Par Marc Godin

Dans l’Autriche nazie, le chemin de croix d’un objecteur de conscience refusant de prêter serment à Hitler. Réalisateur de Tree of Life et de La Ligne rouge, Terrence Malick donne à voir l’invisible lors d’une symphonie fantastique, d’une puissance formelle hallucinante. Chef-d’œuvre.

C’est un génie.
Un homme qui a changé l’histoire du cinéma.
Inventé une nouvelle façon de raconter des histoires, en délaissant la narration classique, les intrigues, la chronologie, les dialogues… Cent ans de trucs et d’artifice.
Et qui a transformé notre regard.
Avec une des plus belles filmographies qui soient : La Balade sauvage, Les Moissons du ciel, où il essayait d’atteindre «la pureté d’une goutte d’eau qui tombe dans une flaque », La Ligne rouge, Tree of Life.

Ou aujourd’hui Une vie cachée.

Pas de dialogue, pas de psychologie, des fragments de vie, de mémoires, de sentiments, des nappes de musique qui vous transportent. Du cinéma impressionniste, immersif, qui vous cueille d’un direct au cœur. Quel cinéaste peut se targuer d’une telle maestria, d’une pareille ambition ? Stanley Kubrick, Federico Fellini, Ingmar Bergman ?

La métamorphose de Malick

Terrence Malick, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est également une énigme, le fantôme du cinéma US, un ermite qui disparut en 1978, après Les Moissons du ciel, et qui revint au cinéma 20 ans plus tard avec La Ligne rouge. Il se murmure qu’il était parti étudier les oiseaux aux quatre coins du monde, puis vivre à Paris, rue Jacob ou rue Turbigo, se mariant à la Française Michèle Morette, faisant des enfants…

Mais depuis 2011 et le triomphe de Tree of Life, avec Brad Pitt, Terrence Malick, 76 ans, enchaîne frénétiquement les films, cinq en sept ans, plus que pendant les quarante premières années de sa carrière. Encore plus fort, en mai dernier, le cinéaste qui refuse obstinément les photos, les hommages, les interviews, était présent dans le Palais du festival de Cannes et a longuement salué le public suite à la projection d’Une vie cachée.
Souriant, comblé peut-être… Enfin !

« Je ne peux pas faire ce que je crois être mal »

Avec le sublime Une vie cachée, Malick revient à une narration plus linéaire, après une trilogie parfois obscure (A la merveille, Knight of Cups, Song to Song) où il bouleversait la structure narrative pour un cinéma quasi expérimental. Pour son film le plus limpide, le plus linéaire, depuis Tree of Life, Malick revisite la période de la Seconde Guerre mondiale, qu’il avait déjà abordé dans La Ligne rouge, et s’attaque à l’histoire vraie de Franz Jägerstätter, paysan autrichien et objecteur de conscience qui a refusé de prendre les armes et qui a dit non à l’armée du troisième Reich.
Non à la guerre.
Non à Hitler.

Objecteur de conscience, Jägerstätter est resté debout, droit, inflexible, et a refusé tout compromis, alors que les Allemands lui proposait de rejoindre des équipes médicales et de ne pas porter un fusil. « Je ne peux pas faire ce que je crois être mal. »

Une phrase qu’il répète comme un mantra.
Un homme qui ne sauve personne, même pas lui-même, mais qui nous sauve tous.
S’il a été décapité par les nazis en 1943, sa désobéissance, son esprit restent toujours vivants et sa lutte évoque tous ceux qui résistent aujourd’hui à Hong Kong, en Iran, en Amérique du Sud ou en France avec les Gilets jaunes.

D’une beauté insoutenable

Sans son directeur de la photo habituel, le génial Emmanuel Lubezki, sans Jack Fisk, chef décorateur de TOUS ses films, ni la costumière Jacqueline West, Malick, qui a mis trois ans à peaufiner le montage, semble plus inspiré que jamais, au sommet de son art poétique. Pour filmer cet hymne au courage, à ce qu’il y a de plus fort en l’homme, Terrence Malick, 76 ans, déploie son style symphonique. Beauté tellurique, musique classique, voix off multiples, le cinéaste compose un grand film lumineux qui donne à voir l’invisible, met des mots sur l’indicible, dépeint des âmes et parle directement à la vôtre. En un mot, un film qui a la grâce.

Un chef-d’œuvre.

Dans la première partie qui se déroule dans les sublimes paysages du Tyrol, Malick sculpte une lumière quasi divine, avec la caméra en apesanteur du chef op’ Jörg Widmer, qui avait déjà bossé sur Tree of Life. Tout est transfiguré : une balade en moto, une cascade, deux paysans qui fauchent la luzerne, des nuages dans le ciel, le regard d’un enfant… Malick immerge le spectateur dans un autre temps, pour une expérience sensorielle, panthéiste, d’une puissance formelle hallucinante.

Bientôt, des images d’actualités en noir et blanc d’Adolf Hitler, filmées par Leni Riefenstahl, viennent fracasser cette harmonie. Et quand l’univers se referme sur ce héros bouclé entre les murs d’une prison, Malick joue la carte de l’épure pour filmer son chemin de croix. Constituée de fragments de lettres d’amour que Jägerstätter envoyait à sa femme, la voix-off sature la bande son, la musique retentit comme dans une cathédrale et Malick t’embarque pour un voyage au cœur de la conscience, qui te fait toucher le ciel.
C’est simple, poignant, d’une beauté insoutenable.

LE film de l’année.
Définitivement.

Sortie : 11 décembre 2019 – Durée : 2h53 – Réal. : Terence Malick- Avec : August Diehl, Valérie Pachner, Maria Simon… – Genre : biopic – Nationalité : Américaine – Allemande

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Pas de dialogue, pas de psychologie, des fragments de vie, de mémoires, de sentiments, des nappes de musique qui vous transportent. Du cinéma impressionniste, immersif, qui vous cueille d’un direct au cœur. Quel cinéaste peut se targuer d’une telle maestria, d’une pareille ambition ? Stanley Kubrick, Federico Fellini, Ingmar Bergman ? La métamorphose de Malick Terrence Malick, […]