Par Marc Godin

Lors de la Première Guerre mondiale, deux soldats britanniques se lancent dans une mission suicide pour éviter un massacre. Le réalisateur de Skyfall fait du cinéma de nouveau riche : tout dans la forme, rien dans le fond.

C’est entendu, 1917 a séduit le public américain, la critique, ma belle-mère, ton beauf et devrait faire un malheur aux Oscars avec ses dix nominations, dont Meilleur film. Le plan média est parfait : Sam Mendes = génie, il s’est inspiré des histoires que lui racontait son grand-père, et surtout 1917 a été tourné en un seul (faux) plan-séquence.

Arrêtons-nous un instant sur cette histoire de plan unique. Il est quand même étonnant que la promo, les extraits du making-of sur les réseaux sociaux ou les entretiens ne traitent que de cet aspect technique, du nouveau tour de force réalisé par le chef-op Roger Deakins et ses assistants au steadycam, en moto, en voiture-travelling…

On évoque à peine le scénario basique – deux soldats britanniques doivent franchir les lignes ennemies pour empêcher une offensive et sauver 1600 vies – pour bastonner sur le truc, l’artifice, l’exercice de style.

Et donc, les médias tartinent sur les 500 figurants, les neuf semaines de tournage, les mois à répéter les longues scènes comme des chorégraphies… Merci pour les éléments de langage. Mais le cinéma dans tout cela ?

Un cinéaste sous influence…

Wonderboy du théâtre britannique, Sam Mendes a mis en scène une cinquantaine de pièces, dont Cyrano, Le Roi Lear ou Charlie et la chocolaterie. Pour son premier film en 1999, il fracasse le rêve US avec le très sombre American Beauty.

Depuis ce coup d’éclat, Mendes fait dans le haut de gamme prout-prout, un poil impersonnel et désincarné : Les Sentiers de la perdition, Jarhead, Les Noces rebelles, puis deux James Bond, Skyfall, plombé par un scénario bâclé et des scènes d’action asthmatiques, et le très faiblard Spectre, malgré un plan séquence (tien, tiens) inaugural assez dément.

Pour son nouveau film, Mendes, copycat qui pompe les réalisateurs à la mode, ose le mix Alfonso Cuarón/Christopher Nolan. Le concept ? Faire un film de guerre ultime, différent et pas pareil, comme Nolan quand il réinvente l’eau tiède avec Dunkerque, couplé avec la dimension « cinéma immersif » du Gravity de Cuarón. Ca va cartonner ça, coco ! Avec un seul tracking shot comme dans La Corde d’Hitchcock, Enter the Void de Gaspar Noé ou Birdman d’Alejandro Iñarritu.

Mendes Vs Kubrick

Mais en fait, le problème de Sam Mendes, c’est qu’il se prend Stanley Kubrick, période Les Sentiers de la gloire. Il débute son film dans une tranchée, avec un travelling arrière, combiné à un travelling avant, sans coupe. Eh oui, Kubrick, dans ta face ! Sauf que la beauté, la puissance des travellings de Kubrick restent inégalées, soixante ans après. Parce que Kubrick nous montrait du jamais vu, parce que ses plans, ses mouvements de caméra avaient du sens et étaient au service d’une histoire d’une force tellurique, qui racontait que l’ennemi était aussi bien l’Allemand dans sa tranchée, que la bêtise, la lâcheté et la folie des élites, des militaires de carrière prêts à envoyer leurs troupes à la boucherie pour une médaille.

Et Kubrick de révéler que la guerre est aussi (d’abord) une histoire de lutte des classes. Chez Mendes, pas de politique, pas de réflexion. Tout dans la forme, rien dans le fond ! Il s’amuse avec son gros train numérique et se contente de faire cavaler son héros dans la plaine, sous terre, devant un avion, le jette dans l’eau, au cœur de la nuit… Comme le cinématique d’un jeu vidéo.

C’est beau, incroyablement maîtrisé, notamment grâce aux centaines d’informaticiens qui ont bossé sur les effets digitaux, mais le procédé tourne à vide car totalement dénué d’émotion. La caméra n’est plus un objet de narration, mais de fascination (tu l’as vu mon plan impossible, ma dextérité, cette maestria ?). Pire, pendant deux (longues) heures, j’avais l’impression que Mendes, ce nouveau riche, me faisait voir ses petits muscles, m’intimant à chercher les raccords invisibles de ce truc fabriqué et vain.

Bref, tout est fait pour te sortir du récit, ce qui est une hérésie totale. Si Mendes est un fan de Kubrick, il aurait dû se souvenir d’une célèbre devise du maître « Ne jamais faire le malin avec la caméra. »

Sortie : 15 janvier 20209 – Durée : 1h59 – Réal. : Sam Mendes – Avec : George MacKay, Dean Charles Chapman, Mark Strong… – Genre : drame – Nationalité : Américaine – Britannique

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