Par Marc Godin

Une famille tente de survivre aux assauts répétés de mystérieux doubles. Après Get out, Jordan Peele revient avec un film d’épouvante pas effrayant, doublé d’une parabole foireuse. Catastrophe industrielle.

C’est la grosse imposture du moment.

Depuis Get out, la critique parle de Jordan Peele comme de la huitième merveille du monde, le nouveau messie du 7e art, un mix entre Hitchcock et Kubrick, pas moins.

Parfait pour les critiques, ça, un cinéaste afro-américain de 40 ans qui utilise et détourne les conventions du film de terreur, interroge un genre, mais aussi l’esclavage et la servitude dans l’Amérique de Trump et livre une métaphore politique sur le racisme ordinaire.

Avec ça, ton rédac chef va au moins t’offrir une demi-page…

A l’arrivée pourtant, Get out n’est qu’une série B (Jason Blum oblige), un film de blaxploitation pas finaud, mais avec un humour saisissant et acéré.

Home Invasion

Deux ans et un Oscar du Meilleur scénario plus tard, Jordan Peele revient avec Us (attention, titre à double sens, Us, nous, mais aussi U.S., trop fort le mec).

Le pitch ? Une famille de riches afro-américains se rend dans sa maison secondaire, du côté de Santa Cruz, pour des vacances de rêve. Ils sont riches, la vie est belle, le papa, la môman et les deux enfants se baladent, vont à la plage, font du bateau… Mais un soir, une famille identique à eux, mais habillée en orange, Guantanamo Style, passe à l’attaque de leur belle maison et tente de les exterminer.

Mais qui sont ces affreux jojos, qui leur ressemblent comme deux gouttes de sang, armés de ciseaux bien affûtés ? Des doubles pas vraiment terminés mais sadiques, des doppelgängers qui veulent remplacer. Le jeu de massacre commence et le film emprunte tout d’abord la forme d’un « home invasion ».

Bientôt, la famille parvient à s’enfuir et trouve refuge dans la maison d’à côté. Mais les gentils voisins ont été décimés par leurs méchants doubles. L’invasion a commencé…

Karl Marx pour Les Nuls

Comme dans Get out, il y a plusieurs films qui coexistent dans Us. Un home invasion, un slasher, un film politique, une critique de la société U.S., une comédie grinçante, un film à twist… C’est peut-être un peu beaucoup.

L’intrusion de scènes de comédie, entre deux coups de couteau, me semble ce qu’il y a de plus réussi dans Us. Jordan Peele a bien révisé l’œuvre complète de Wes Craven et nous sert les meilleures recettes du papa de Freddy Krueger et de Scream.

Pour le reste, c’est plutôt morne plaine, quand ce n’est pas l’accident industriel. Tout d’abord, Us ne fait JAMAIS peur, ce qui est un poil problématique pour un film de terreur. On devrait se recroqueviller sur son fauteuil et pourtant on regarde ça d’un derrière distrait, entre deux attaques de somnolence.

La faute a une mise en place interminable, des tas d’explications foireuses, un twist prévisible une heure en avance et une parabole politique lourdingue qui flingue le tout. De fait, tu as l’impression que Peele prend le genre de haut, même s’il recycle/repompe Twilight Zone ou Richard Matheson.

Pour ce petit malin, impossible de réaliser un film d’horreur, il faut que ça parabole, que ça allégorise. S’il parlait racisme dans Get out, ici l’Auteur devise sur le lumpenprolétariat, les underdogs américains, des Gilets jaunes hardcore. Le film s’ouvre sur un prologue explicatif qui nous raconte que les USA sont parcourus par des milliers de kilomètres de souterrains et de rails de métro abandonnés, allégorie de l’« Underground Railroad », réseau clandestin qu’empruntaient les esclaves du Sud.

Tu crois aller voir un film d’horreur popcorn, et tu te retrouves avec Karl Marx pour Les Nuls. Et l’oscarisé Jordan Peele de t’expliquer que dans cette société ultra libérale dirigée par un milliardaire aux cheveux orange, il y a de très riches qui ont tout, la maison, la voiture, le bateau, l’éducation et qui prospèrent sur ceux qui n’ont rien, les underdogs, les pauvres, les SDF que l’on efface du rêve américain, que l’on cache sous le tapis. Des monstres dans le placard ?

Que c’est éclairant, nouveau, révolutionnaire. Et pas du tout sentencieux, ni pachydermique. D’ailleurs, un des premiers mots du double de l’héroïne, quand on lui demande qui ils sont, déclare en écarquillant les yeux comme si elle avait un plug anal « We are Americans ». C’est beau comme de l’antique.

Une perfection formelle est au service de… rien

Le Jordan Peele cinéaste me semble plus intéressant que le Jordan Peele scénariste. Il a tout d’abord la très bonne idée de s’épauler sur un géant, Mike Gioulakis, génial chef op de It follows, un des directeurs de la photo les plus courtisés du moment. A ses côtés, la directrice artistique Ruth De Jong, qui a bossé avec Terrence Malick, Paul Thomas Anderson ou sur Twin Peaks, ou encore Kym Barrett, créatrice des costumes de Matrix ou Roméo + Juliette. Peele se révèle également un excellent directeur d’acteurs et j’avoue que je n’avais jamais vu la très transparente Lupita Nyong’o aussi impressionnante. La limite, c’est que cette perfection formelle est au service de… rien. Us est un « beau » livre d’images, mais il n’y a pas grand-chose à lire. Et ce qui est désagréable, c’est que Peele se prend pour Proust, alors que son ouvrage s’apparente plutôt à un album à colorier.

A fuir.

Sortie : 20 mars 2019 – Durée : 1h56 – Réal. : Jordan Peele – Avec : Lupita Nyong’o, Winston Duke; Elisabeth Moss… – Genre : horreur – Nationalité : américaine

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