Le Garçon et le Héron
Personnages foisonnants, intrigue tarabiscotée, le nouveau conte moderne de Hayao Miyazaki, d’une saisissant de beauté, revisite son univers avec une force bouleversante. Point d’orgue dans l’œuvre de son auteur, Le Garçon et le Héron s’envole déjà au firmament de l’animation. Attention, chef-d’oeuvre !
Par Christelle Laffin
Il s’était juré que le magnifique Le Vent se lève (2013) serait son dernier. Qu’après 38 ans de Ghibli, il était temps, pour le Sensei de l’animation japonaise, de raccrocher les pinceaux. Heureusement que Hayao Miyazaki est autant accro à ses créations que nous ! Film auréolé de mystère, dont la sortie a été orchestrée dans le plus grand secret- pas de bande-annonce, un croquis savamment « fuité » quelques mois avant au Japon, Le Garçon et le héron, n’en n’est que plus précieux.
Car le douzième opus de l’animateur relève du cadeau à ses fans autant que de l’œuvre ultime, celle qui parle le mieux de son auteur et avec laquelle il nous parle.
On y rencontre le jeune Mahito, 11 ans, dont la mère disparaît dans les flammes d’un tragique incendie dans un hôpital de Tokyo, durant la seconde guerre mondiale. Son père, qui manufacture des pièces de Zero, les avions des Kamikazes, les déménage à la campagne, dans le vieux manoir familial de sa défunte épouse. Là, la tante de Mahito, sœur cadette de sa mère, s’impose comme sa remplaçante : mariée au jeune veuf et déjà enceinte. Mahito a du mal à s’adapter à sa nouvelle vie.
Un mystérieux héron cendré se met lui parler, en lui indiquant le chemin vers une imposante tour abandonnée. C’est à l’intérieur de la bâtisse interdite que Mahito part à la recherche de sa belle-mère soudainement disparue, sur l’invitation de cet étrange oiseau hâbleur…Un monde parallèle l’y attend.
© Le Studio Ghibli
Le Conte est bon
Dès le départ de Mahito pour le manoir de sa mère, les fans de Miyazaki se sentent d’emblée chez eux. Une trame familière, celle du conte initiatique -ici adapté très librement du roman Et vous comment vivez-vous ? de Genzaburo Yoshino (1937) que le réalisateur nippon avait déjà explorée avec Le Voyage de Chihiro, Ponyo ou Le Château Ambulant.
Comme Mei, Satsuki (Mon voisin Totoro) et Miyazaki, Mahito entretient un lien fort avec sa mère, et cette relation le pousse à se dépasser, à explorer le mystère de la vie. Comme Chihiro ou Ponyo, il lui faudra quitter son cocon familial pour grandir, et dans son cas, faire son deuil. Des références à Alice au Pays des Merveilles, à Blanche Neige-les sept mini-mamies qui veillent sur Mahito- mais aussi, toujours, à l’animisme japonais et ses esprits qui nous entourent.
Et comme c’est un personnage de Miyazaki, Mahito va évoluer dans un univers d’une inventivité folle, guidé par des créatures magiques, tour à tour effrayantes, sages, immatures et émouvantes, nous happant avec lui dans des images d’une poésie saisissante.
© Le Studio Ghibli
Drôle d’oiseau
L’autre star du film, le héron cendré qui devient petit à petit son guide et l’aide au fil de ses découvertes et questionnements, est certainement l’une des plus étonnantes réussites de Miyazaki. Grotesque, manipulateur, attachant, il est le point d’entrée de choix dans cet univers complexe, vertigineux de complexité symbolique, mais d’une vérité émotionnelle qui vous fauche-souvent-au moment où vous vous y attendez le moins.
La complexité de la narration pourra dérouter les spectateurs les plus jeunes, ou les plus cartésiens. Mais elle agit en miroir de l’exploration sans concession, presque compulsive, d’une sa psyché intérieure totalement débridée à laquelle le réalisateur s’emploie depuis les débuts de Ghibli. Ici, on atteint l’os en termes d’opacité et de source d’inspiration qui semble loin, très loin de se tarir même lorsque la redite semble toquer à la porte. Celles du Garçon et le Héron, de portes, rappellent, par exemple, celles du Château Ambulant mais au lieu de nous faire voyager dans le temps, elle nous emmènent avant la vie.
La question de la maternité, centrale au film, se confond avec celle de la paternité que Miyazaki peine à lâcher à bientôt 83 ans. Incapable de passer la main du studio qu’il a co-fondé avec Isao Takahata et Toshio Suzuki et dont le nom même-Ghibli, dérivé du libyen « sirocco » évoque un vent de nouveauté, on le voit bien sous les traits du vieux fou ébouriffé, le maître de la Tour qui joue avec le monde comme avec des figures géométriques en équilibre instable, mais qui se cherche encore un successeur, en vain.
Si de plus jeunes animateurs, y compris le propre fils du maître, Gorō (réalisateur du certes peu impressionnant Aya et la Sorcière) n’y ont pas encore trouvé leur place, c’est certainement parce que Miyazaki a besoin de continuer à ciseler son œuvre et à nous parler de lui tout en nourrissant notre imaginaire. Film d’animation exigeant dont chaque détour de trame narrative pourrait inspirer quatre sequels et trois prequels, le Garçon et du Héron nous habite encore longtemps après la projection, poursuivant sa vie dans les méandres de notre inconscient. Jusqu’au prochain voyage en Miyasaki.
Sortie : Le 1er novembre – Durée : 2h03– Réal. : Hayao Miyasaki– Avec (voix françaises) Gavril Dartevelle, Soma Santoki, Juliette Allain : – Genre : animation, fantastique, historique – Nationalité : Japonaise – Distribution : Wild Bunch
Car le douzième opus de l’animateur relève du cadeau à ses fans autant que de l’œuvre ultime, celle qui parle le mieux de son auteur et avec laquelle il nous parle. On y rencontre le jeune Mahito, 11 ans, dont la mère disparaît dans les flammes d’un tragique incendie dans un hôpital de Tokyo, durant la seconde […]