En juillet 2017, ma vie a connu un tournant. Au détour d’un reportage, à la frontière irako-turque, j’ai été arrêté par les autorités turcs, pour avoir travaillé pour TV5 Monde, une chaîne d’information internationale française, sur une milice kurde dans le nord de la Syrie. Une organisation considérée comme terroriste par la Turquie. Je suis condamné pour « terrorisme » à 25 ans de prison dans un procès kafkaïen et avec de fausses accusations.

J’ai alors 27 ans. Je passerai finalement 52 jours dans cette prison de haute sécurité, avant que les autorités françaises n’obtiennent ma libération. Cette épreuve a transformé mon être profond. Mon existence a été endommagée, mais paradoxalement, elle n’a pas entaché mon désir de raconter. Je ne suis pas devenu meilleur, simplement plus vivant. Quand je suis retourné en Ukraine, c’était avec un nouveau regard. Dans les tranchées, j’ai découvert des similarités avec mon expérience de détenu. L’enfermement psychologique, la peur de mourir ou encore l’incertitude, résonnaient différemment depuis ma détention. Avec le temps, j’ai vu aussi apparaître une certaine douceur dans cet environnement pourtant ultra violent.

Si les soldats s’entourent d’une carapace pour mieux faire face à la guerre, leur humanité est belle et forte. C’est à ce moment que j’ai compris qu’aucun reportage ne pourrait raconter ce que je voyais naître dans mon esprit, que ces émotions, ces liens sociaux ne pouvaient exister qu’à travers un temps long, qu’à travers un regard différent, en soi, qu’à travers le cinéma. »*

La guerre en hors champ 

Effectivement Loup Bureau nous donne à voir une œuvre de cinéma. Certaines séquences rappellent les chefs-d’œuvre Les Sentiers de la Gloire (1958) de Stanley Kubrick, ou Requiem pour un Massacre (1985) de Elem Klimov. Si Loup Bureau a des influences cinématographiques, fait des choix personnels, de réalisation, narratifs, esthétiques, il n’injecte pas de fiction dans son documentaire. Grâce à lui, on se trouve au plus près de ces soldats (le cinéaste a tourné en 4:3, pour avoir des cadres serrés, et mieux filmer les visages), qui combattent pour la liberté de leur pays et de leur peuple.

En définitive, on voit assez peu de scènes de guerre dans Tranchées (l’ennemi demeure hors du champ de la caméra), mais on ressent une tension montant crescendo, jusqu’à l’arrivée, inéluctable, des affrontements. Loup Bureau construit son film sur un rythme à l’opposé de la frénésie. La guerre est aussi une histoire d’attente.

Le choix de la dignité 

Une séquence montrant la tendresse que portent ces soldats à un petit chat adopté, n’est pas là pour faire pleurer Margot. Elle est capitale pour comprendre comment, même au cœur de l’horreur la plus absolue, ces êtres humains font le choix de la dignité, et refusent la barbarie.

Dans son long-métrage, Loup Bureau recueille également les confessions de ces damnés de la terre. On se souviendra longtemps de ce soldat pour qui, cette guerre, est davantage une histoire d’argent, que de politique. Le cinéma est là aussi pour témoigner et faire témoigner. Tranchées, grand film dont on sort exsangue, le rappelle de fort belle manière.

*propos issus du dossier de presse du film.

Sortie : Le 11 mai 2022 – Durée : 1h25 – Réal. : Loup Bureau – Genre : Documentaire – Nationalité : Française