. Le corps suit l’esprit. Essayer de nouvelles idées, c’est ce qui rend ce métier excitant. D’autre part, j’apprends de mes prédécesseurs, les Capra, les Wilder, qui ont arrêté de tourner vers 70 ans. Je me suis demandé pourquoi. En fait, ce […]