GEMINI MAN
Par Marc Godin
Tueur professionnel, Will Smith affronte son clone, plus jeune de 30 ans. Ang Lee repousse les limites du 7e art et propose une expérience hypnotique et viscérale. Le cinéma du futur.
Ang Lee est un immense cinéaste, un grand formaliste.
Et un visionnaire.
Au fil des années, ce Taïwanais de 64 ans fou d’Ingmar Bergman a sculpté une œuvre à la fois ambitieuse et grand public, 14 longs-métrages placés sous le signe de l’éclectisme, avec un supplément d’âme. Une comédie familiale (Salé, sucré), le portrait dépressif de l’Amérique des 70’s (Ice Storm), un film de sabre chinois (Tigre et dragon), un western sur fond de guerre de Sécession (Chevauchée avec le diable), un mélo homo (Le Secret de Brokeback Moutain), un film de super-héros (Hulk) ou encore Un jour dans la vie de Billy Lynn, faux film de guerre mais vrai chef-d’œuvre qui parle de mensonges, de propagande, de déréalisation du monde et de « faits alternatifs ».
Repousser les limites
En plus d’être un grand storyteller, Ang Lee cherche à repousser les limites du cinéma, comme James Cameron, à inventer de nouvelles formes. Dès 2003, il s’essaie aux images synthèse avec Hulk, accepte de réaliser L’Odyssée de Pi en 2012, car il sait que ce projet est impossible à mener à bien.
Résultat, il cisèle une 3D immersive et le spectateur a l’impression d’assister à la projection d’un petit bijou numérique de Georges Méliès. En 2017, il filme Un jour dans la vie de Billy Lynn, en 3D, 4 K et High Frame Rate 120 fps (120 images /seconde, contre 24 habituellement) alors que seules six salles dans le monde sont équipées pour projeter le film dans de bonnes conditions.
Son désir ? Révolutionner l’expérience immersive, bien décidé à « emmener le spectateur dans une zone où il ferait l’expérience de la clarté d’esprit des soldats confrontés à des situations chaotiques. J’ai eu un accident de voiture il y a quelques années, et, ce qui s’est déroulé en deux secondes, je pourrais vous le raconter sur plusieurs minutes. Le temps ne s’est pas ralenti, mais la clarté des événements s’est accrue à mes yeux, et mon esprit a enregistré plus d’informations. »
La révolution Ang Lee
Deux ans plus tard, la révolution Ang Lee est en marche. Il embauche la star Will Smith pour un film d’action titanesque tout en entier pensé pour la technologie 3D, 4K et HFR. Le parc des salles équipées a augmenté et en France, une vingtaine de salles projetteront le film en 60 images / seconde. Car il faut absolument bénéficier de cette qualité de projection pour savourer cette histoire de tueur professionnel des services secrets US qui, désireux de prendre une retraite bien méritée, voit sa tête mise à prix par son ancien mentor.
Entre le sud des Etats-Unis, Budapest ou Carthagène en Colombie, l’assassin à bout de souffle de 51 ans se retrouve traqué par son clone plus jeune de 30 ans, plus féroce, impossible à arrêter.
Actionner malin, le scénario accumule frénétiquement les séquences spectaculaires, mais le héros et les personnages secondaires sont finement dessinés. Et parce que les scénaristes – qui ont écrit La 25e heure ou Capitaine Phillips – ne sont pas des manches, le film peut se voir comme un bel objet théorique car ils égrènent quelques réflexions passionnantes sur la filiation, l’artifice ou le spectacle, notamment lors de la séquence où Clive Owen, entre génie du mal et producteur mégalo de studio, regarde l’entraînement de ses troupes de choc dans un décor de cinéma. Deep fake ?
Origines du 7e art et émerveillement technologique
Mais l’enjeu principal d’Ang Lee, c’est de te jeter au cœur de l’image, au cœur du cinéma, grâce à l’utilisation de la haute définition : au pays de la magie, de l’émerveillement, du vertige.
Tout est digital, tout est faux et tout est vrai ! Dès la séquence d’ouverture hyperréaliste, le spectateur est plongé dans un maelstrom de sensations jouissives. Allongé dans l’herbe, Will Smith doit éliminer une cible dans un train lancé à 300 kilomètres heures. Les gros plans sur son visage, ses yeux, la lunette de son fusil de sniper, le train à grande vitesse : c’est juste ahurissant de netteté, avec une profondeur de champ hallucinante, du jamais vu.
Tu es dans une autre dimension et tu ressens ce que les spectateurs de L’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat ont probablement pu ressentir en 1896. Certains critiques grognent déjà contre l’aspect rollercoaster du film, mais il ne faudrait pas oublier qu’à ses débuts, le cinéma était une attraction de foire.
Et à une époque où l’on consomme de plus en plus le cinéma sur son smartphone, Ang Lee nous reconnecte à ces sensations primitives, en retrouvant la pureté des origines du 7e art, grâce à une technologie de pointe.
Pendant les deux heures de projection, Ang Lee multiplie les plans iconiques, hypnotiques, les scènes anthologiques, accélère le rythme dans des séquences viscérales qui foncent déjà à 200 km, superbement épaulé par Dion Beebe, le chef op de Miami Vice et de Collateral. Tu sors de la salle lessivé, bluffé, persuadé d’avoir vu le futur du cinéma.
Sortie : 2 octobre 2019 – Durée : 1h57 – Réal. : Ang Lee – Avec : Will Smith, Mary Elisabeth Winstead, Clive Owen… – Genre : action – Nationalité : Américaine – Chinoise
Repousser les limites En plus d’être un grand storyteller, Ang Lee cherche à repousser les limites du cinéma, comme James Cameron, à inventer de nouvelles formes. Dès 2003, il s’essaie aux images synthèse avec Hulk, accepte de réaliser L’Odyssée de Pi en 2012, car il sait que ce projet est impossible à mener à bien. […]