Par Marc Godin

Martin Scorsese retrouve Robert De Niro pour un ultime film de gangsters. Une œuvre crépusculaire sur la mort en marche et, peut-être, sur la fin du cinéma.

Scorsese-De Niro, c’est l’histoire d’une des plus belles collaborations de l’histoire du cinéma, une amitié sur une cinquantaine d’années qui a donné naissance à Raging Bull, Taxi Driver, New York New York, Mean Streets ou Les Affranchis. Une poignée de chefs-d’œuvre du cinéma américain, quelque chose comme le nirvana de 7e art.

Depuis le flamboyant Casino, Martin Scorsese et Robert De Niro, âgés respectivement de 77 et 76 ans, ont accumulé les projets avortés. Certains amenés par De Niro, d’autres par Scorsese. Tous tombés à l’eau. 24 ans plus tard, les deux amis entament enfin leur ultime tour de piste. Leur adieu au cinéma ?

Un fonctionnaire du crime

A l’origine, un livre dont s’éprend Bob De Niro, qui ne peut s’empêcher de pleurer quand il en lit certains passages à Scorsese.

I heard you paint Houses (traduit en France sous le titre beaucoup trop explicite J’ai tué Jimmy Hoffa) est le récit de Frank Sheeran, un second couteau de la mafia d’origine irlandaise. Dans le jargon des wise guys, « repeindre une maison » fait allusion au sang qui macule les murs lorsque quelqu’un se fait assassiner.

Après avoir combattu dans l’armée américaine lors de la Seconde Guerre mondiale, Sheeran devient un fonctionnaire du crime, l’homme de main de Russell Bufalino, l’une des figures les plus secrètes du crime organisé de la côte Est. Bientôt, Sheeran doit protéger Jimmy Hoffa, sulfureux président des Teamsters, puissant du syndicat des camionneurs, ennemi juré de Robert Kennedy. Les deux hommes deviennent amis…

Regrets, trahisons et oubli

The Irishman commence par un magnifique plan séquence, aussi virtuose que celui des Affranchis. Nous ne sommes plus dans une boîte de nuit, mais dans une maison de retraite. La caméra, fonce, s’envole, virevolte pour arriver sur De Niro, vieillard cacochyme cloué dans une chaise roulante. Le visage ravagé, les yeux vitreux, c’est un mort en sursis, qui tremble, avant une fin que l’on devine prochaine, et Scorsese va nous raconter, tel Proust à la recherche du temps perdu, son destin de bras armé du crime organisé.

Et si on imaginait une suite flamboyante des Affranchis ou de Casino sur fond de rock’n’roll endiablé et de costards flashy, Scorsese et De Niro vont nous jouer un… requiem. Une histoire de déchéance, de vieillesse et de mort, un incroyable voyage au bout de la nuit sur quatre décennies. Grâce au sublime scénario de Steve Zaillan (La Liste de Schindler, Le Stratège) et au montage majestueux de Thelma Schoonmaker (Raging Bull, Le Loup de Wall Street), Scorsese entremêle subtilement différentes temporalités, avec pour fil conducteur un road trip entre Frank et Bufalino (Joe Pesci) et leurs deux épouses.

Un voyage qui fait remonter des souvenirs de jeunesse et qui s’apparente à une longue confession mélancolique. Il y aura bien sûr quelques « maisons repeintes », mais surtout une tristesse totale, une mélancolie absolue. A la fin, il n’y a plus que la mort, les reniements, les regrets et les trahisons, des vies broyées qui mènent à l’hospice, à l’oubli… Car ce que Scorsese et De Niro nous racontent, c’est la mort en marche, leur fin proche, mais aussi la fin d’un cinéma que nous aimions, à l’heure des grandes plateformes de streaming. D’ailleurs, les 160 millions de The Irishman ont été financés par Netflix puisque tous les grands studios ont passé gentiment la main.

Pour Hollywood, Robert De Niro + Al Pacino + Martin Scorsese, c’est non ! Plus personne ne veut produire Scorsese s’il n’a pas une star comme Leo DiCaprio dans sa manche. Voici donc un film de gangsters élégiaque de 3H 30, un film de fantômes, le testament de géants qui laisse un goût de cendres dans la bouche et grave cette phrase de Proust dans votre tête : « la mélancolie est le soleil noir. Le vrai paradis est le paradis perdu. »

Bien sûr, il y a un bémol, car ce grand film de cinéma est à découvrir un écran de télé car il n’y aura pas d’exploitation salle en France, à cause du problème de la chronologie des médias. Que va-t-il rester de la magnificence de la photo de Rodrigo Prieto, des cent décors de Bob Shaw (Die hard) ?

A vous de le découvrir, de le savourer, de le voir et le revoir sur Netflix.

Sortie : 27 novembre 2019 sur Netflix – Durée : 3h29 – Réal. : Martin Scorsese – Avec : Robert De Niro, Al Pacino, Joe Pesci… – Genre : biopic – Nationalité : Américaine

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