La Mule
Par Jean-Pascal Grosso
Dix ans ans après Gran Torino, Clint Eastwood se remet en scène dans un road trip anar et désinvolte. Non sans plaisir, on se laisse embarquer avec grand-père.
Dès les premiers plans, il y a ce sentiment étrange qui prendra à la gorge quiconque a grandi à l’ombre tutélaire et cinégénique de Clint Eastwood, figure indépassable presque de la virilité sur grand écran. L’Homme sans nom, Josey Wales, Harry Callahan est devenu un vieillard. Marqué. Noueux. Voûté. « Et pourtant, il tourne » pour paraphraser Galilée.
Adapté d’un fait divers, La Mule relate l’histoire étrange d’un horticulteur ruiné (Leo Sharp dans la vraie vie) reconverti en passeur pour un cartel de la drogue mexicain.
Le récit, centré totalement sur le personnage d’Earl Stone alias Eastwood – Bradley Cooper ou encore Laurence Fishburne n’apparaissent finalement que comme de très révérencieux seconds couteaux -, road trip dans les superbes régions désertiques du sud des Etats-Unis, sert de prétexte à une série de rencontres : quidams, mauvais garçons, flics, membres de sa propre famille (l’aveu, sur le tard, chez l’auteur, d’une vie sentimentalement gâchée mais où la sincérité resurgit, éclate au tout dernier moment d’une vie).
Laisser le monde à ses contradictions
Chez celui qui eut longtemps à subir les pires anathèmes – « fasciste », « nazi », etc. – par quasiment les mêmes qui le portèrent aux nues à partir de Bird (1988), il n’y a cette fois aucune « morale » accolée à l’histoire. L’icône se livre au bout du chemin sans renier « l’individualisme forcené » qui a toujours été le sien.
Il laisse le monde à ses contradictions, à ses tromperies, à ses censures nouvelles – voir la rencontre malaisée avec un couple noir, « black » plutôt, perdu dans le désert – et trouve plus sympathique à ses yeux un gang de bikeuses lesbiennes ou un baron de la drogue hédoniste (Andy Garcia, bon, beau, bedonnant) que le reste de la société américaine, indifférente aux malheurs de ses vieux, de ses pauvres, de ses déclassés.
Eastwood face à un Hollywood engoncé dans le politiquement correct
Son 44 Magnum remisé ad vitam, l’ex-Dirty Harry rend étonnamment distrayants ses rapports avec les petites mains des cartels et joue même les pervers pépères lors d’une scène de gérontophilie totalement incongrue aux côtés – et en-dessous – de deux bimbos mexicaines dessalées.
Comme La Vieille dame indigne de René Allio, Clint, le vieux monsieur plus très digne non plus puisqu’à nouveau conspué par ses pairs dans un Hollywood aujourd’hui engoncé dans le politiquement correct jusqu’au délire, terminera son voyage apaisé.
Et, qui plus est, endossant ses fautes. Clint Eastwood reste ce qu’il est : un géant qui aura toute sa vie durant assumé ses paradoxes.
Pas un grand film – le dernier ? -, mais un soft bras d’honneur assez délectable en direction d’une époque dont il ne cherche plus vraiment à se soucier.
A lire : Clint Eastwood de A à Z
Sortie : 23 janvier 2019 – Durée : 1h56 – Réal. : Clint Eastwood – Avec : Clint Eastwood, Bradley Cooper, Laurence Fishburne… – Genre : drame – Nationalité : américaine
Laisser le monde à ses contradictions Chez celui qui eut longtemps à subir les pires anathèmes – « fasciste », « nazi », etc. – par quasiment les mêmes qui le portèrent aux nues à partir de Bird (1988), il n’y a cette fois aucune « morale » accolée à l’histoire. L’icône se livre au bout du chemin sans renier « l’individualisme […]