État Limite (en salle depuis le 1er mai) dresse un constat de l’état de la médecine dans l’hôpital public. En suivant le psychiatre Jamal Abdel-Kader, fils de médecins Syriens ayant grandi dans les couloirs des hôpitaux publics, Nicolas Peduzzi fait œuvre de salubrité publique, et lance un cri d’alarme.

Par Grégory Marouzé

État Limite est un film choc ! De ceux qui ne vous laissent pas sur le bord de la route. Qui vous empoigne, pour ne plus vous lâcher. Parce qu’il nous concerne toutes et tous. Un film documentaire militant, qui ne fait pas de prosélytisme, refuse toute voix off, ou discours moralisateur.

Continuité d’une oeuvre

Peduzzi n’est pas un inconnu. Il a filmé la dépendance, l’addiction, la solitude, l’abandon, dans des documentaires tournés aux États-Unis, Southern Belle2018, et Ghost Song2022, récompensés dans plusieurs festivals internationaux. Pour la première fois, le documentariste pose sa caméra en France, et offre une continuité à ses deux films précédents.

État Limite s’ouvre par les photos d’un bâtiment et de ses espaces : l’hôpital de Beaujon à Clichy, dans le 92. Les images tremblent. La caméra suit un homme à la nuque tatouée, passant de couloir en couloir. En off, il interroge l’un de ses collègues “Tu sais où il peut consulter, Jamal, aujourd’hui ?”, “Ah là, aujourd’hui, il fait tous les services !”. L’homme est à la recherche de Jamal Abdel-Kader, le psychiatre de l’hôpital. Une musique de Chopin s’accouple à un beat, une pulsation d’urgence1. D’urgence, il sera beaucoup question dans État Limite.

À l’écoute des patients

Durant 1h42, Nicolas Peduzzi suit le quotidien de Jamal Abdel-Kader à l’hôpital (jamais dans son environnement privé). Rencontres avec des patients. Ici, une jeune toxicomane dont la dernière tentative de suicide lui a fait perdre les jambes et un avant-bras. Là, un homme dépendant de l’alcool, hors-champ du cadre de la caméra, mais que nous entendons et Jamal Abdel-Kader écoute. Ailleurs, un jeune garçon d’une grande solitude. Il refuse de s’alimenter, à part avec du Coca-Cola. Il souffre, doit se faire opérer du pancréas. La relation entre le jeune homme et le psychiatre est quasi fraternelle.

Une médecine malade

Évoluant des urgences à la réanimation, Jamal Abdel-Kader est bien seul, si l’on excepte son amitié avec Romain, un aide-soignant, ses échanges avec Alice et Lara, les internes qui le secondent, ou Ayman, ex-patient devenu stagiaire. Entré en psychiatrie pour la faire évoluer, changer, « exploser », avec toute la fougue de sa jeunesse et son idéalisme, il comprend, à l’âge de 33 ans, qu’il n’y arrivera pas. Pas de moyens pour la psychiatrie dans l’hôpital public. À Beaujon (mais le film pourrait se dérouler ailleurs), il devrait y avoir au moins sept médecins psychiatres. Jamal est le seul de l’établissement. Le voir s’asseoir car il souffre du dos, en dit plus long qu’un long discours. Sous la caméra entomologiste de Nicolas Peduzzi, le psychiatre s’incarne en symbole d’une médecine malade, pour ne pas dire à l’agonie. Pourtant, le jeune homme ne baisse pas les bras, ne craque pas, se bat avec fougue pour défendre ses convictions, avec tout son humanisme. Combien de temps le pourra-t-il encore ? État Limite est un avertissement. Un cri d’alarme.

Sortie : Le 1er mai 2024  – Durée : 1h42 – Réal. : Nicolas Peduzzi –  Genre : Documentaire  – Nationalité : Française – Musique : Gaël Rakotondrabe – Photographies : Pénélope Chauvelot

Et SEE tu partageais cet article ?

État Limite s’ouvre par les photos d’un bâtiment et de ses espaces : l’hôpital de Beaujon à Clichy, dans le 92. Les images tremblent. La caméra suit un homme à la nuque tatouée, passant de couloir en couloir. En off, il interroge l’un de ses collègues “Tu sais où il peut consulter, Jamal, aujourd’hui ?”, […]