Un agent secret doit empêcher un holocauste nucléaire. Paradoxes temporels et mind fucking : un magnifique puzzle ouvragé par un Christopher Nolan au sommet de son art.

Par Marc Godin

Nous avons besoin de Tenet

Depuis le mois de mars et la pandémie de Covid-19, le monde du cinéma s’est transformé, effondré, et un tsunami se prépare.

Après la fermeture des salles, puis une réouverture catastrophique faute de blockbusters, certains studios jouent la carte du streaming (Mulan à 30 dollars chez Disney+), tandis que le public semble avoir peur de revenir en salles. Dans cette époque complexe pour le cinéphile moyen, Tenet fait figure de messie.

Tandis que les films sont déprogrammés les uns après les autres (octobre, novembre, 2021, 2022…), la sortie du nouvel opus de Christopher Nolan, retardé trois fois, tient du miracle. Nous avons besoin de Tenet, comme nous avons besoin de croire au dieu cinéma, et avec ce film, Nolan et la Warner pourraient sauver cet été de tous les dangers et, peut-être, empêcher des fermetures de cinémas dans le monde entier.

Et bonne nouvelle, Tenet est une énorme claque, 2H 30 de pure adrénaline, de bastons hallucinantes et de courses poursuites temporelles cool et excitantes.

Holocauste et inversion temporelle

Impossible de résumer Tenet qui fait partie de ces rares films dont on gagne à savoir le moins possible afin d’en savourer la complexité narrative, les retournements de situations, les audaces sur la temporalité. Sachez simplement que John David Washington, révélé par Spike Lee dans BlacKkKlansman : j’ai infiltré le Ku Klux Klan, incarne avec fougue un agent très secret chargé d’une mission (impossible) : empêcher un holocauste nucléaire sur fond d’inversion temporelle.

Au cours de sa quête entre présent et futur, avec des personnages du futur qui viennent modifier le présent, il va sillonner le globe, affronter Kenneth Branagh, un oligarque russe amoureux mais ravagé du bulbe, croiser Robert Pattinson, un agent aussi stylé qu’efficace, mais aussi Michael Caine, Elizabeth Debicki, Dimple Kapadia ou Aaron Taylor-Johnson.

Avec ou sans masque

Sur le plan de la structure, Tenet (qui peut se traduire par principe, doctrine) s’apparente à un James Bond ou un Mission : impossible, produits ultra-calibrés, souvent écrits à partir de trois séquences un peu spectaculaires (c’est ce qu’avait révélé Robert Towne, l’auteur de Chinatown sur son boulot sur Mission : impossible 2), et qui reposent sur des figures obligées : uber méchant qui veut détruire la planète, tourisme dans plusieurs pays exotiques, cascades, bagarres…

Si Inception était déjà un 007 au pays du rêve et de la psychanalyse, Tenet s’apparente à un flamboyant remix de Bond, version temporalité déglinguée. Et Christopher Nolan, grand alchimiste du cinéma, transforme ce matériau de seconde catégorie en grand cinéma. Bref, il joue l’inversion mais ne nous la fait pas à l’envers et semble nous balader dans un dessin en trompe-l’œil de M. C. Escher.

Avec son jeu entre différentes strates temporelles (le film est en forme de boucle), Nolan – qui a mis sept ans à finaliser son script – s’amuse, perd son spectateur, lui plonge la tête dans l’eau pour mieux le repêcher, l’agrippe pour ne jamais le lâcher, dans un brouillard éclatant où le temps semble élastique, détraqué, malade.

C’est brillant et confus, magique et ludique, et Nolan retourne le cerveau de son spectateur. On est loin des scénarios mal tricotés de Nolan pour ses Batman ou de l’insignifiance de Dunkerque.

Et l’on sort de Tenet avec l’envie de revoir ce puzzle au plus vite, histoire de trouver une pièce manquante, vérifier certains paradoxes, certains détails (avec ou sans masque ?), et ressentir à nouveau les frissons de ce roller-coaster infernal…

Dans une autre dimension

Formellement, Nolan sort, comme à son habitude la grosse artillerie et sa croyance dans le cinéma est telle qu’il tourne en Imax 70mm et non en numérique. Et cisèle quelques-unes de ses plus belles séquences : une poursuite de voitures, dont certaines roulent à l’envers, une intervention musclée dans une salle de concert, l’escalade d’un gratte-ciel…

De grands moments d’anthologie. Pour les postes techniques importants, Nolan embauche ses fidèles, tous des pointures : son chef op d’Interstellar ou Dunkerque, Hoyte Van Hoytema, Jennifer Lame (Hérédité) au montage, Nathan Crowley (les Batman) à la déco, Jeffrey Kurland (Inception) aux costumes…

Hans Zimmer étant déjà occupé par la partition de Dune, Nolan a eu la bonne idée de collaborer avec le Suédois Ludwig Göransson, qui avait déjà signé la B.O. de la série TV The Mandalorian. Sa musique électro sonne comme du Philip Glass atomique. Novatrice, révolutionnaire, miraculeuse, à la fois bruitiste et très mélodique, elle participe à la mécanique narrative et propulse le film dans une autre dimension, avec une ambiance de fin du monde, à la manière des beautés convulsives de Mica Levi pour Under the Skin. Du pur génie.

Un casting miraculeux

Un petit mot enfin sur le casting. A une époque où la diversité a toujours du mal à s’afficher à l’écran, Nolan déroule un casting miraculeux : le héros qui doit sauver le monde est noir, bien sûr, deux personnages importants, dont une femme d’une soixantaine d’années, sont d’origine indienne, et l’héroïne, Elizabeth Debicki, 1, 88m de grâce et d’intelligence, hérite d’une vraie personnalité et non du rôle habituelle de la serpillère ou de la virtuose du kung fu… Bref, là aussi, Nolan, tout en douceur, nous séduit et non comble. Et signe, tout simplement, son meilleur film depuis Le Prestige.

Vous avez besoin de Tenet.

Sortie : 26 août 2020 – Durée : 2h 30 – Réal. : Christopher Nolan – Avec : John David Washington, Robert Pattinson, Elizabeth Debicki… – Genre : action – Nationalité : Américaine

Et SEE tu partageais cet article ?

Et bonne nouvelle, Tenet est une énorme claque, 2H 30 de pure adrénaline, de bastons hallucinantes et de courses poursuites temporelles cool et excitantes. Holocauste et inversion temporelle Impossible de résumer Tenet qui fait partie de ces rares films dont on gagne à savoir le moins possible afin d’en savourer la complexité narrative, les retournements […]