JSA (JOINT SECURITY AREA)
Par Marc Godin
A la frontière entre les deux Corée, une fusillade risque de dégénérer en accident diplomatique majeur. Inédit en France, le premier gros succès de Park Chan-wook arrive enfin en salles dans une magnifique copie restaurée 4K.
Immense formaliste, le Coréen Park Chan-wook est un styliste de la violence, une bête de festivals qui éjacule ses délires visionnaires sur grand écran, des films radicaux, novateurs, d’une beauté convulsive où il est question de vengeance, de larmes et de sang.
Depuis une vingtaine d’années, ce fou de Vertigo d’Hitchcock a réalisé des films vénéneux comme Sympathy for Mr Vengeance, Lady Vengeance et la merveille des merveilles, Old Boy, son chef-d’œuvre. Un électrochoc, ponctué de scènes ahurissantes : on mentionnera, pour la bonne bouche, la séquence où le héros s’improvise dentiste, avec… un marteau et une baston insensée entre le héros et une cinquantaine d’adversaires, filmée en travelling latéral et en plan séquence, une scène souvent copiée, jamais égalée !
Pourtant, après 2006, PCW s’égare dans une série de films indignes de son talent, des exercices de style désincarnés, du ciné post-moderne insupportable où il plagie Hitchcock, s’auto-parodie, avec une virtuosité au service de rien, oubliant le plus souvent de faire un film. Mais en 2016, il revient en force avec Mademoiselle, sublime mélo sadien, histoire d’arnaque, de jouissance et de mort, son meilleur film depuis Old Boy.
Une œuvre de jeunesse
Même si vous êtes fan hardcore de PCW, vous n’avez peut-être jamais vu son troisième long-métrage, le film de commande Joint Security Area (JSA), inédit en salles (mais sorti en DVD). Pour les vacances, la Rabbia vous fait un beau cadeau et vous propose de découvrir JSA au cinéma, dans une belle copie restaurée 4K.
Nous sommes à l’aube des années 2000. Suite à une fusillade dans la zone Commune de Sécurité (Joint Security Area) séparant les deux Corée, deux soldats de l’armée nord-coréenne sont retrouvés morts, tués par un garde sud-coréen. Un incident diplomatique majeur éclate et pour éviter que la situation ne dégénère, une jeune enquêtrice suisse, d’origine coréenne, Sophie E. Jean, mène l’enquête et interroge les survivants, pas vraiment coopératifs. Pendant que la tension monte des deux côtés de la frontière et qu’un conflit majeur risque d’éclater à chaque instant, la vérité est ailleurs…
Un puzzle hitchcockien
Adapté d’un best-seller, JSA est remarquablement bien écrit, avec une somptueuse structure en flashback, qui débute après 30 minutes. Le film fonctionne comme un puzzle hitchcockien, ou le Citizen Kane d’Orson Welles, balade le spectateur de révélations en coups de théâtre, de mensonges en faux témoignages, génère un suspense constant, jusqu’à l’ultime seconde.
Comme les protagonistes, le film se dérobe sans cesse : de film politique, JSA se métamorphose en thriller, en mélo, puis en récit d’une amitié et, peut-être, en histoire d’amour… Ce qui est sublime dans JSA, c’est le récit de l’amitié entre des soldats, frères ennemis élevés dans des idéologies que tout oppose, qui redeviennent des enfants, oubliant la haine ancestrale et la frontière.
Des personnages amples, complexes, fondamentalement humains, incroyablement dessinés, qui permettent une identification totale du spectateur. Des personnages incarnés par deux acteurs qui deviendront les stars du ciné coréen : l’extraordinaire Song Kang-ho (Memories of Murder, The Host, Snowpiercer) et bogoss Lee Byung-hun, vu dans A better Sweet Life et J’ai rencontré le diable.
Si à l’époque de JSA, Park Chan-wook n’est pas encore le grand formaliste qu’il va devenir au fil des années 2000, il boucle une série de visions absolument inoubliables. Notamment, la première rencontre irréelle entre les héros dans un champ de blé, les scènes sous la neige, le vol de la chouette sous la lune (un plan numérique), un Mexican stand off monstrueux… Et signe un des grands films du cinéma coréen, une œuvre somptueuse, antimilitariste et humaniste, avec une profondeur qui fera cruellement défaut à des œuvres comme Je suis un cyborg ou Stoker.
Définitivement la reprise de l’été.
Sortie : 27 juin 2018 – Durée : 1h50 – Réal. : Park Chan-wook – Avec : JSong Kang-ho, Lee Byung-hun, Yeong-ae Lee… – Genre : action – Nationalité : Sud-Coréenne
Pourtant, après 2006, PCW s’égare dans une série de films indignes de son talent, des exercices de style désincarnés, du ciné post-moderne insupportable où il plagie Hitchcock, s’auto-parodie, avec une virtuosité au service de rien, oubliant le plus souvent de faire un film. Mais en 2016, il revient en force avec Mademoiselle, sublime mélo sadien, […]