Par Patrick Samson

Disparu en avril 2012, Claude Miller aimait dessiner des héroïnes libres et indomptables. La preuve encore avec cette émouvante adaptation de François Mauriac, illuminée par une Audrey Tautou superbe en bourgeoise qui s’ennuie.

Sur l’affiche, une épaisse larme de Rimmel coule sur la joue d’une Audrey Tautou impassible. La photo, superbe, exprime magnifiquement les tourments intérieurs qui agitent l’héroïne, celle qui donne son nom au film, Thérèse Desqueyroux.

Au début, la passion, l’euphorie amoureuse, cette fille de bourgeois landais fortuné les balaie de son esprit. Lors d’une promenade en forêt avec Bernard, son futur mari, elle lui avoue sans détour, fière de contempler les 4 500 hectares de pins qui bientôt leur appartiendront : « Je n’ai pas honte de dire que je me marie aussi pour l’intérêt de nos familles. » Son époux gérera les affaires, elle l’attendra près de la cheminée dans leur demeure cossue, ce sera un bonheur sans nuage, du moins s’en persuade-t-elle.

Mais voilà que sa belle-sœur, également amie d’enfance, s’enflamme pour un aventurier juif. Une liaison irraisonnée, immédiatement condamnée par ses beaux-parents. Et pourtant, au final, si c’était Anne qui s’approchait de la vérité ? L’ennui s’insinue sournoisement dans le quotidien de Thérèse. Elle veut désormais vibrer, elle n’en peut plus de son Bernard, brave gars aussi guindé que lourdaud.

Perversité et noirceur

Il n’est pas étonnant que ce mélo en costumes sur le spleen bovaryen ait intéressé Claude Miller, hélas disparu peu de temps après le tournage.

Derrière son classicisme craquelle au fur et à mesure une terrible cruauté, ingrédient récurrent dans la filmo de son auteur (Garde à vue, Mortelle randonnée, Un secret…). Une perversité et une noirceur dont se seraient délectés un Chabrol ou un Simenon.

La détresse de Thérèse, qu’elle réprime dignement en société, la pousse à un geste fatal. Impardonnable. Dans le roman de François Mauriac, de même que dans l’adaptation de Franju en 1962, l’histoire débutait par la fin et le procès. Le récit en flashback remontait le fil des souvenirs de l’héroïne. Miller, lui, a opté pour une construction linéaire, afin d’en accroître l’intensité dramatique et mieux susciter l’empathie envers Thérèse.

Sa quête éperdue et avant-gardiste de liberté, son irrépressible envie de briser les codes rigides de la bourgeoisie du début du XXe siècle dans laquelle elle suffoque : tout cela palpite à l’écran. Si le cinéaste a jadis fait montre de davantage d’audace dans sa mise en scène, son découpage et le soin pictural qu’il apporte aux décors laissent transparaître cette sensation d’étouffement.

Une héroïne insaisissable

Aussi vulnérable qu’impitoyable, aussi docile qu’imprévisible, Audrey Tautou incarne à la perfection les contradictions d’une héroïne insaisissable. Une héroïne, de surcroît, typiquement « millerienne » dans son ambiguïté et sa volonté de s’affranchir des conventions.

Présenté en clôture du Festival de Cannes 2012, ce drame en costumes brosse une peinture cruelle et sans concession d’une bourgeoisie engoncée dans ses codes. Audrey Tautou épate de bout en bout.

Sortie : 21 novembre 2012 – Durée : 1 h 54 – Réal. : Claude Miller – Avec : Audrey Tautou, Gilles Lellouche, Anaïs Desmoustiers… – Genre : drame – Nationalité : française

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