Par Marc Godin

Un vengeur ravagé à la recherche d’une ado prise au piège d’un réseau pédophile. Au-delà de la réalité, du cinéma immersif, sublimé par l’interprétation de Joaquin Phoenix. Prix du scénario et d’interprétation à Cannes.

C’est notre Brando. Un génie comme il en existe peu. Un acteur-fantôme qui disparait derrière ses personnages, hante les meilleurs films américains depuis une vingtaine d’années et prouve que la théorie de l’acteur est au moins aussi pertinente que celle de l’auteur. Des titres ? The Master de Paul Thomas Anderson, Gladiator de Ridley Scott, Her de Spike Jonze, Two Lovers ou La nuit nous appartient de James Gray, L’Homme irrationnel de Woody Allen, Signes de M. Night Shymalan, Prête à tout de Gus Van Sant

Ce n’est plus une filmo, plutôt le programme de rêve d’une Cinémathèque en or massif. Il y a sept ans, alors qu’il avait déclaré ne plus vouloir faire l’acteur, Joaquin Phoenix, puisque c’est de lui qu’il s’agit, était apparu en rappeur bidon dans I’m still here, le documenteur de son beau-frère et néanmoins ami Casey Affleck. Aujourd’hui, il revient dans You were never really there, (bizarrement retitré en France A beautiful Day, bravo les mecs !).

Où est Joaquin Phoenix, est-ce qu’il existe, a t-il jamais existé, ou bien n’est-il qu’une succession de rôles qui défilent 24 fois par seconde dans notre cortex ? Il n’y a pas de réponse dans You were never really there, titre méta-clin d’œil en correspondance directe avec I’m still here, puisque l’on assiste à la disparition du Phoenix (Phénix ?), méconnaissable, quasi mutique.

C’est un corps abimé, une masse, un bloc de viande. Hoodie, casquette, bubar, hirsute, entre clodo vintage et super-héros, Joaquin Phoenix se dissout une nouvelle fois dans son rôle. Il se métamorphose en un clone de la Chose (des 4 Fantastic). Le genre de performance qu’affectionnait Robert De Niro au siècle dernier (remember Raging Bull). Dans le nouveau film de Lynne Ramsey, Phoenix incarne un mec au bout. De la route, du rouleau, de sa vie.

Enfant traumatisé, ancien militaire en Irak, probablement ex-agent du FBI, il travaille maintenant pour des clients et à l’air de s’être reconverti dans le recouvrement d’ados disparus. Entre vengeur perturbé et tueur pro à la ramasse, il se lance – marteau à la main – à la recherche de la fillette d’un sénateur prisonnière de pédophiles. Mais rien ne va se passer comme prévu pour Joe le Nettoyeur…

C’est ce scénario de série Z, véritable Charles Bronson movie, qui a été primé à Cannes. Mais ce scénario basique et minéral, est sublimé par Super Phoenix. D’ailleurs, c’est peut-être lui le véritable sujet de You were never really there, que Lynne Ramsey filme (amoureusement) sous toutes coutures, avec sa belle gueule cassée, ses cicatrices, et à qui elle fait rejouer des scènes de ses anciens films comme le plongeon de Two Lovers.

Pendant 90 minutes, Phoenix irradie, brûle la pellicule, en faisant quasiment rien. La réalisatrice expédie les principales scènes d’action et se concentre sur son héros, torse nu, mutique, absent au monde et à lui-même. Il faut l’entendre murmurer « I can be brutal », le voir s’enfouir la tête dans un sac en plastique ou mimer derrière sa môman le meurtre sous la douche de Psychose.

Joaquin Phoenix © SND

Si A beautiful Day (j’ai vraiment du mal avec ce titre) est un tel sommet, c’est également car il y a une immense cinéaste derrière la caméra, l’Ecossaise Lynne Ramsey a 47 ans, 4 films au compteur en 20 ans, dont Ratcatcher ou le génial We need to talk about Kevin, avec Tilda Swinton. Quand elle abandonne le western Jane got a Gun le premier jour de tournage, elle part sur l’île de Santorin et adapte la nouvelle de Jonathan Ames, You were never really there.

Elle écrit son scénario avec un acteur en tête : Joaquin Phoenix et personne d’autre. Quand celui-ci accepte, il lui demande une faveur, pouvoir tourner deux mois plus tard car il a un trou dans son emploi du temps de superstar. Le film va être bouclé en 29 jours dans un New York chauffé à blanc, avec un scénario pas entièrement finalisé, une réalisatrice qui arrache 20 pages de son script car elle n’a pas le budget pour tourner dans tous les lieux qu’elle avait repérés et avec Phoenix qui improvise dans les grandes largeurs.

Sur le plan formel, Lynne Ramsey fait dans l’effet immersif, hypnotique. L’épure. Au-delà de la réalité, elle met en scène un vigilante ravagé et nous bombarde d’images mentales car tout passe par le prisme de son cerveau perturbé. Elle en profite pour réinventer les codes polar, rien de moins. Le suspense n’est pas le moteur du film, les dialogues sont réduits au minimum, l’action s’arrête brutalement pour des plages plus contemplatives, des moments inutiles, la violence est hors champ le plus souvent. Un mot d’ailleurs sur la violence.

Comment de vénérables critiques qui portent Tarantino au pinacle peuvent s’insurger contre la complaisance supposée de A beautiful Day ? A la place des tortures tellement fun de QT, elle filme un bonbon vert fluo, les larmes d’une jeune fille qui découvre une photo, un camion-poubelle qui sillonne New York… Dans ce puzzle hallucinatoire, Lynne Ramsey cadre à l’horizontal, accumule les panoramiques et les travellings latéraux, filme des scènes de baston avec des caméras de surveillance mais coupe les moments les plus trashs, cite ouvertement Bill Viola, Taxi Driver ou La Nuit du chasseur, fait dérailler le son, pousse à fond la partition de Jonny Greenwood, le guitariste de Radiohead… Simplement magique !

Ce décalage entre le fond et la forme fait de A beautiful Day un objet délicat et sauvage, une expérience de cinéma comme vous en vivrez peu cette année. A la fin de ce trip, il y a une petite fille et le regard de Joaquin Phoenix qui semble renaître de ces cendres. Chef-d’œuvre.

Date de sortie : 8 novembre 2017 – Durée : 1h30 – Réal. : Lynnz RamsayAvec : Joaquim Phœenix, Ekaterina Samsonov, Alessandro Nivolal… Genre : suspense, drame – Nationalité : Britannique, Américaine, française

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