Par Marc Godin

Chanteur à lunettes et aux tenues excentriques, Elton John tente de survivre à ses parents, à la gloire, à la drogue et aux amours toxiques. Une comédie musicale électrique et rock.

Rocketman est tout ce que Bohemian Rhapsody n’est pas.
Un bon film.
Un film honnête.
Et surtout un film qui te fait décoller et te file le (grand) frisson à plusieurs reprises. Qu’est-ce que l’on demande au cinéma ? Ou à la musique ? De nous embarquer, de nous faire vibrer dans le noir, au milieu du public, de nous faire jouir. Et Rocketman y parvient avec les honneurs, avec plusieurs séquences électriques, entre le grandiose et le sordide. Quand Elton dynamite son premier concert au Troubadour et commence à léviter avec son public, quand il coule au fond d’une piscine californienne, comme dans un cauchemar aquatique de Bill Viola, quand il s’explique enfin avec sa mère…

La musique : la chair et le sang du film

La grande idée de ce Rocketman, c’est sa forme : une comédie musicale. On sait que les biopics ne sont que des tissus de mensonges, trafiqués par des scribouillards qui nous vendent du sexe frelaté, des sentiments à deux balles, du destin bidon réécrit par Hollywood-lave-plus-blanc. Le génie de l’artiste en moins.

Ici, le scénariste Lee Hall (Billy Elliot, Le Cheval de guerre de Spielberg) emprunte la forme de la comédie musicale pour décrire le chemin vers la lumière d’un homme perdu dépendant au sexe, au médoc, aux drogues (il aurait déclaré « Parfois, lorsque je suis en avion au-dessus des Alpes, je me dis : ça ressemble à toute la cocaïne que j’ai sniffée »).

Le film commence avec la confession d’Elton en rehab, façon alcoolique anonyme, puis enchaîne les flashbacks. Il n’y a pas plus bateau, déjà vu. Du boulot de scénariste débutant. On est dans la narration ultra-scolaire, puis des personnages sortis de l’enfance d’Elton se mettent à chanter, danser dans la rue, et ce « faux » puissance 1000 se métamorphose en vrai, l’artifice sublime le réel.

Impressionnisme, rêve et fantasme

Dans Rocketman, on est dans l’impressionnisme, le rêve, le fantasme, pourtant, la vie et la vérité explosent 24 fois par seconde, comme dans All that Jazz, le chef-d’œuvre de Bob Fosse, référence absolue de ce Rocketman. C’est plus grand que nature, comme Elton John. Tout n’est pas vrai, mais c’est quand même la vérité grâce aux talents conjugués du scénariste, du cinéaste Dexter Fletcher et du comédien Taron Egerton, absolument grandiose quand il enchaîne les tubes d’Elton.

Sans aucune chronologie, les meilleures chansons d’Elton John Take me to the Pilot, Goodbye yellow Brick Road, Someone saved my Life Tonight ou I’m still Standing) nourrissent la narration, soutiennent les séquences, les propulsent dans une réalité alternative, les transcendent. Quand Bohemian Rhapsody se contentait de recopier en moins bien 13 minutes du concert Live Aid que tout le monde a vu 50 fois sur YouTube, Dexter Fletcher, enfant acteur vu dans Elephant Man, fait de la musique l’essence même de son film, son carburant, sa chair et son sang.

Et c’est (souvent) sublime, car Elton John a écrit, avec Bernie Taupin, quelques putains de bonnes chansons.

Quand Elton rencontre Pedro

In fine, Rocketman ne fait pas semblant de nous asséner des vérités sur Elton. Il livre un portait intime et intimiste, fragmenté mais juste, profondément touchant quand Elton se souvient de ce père trop rigide ou de sa mère-ogresse.

Etrangement, Rocketman évoque même à plusieurs reprises le dernier Pedro Almodovar, Douleur et gloire, l’histoire d’un homme au fond (du trou, de la piscine) dont les souvenirs s’entremêlent, prisonnier de ses addictions, ravagé par une mère qui ne l’aura jamais accepté, déçue par ce fils dont elle n’aura jamais été fière. Alors attention, Rocketman n’est pas un chef-d’œuvre, et Dexter Fletcher n’a pas la sensibilité d’Almodovar ou le talent de Bob Fosse. Néanmoins, c’est un film honnête, assez vertigineux, à l’énergie communicative, qui te donne envie de réécouter toute la discographie de Sir Elton John. Ce qui est déjà pas si mal par ces temps qui courent…

Finalement, Rocketman est moins l’histoire d’une star de la musique des 70’s que l’histoire d’un enfant qui voulait qu’on le serre dans ses bras, d’un homme qui ne s’aimait pas et qui voulait qu’on l’aime. Désespérément.

C’est notre histoire.

Comment ne pas être touché au cœur ?

Sortie : 29 mai 2019 – Durée : 2h01 – Réal. : Dexter Fletcher – Avec : Taron Egerton, Jamie Bell, Richard Madden… – Genre : biopic – Nationalité : britannique

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