Sicario : La Guerre des Cartels
Par Marc Godin
Pour déclencher une guerre au sein des narcos mexicains, des agents de la CIA kidnappent la fillette d’un big boss. Une mise en scène et des performances d’acteurs 200% adrénaline.
Pourquoi réaliser la suite d’un grand film, qui vous plongeait pendant deux dans un cauchemar terrifiant et anxiogène, où une virée en voitures derrière la frontière mexicaine s’apparentait à une descente aller-simple dans le 7e cercle de l’enfer, les infrabasses du regretté Jóhann Jóhannsson en bonus ?
Un thriller quasi-parfait qui traitait bien plus des USA que des cartels et qui, à la fin, laissait un goût de cendres dans la bouche. Quand j’ai découvert la bande annonce de la suite de Sicario, j’ai eu plus qu’un doute, l’impression étrange de revoir les meilleurs moments du premier, un best of avec des véhicules blindés qui foncent dans le désert mexicain, des fusillades, Benicio Del Toro qui vide son chargeur gangsta style, Josh Brolin qui doit déclencher une guerre totale, avec le sourire. Le tout sans Emily Blunt, ni le réalisateur Dennis Villeneuve.
Bref, ça sentait la suite sans âme, le gros truc bourrin et décérébré pour faire les poches des spectateurs-gogos pendant l’été.
Un film politique
J’avais pourtant oublié un truc essentiel, Sicario : La Guerre des Cartels (attention, le film ne s’intitule pas Sicario 2) est ciselé par le scénariste du premier volet, l’épatant Taylor Sheridan, acteur vu dans la série Sons of Anarchy, scénariste du formidable Comancheria ou auteur-réalisateur de Winter River, des westerns modernes où il est le plus souvent question de frontière.
Ici, il concocte un film politique goupillé comme un thriller, qui commence avec des terroristes islamiques qui se font exploser dans un centre commercial, au milieu de femmes et d’enfants. On s’attend à voir des tueurs mexicains du folklore hollywoodien (que l’on ne verra quasiment jamais), avec masques de catcheurs et tronçonneuses, et on se retrouve dans Zero dark thirty, avec Josh Brolin en tong qui va faire parler un Somalien en butant sa famille à coups de drone.
Comme le premier, cette Guerre des Cartels ne parle pas du Mexique, mais des Etats-Unis et de sa politique impérialiste aux quatre coins du monde. Le trafic de drogue n’est qu’une toile de fond, d’ailleurs on apprend ici que le trafic de drogue rapporte moins aux membres des cartels que le trafic des migrants, devenu le nouveau business juteux du XXIe siècle. Le trafic d’êtres humains !
Le secrétaire de la Défense (Matthew Modine) décide de déclencher le chaos au Mexique et il envoie Josh Brolin, génial en barbouze « I Don’t give a fuck» de la CIA, pour exécuter ses basses œuvres. Qui a une idée – simple – pour que les cartels s’entredéchirent et pour déstabiliser un pays tout entier : kidnapper la fillette d’un boss et compter les points pendant les narcos se massacrent. Quel autre scénariste américain oserait nous dépeindre le gouvernement US prêt à toutes les infamies, toutes les compromissions, des agents de la CIA qui tuent hommes, femmes et enfants sans le moindre état d’âme ? A part Oliver Stone, je ne vois pas trop…
Benicio Del Toro phénoménal
Un bon scénariste, c’est bien, un vrai metteur en scène, c’est encore mieux. Sicario était filmé par un Denis Villeneuve au sommet de son art, sublimé par la lumière crépusculaire du chef op Roger Deakins (Blade Runner 2049, No Country for old Men).
Ce nouveau Sicario est réalisé par Stefano Sollima, excellent réalisateur de All Cops are bastards, Suburra ou de la série TV Gomorra, épaulé par Dariusz Wolski, le directeur de la photo des derniers Ridley Scott, et le monteur habituel de Nicolas Winding Refn. Si Sollima n’a pas le talent formel de Villeneuve, il parvient à emballer l’affaire à la perfection. Il y a un vrai réalisateur derrière la caméra, un cinéaste capable de générer une tension en quelques plans ou des filmer d’une façon ultra-documentaire une attaque dans le désert.
Entre deux séquences d’action, Sollima offre un écrin à ses acteurs. Josh Brolin, déjà vu cette année en Thanos dans Avengers : Infinity War, puis en Cable dans Deadpool 2, est sidérant de cynisme et de séduction cool. Quant à Benicio Del Toro, le sicaire mutique (tueur à gages) du premier volet, c’est quasiment lui le personnage le plus humain de cette bande de dégénérés et d’assassins. Comme dans le premier volet, il a très peu de dialogue, il reste caché derrière ses lunettes noires, qu’il enlève avec parcimonie pour donner à voir les tréfonds de son âme : un mort-vivant qui est tombé aux enfers et qui en est revenu. Il est phénoménal.
Ce Sicario 2 est la bonne surprise de cet été plutôt désolant.
Sortie : 27 juin 2018 – Durée : 2h02 – Réal. : Stefano Sollima – Avec : Josh Brolin, Benicio Del Toro, Matthew Modine… – Genre : action – Nationalité : américaine
Bref, ça sentait la suite sans âme, le gros truc bourrin et décérébré pour faire les poches des spectateurs-gogos pendant l’été. Un film politique J’avais pourtant oublié un truc essentiel, Sicario : La Guerre des Cartels (attention, le film ne s’intitule pas Sicario 2) est ciselé par le scénariste du premier volet, l’épatant Taylor Sheridan, acteur […]