Par Sylvain Monier

Un portrait croisé d’un jeune acteur qui découvre les affres de la célébrité et d’un enfant qui aspire à les vivre. Sur un sujet dans l’air du temps, Xavier Dolan (30 ans) signe un film dense où il ne manque pas d’explorer ses obsessions. Le cinéaste se libère aussi de ses agaçantes scories qui pouvaient plomber son propos, naguère.

En 1997, Xavier Dolan, 8 ans, prend sa première claque au ciné devant Titanic. Fan hardcore de Leonardo DiCaprio qu’il avait déjà repéré dans des séries, le petit Xavier se met à écrire une lettre à la star, laissée sans réponse.

Plus de 20 ans après, cet épisode devient l’enjeu de son film, Ma vie avec John S. Donovan (The Death and Life of John F. Donovan), où Dolan se réincarne dans un gamin de 11 ans, Rupert, (Jacob Tremblay) qui entame une relation épistolaire sur plusieurs années avec une star de série (John S. Donovan donc) un peu naze mais dont le nom circule pour devenir le prochain héros d’une adaptation ciné d’un Marvel ou DC Comics.

Tourmenté par les affres du star-system qui l’empêche de vivre sa sexualité tout en plombant les relations avec sa mère (Susan Sarandon), John se confie au gamin qui, de son côté, trouve un réconfort auprès du comédien, car lui-même a maille à partir avec sa mère (Natalie Portman) un peu paumée et ses camarades de classe qui le « miskinent » parce qu’il est « différent ».

Une histoire à trois niveaux

Campé par le trapu Kit Harrington (Jon Snow dans Game of Thrones), John Donovan est retrouvé mort dans la chambre numéro 100 du Chelsea Hotel (comme Sid Vicious), dès la première scène du film. Overdose, suicide, mort naturelle ? On l’ignore. À ce moment-là, le récit se disloque en trois niveaux – temporels et géographique – un peu à la manière des scenarii labyrinthiques de Pedro Almodovar.

Un premier segment raconte la vie de Donovan, un deuxième celle de Rupert dans les années 2000 et un troisième qui se tient en 2017 où Rupert, devenu adulte, relate à une journaliste les deux premiers. On notera ici la volonté, toujours un peu premium, de distinguer l’auteur et le narrateur surtout lorsque les deux s’entremêlent.

Un film réduit de moitié

Pour des raisons de rythme – le montage initial de cette histoire dense s’étendait sur 4 heures – le film a été écourté de moitié, passant à la trappe le rôle de rédactrice en chef d’un journal à scandales (campée par Jessica Chastain), résolue à ruiner la carrière de Donovan.

Dommage, la rousse flamboyante – en Styletto et rouge à lèvres rouge vif, le plus souvent –  excelle habituellement à composer ces savoureux personnages de bitch sans pitié. On sent aussi que la vraie-fausse fiancée de Donovan (interprétée par Amara Karan) qui lui sert de couverture pour dissimuler son homosexualité, possédait originellement une importance plus amplifiée.

Emotion pure !

Mais qu’importe finalement, le film gagne en singularité, en non-dits, et évite – et ça, c’est une première chez Dolan – de sombrer dans la démagogie quand d’autres évoqueront de « l’émotion pure ». C’est ainsi que même quand le cinéaste nous sert une scène ultra-téléphonée comme celle d’un fils et sa maman accourant l’un vers l’autre dans un Londres glacé et pluvieux, et bien, ô miracle ! Ce n’est pas du tout embarrassant, mieux :  ça fonctionne réellement au point que l’on se sent moins agacé par ses gimmicks du type : on se met à entonner en famille un titre jugé kitsch mais « tellement cool ! » comme dans le cas présent Hanging By A Moment de Lifehouse.

En résumé, moins « pute » qu’à l’accoutumée, le cinéma de Dolan gagne en sobriété pudeur et dignité tout en conservant ses questionnements sur ses thèmes de prédilection : le rapport tourmenté à la mère, la quête d’identité et la difficulté d’être soi. Et si Dolan continue fatalement de parler de lui, il le fait beaucoup mieux en tout cas. Quitte à décevoir ses fans de la première heure. Mais pas les autres.

Sortie : 13 mars 2019 – Durée : 2h03 – Réal. : Xavier Dolan – Avec : Kit Harington, Jacob Tremblay, Susan Sarandon… – Genre : drame – Nationalité : canadienne

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