Par Marc Godin

Pardon-désolé-sorry-je-présente-mes-confuses. Bah oui, parmi la foule de critiques en délire, je dois être le seul à ne pas avoir aimé 120 battements par minute. Depuis Cannes 2017, c’était pourtant un festival de dithyrambes, de révélations insoutenables (« J’ai pleuré pendant 2h 30 »), de slogans (« La Palme du cœur »). Trois mois après Cannes, la presse s’extasie unanimement, déroule couvertures et dossiers spéciaux, balance du chef-d’œuvre au kilomètre.

Si je me sens un peu seul sur ce coup là, je vais pourtant essayer d’expliciter ma déception devant le « monument ». Ca commence par un scénario d’une facture ultra-classique (pour ne pas dire plus). Pour raconter l’odyssée d’Act up, Robin Campillo et Philippe Mangeot, ancien président de l’association, partent sur un mode de narration bateau, à savoir l’introduction d’un élément nouveau au sein d’un groupe (le schéma narratif d’une tétrachiée de films), ici l’arrivée d’un bogoss qui fait tourner les têtes au sein d’Act Up au plus fort des années sida. Résultat, 120 BPM, c’est « Act up pour Les Nuls ». On apprend donc que les réunions s’appelaient des RH (réunions hebdomadaires), que les mecs n’applaudissaient pas mais claquaient les doigts, ce genre de trucs (pour en savoir un peu plus, je vous conseille le bouquin de Didier Lestrade, Act up : une histoire). 

Puis, les deux scénaristes tricotent un arc narratif un peu plus ambitieux, genre la petite histoire dans la grande, avec la passion du bogoss pour une grande gueule séropo, pour finir avec la mort d’un des personnages principaux. Mais comme dans Entre les murs, déjà signé Robin Campillo, tout est très didactique. Le mec veut te faire passer un message au forceps. Son scénario est donc très mécanique, incroyablement bavard, très Premier de la Fémis, ce qui laisse peu de place à l’émotion. De plus, les personnages ressemblent à symboles sur pattes, servant à illustrer un aspect de la lutte contre le sida, ou le rapport au sexe, à la maladie… Pas vraiment des êtres de chair et de sang. Celui d’Adèle Haenel, militante en colère, est incroyablement sous-écrit, la comédienne se contenant de faire la gueule pendant deux plombes. Le sujet de 120 BPM est bien sûr fort et important, mais Campillo ne parvient pas à atteindre la puissance fictionnelle des frères Dardenne, comme il est impuissant à transcender sa matière première. Il y a du sperme, du sang et des larmes mais ça manque de chair. D’âme…

Clinique et froide, la mise en scène n’arrange rien. Sur 2h 30 de film, il y au moins 90 minutes de discussions interminables lors des réunions dans les amphis. Campillo fait ce qu’il peut pour multiplier les angles, les axes, c’est quand même pas loin du théâtre filmé. C’est pire encore avec les extérieurs. Soit par choix esthétique, soit parce que Campillo avait un budget dérisoire, mais les scènes de manifestations lors des gay prides sont assez misérables, avec Campillo qui cadre tout le temps serré, qui ne montre ni la rue, ni la vie, mais trois mecs déguisés en pom pom girls qui sautent au ralenti. Ouais…

Antoine Reinartz © Saltzgerber&Co. Mediem GmBH

Il y a pour moi une scène emblématique de la balourdise de Campillo. Nous sommes dans une boîte de nuit. Les jeunes – morts en sursis – dansent sur de la house, à 120 BPM. Soudain, la caméra s’élève, cadre de la poussière au-dessus des danseurs en mouvement. Petit à petit, grâce à des images de synthèse, la poussière se transforme et ce que l’on voit à l’écran, c’est le virus qui plane sur ces mômes qui dansent pour oublier. Du cinéma de synthèse… Campillo n’a pas confiance en l’intelligence de son spectateur, il lui faut tout le temps expliciter, clouter le sonore, surligner. Ce plan n’aurait-il pas été plus fort avec simplement la poussière qui virevolte dans la lumière ? Le spectateur lambda n’aurait-il pas compris la métaphore ? De plus, Campillo refait la même scène 30 minutes plus tard (ronfle), mais il parvient néanmoins aà ciseler une séquence de rêve (avec la Seine rouge sang) très oppressante.

Pendant tout le film, j’ai eu l’impression que la réalité était plus forte que la fiction. Toujours. Les slogans d’Act up comme « Des molécules pour qu’on s’encule – Du latex pour nos gros sexes » résonnent plus forts que n’importe quelle ligne de dialogue. Même chose pour les images. Il doit y avoir une trentaine de secondes d’images d’actu dans 120 BPM. Mais ces instants volés au réel sont bien plus puissants que n’importe quel gros plan larmoyant usiné par Campillo. Néanmoins, par intermittence, 120 BPM fonctionne : grâce aux acteurs (sauf la terrifiante Adèle Haenel qui arbore une seule et unique expression), à de belles scènes d’intimité (Campillo sait filmer les corps) ou encore la scène de mort. C’est peu et je me suis donc demandé ce qui avait fait enflammer la presse française de la sorte (la presse étrangère a plus de réserves). Et si c’était… la mauvaise conscience ? Oui, la mauvaise conscience.

Pendant des années, la presse française a ignoré le très bruyant Act up et ses méthodes de sale gosse. Ses militants ont été mis au ban de la société, crucifiés dans les médias. Ce film ne serait-il pas pour certains l’occasion de faire amende honorable ? Comme si on ne pouvait parler des homos que s’ils étaient des personnages de fiction, que s’ils étaient morts ? Dans le même ordre d’idée, parmi les tonnes d’articles publiés à l’occasion de la sortie du film, qui a parlé de l’action d’Act up au quotidien, en 2017 ? Tout le monde a ressorti les photos des gay Prides ou du préservatif géant sur la Concorde mais seul Libé (2 petites colonnes sur 13 pages de dossier) a parlé de l’actu d’Act up. Il y a comme un problème, non ?

Date de sortie : 29 novembre 2017 – Durée : 2h23 – Réal. : Robin CampilloAvec : Nahuel Perez Biscayart, Arnaud Valois, Adele Haenel… Genre : français, drame – Nationalité : française

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