The Fabelmans
Le cinéaste le plus célébré de Hollywood aura mis soixante ans à réaliser son film le plus personnel. Dans cette semi-autobiographie, Steven Spielberg se livre sur son adolescence et les origines de sa vocation. Un tendre récit initiatique sous forme d’une lettre d’amour à sa famille et au 7ème art, mais que l’on aurait aimé… aimer davantage.
Par Christelle Laffin
Au commencement, était le choc : celui d’un train lancé à grande vitesse, qui percute de plein fouet une voiture sur une voie et déraille, dans un terrible crash. On est en 1952 et cette scène spectaculaire du Plus Grand chapiteau du Monde de Cecil B. De Mille, émerveille et traumatise le petit Sammy Fabelman ( Mateo Zoryan Francis-DeFord), 6 ans, au point de l’empêcher de dormir.
Avec la complicité de sa mère, Mitzi (lumineuse Michelle Williams, nominée à l’Oscar de la meilleure actrice 2023), il emprunte la caméra de son ingénieur de père, Burt (Paul Dano, toujours impeccable) pour filmer sa propre version du crash, avec ses trains électriques.
Dès lors, pour ce baby boomer de la classe moyenne américaine, la caméra agira comme filtre à angoisses face à la brutalité de la vie. Un petit pas cathartique pour lui, un grand pas pour l’avenir du cinéma.
Un raconteur d’histoires
Car au travers de l’enfance et l’adolescence de Sam (Gabriel Labelle, révélation du film), la naissance de sa passion pour la réalisation et la fin du couple de ses parents, c’est son propre récit initiatique que Steven Spielberg a décidé de nous conter. Mais avec une pudeur qui lui est propre. Co-écrit avec Tony Kuchner (Munich), The Fabelmans tutoie la réalité dès le choix du patronyme de cette famille haute en couleur : Fabel- man (L’homme à fable) a remplacé Spiel-berg (La montagne de jeu) : un raconteur d’histoire qui deviendra le roi des entertainers.
Toutes les autres ressemblances concernant ses proches sont loin d’être fortuites. Le caractère de ses parents, déjà. Pianiste exubérante et passionnée, Mitzi a abandonné les concerts pour le rôle de mère de famille nombreuse.
Burt, ingénieur pionnier de l’informatique, est un époux aimant et un père responsable, mais du genre taiseux. Il brinqueballe la maisonnée de Cincinnati, dans l’Ohio, au désert de l’Arizona au gré de ses postes, laissant Mitzi à sa charge mentale et aux regrets de carrière avortée.
Sam semble avoir hérité de ses deux parents : la sensibilité exacerbée de l’artiste rongée par son art, l’inventivité visionnaire et le leadership de son père. La passion du cinéma grandit, au fil des films qu’il réalise en 8 mm avec la complicité de son entourage, dont ses sœurs- savoureuse séquence où il les transforme en momies de papier toilette !- , et le soutien admiratif d’une mère excentrique.
Infidélité maternelle
Ce Peter Pan au look de Fée Clochette, capable d’adopter un singe « parce qu’elle avait besoin de rire » nous réserve d’ailleurs les moments les plus touchants des Fabelmans.
Émotionnellement en retrait, Burt semble aveugle à deux choses : la véritable vocation de son fils qu’il qualifie de « hobby » et le fait que sa femme se rapproche par dépit d’« Oncle Bennie » (Seth Rogen, égal à lui-même), son meilleur ami.
Dans une séquence -clé du film, on comprend que l’infidélité maternelle, révélée lors du montage d’un film de vacances, agira comme un déclencheur. Sam apprend, via le montage, l’essence même du cinéma en tant que 7ème art : si sa caméra saisit la réalité d’un instant, le réalisateur peut en créer une tout autre à l’écran et y révéler « sa » version de la vérité.
Une psychothérapie de 40 millions de dollars
Magnifiquement photographié par Janusz Kaminski, notamment la séquence de danse de Mitzi, « au clair de phares » d’une voiture, il y a du Radio Days, de Woody Allen ou du Armageddon Time de James Gray, dans ce portrait nostalgique d’une enfance juive américaine.
Mais en chroniquant les années menant à la séparation de ses parents, The Fabelmans n’est que l’explication de texte de ce que Spielberg avait déjà exorcisé dans Rencontre du Troisième Type et E.T. , deux films qui évoquaient déjà avec bien plu de force, la déliquescence du couple parental, et la détresse des enfants du divorce.
De son propre aveu, la caméra-stylo sert de thérapie à Spielberg. Il revisite ici les traumas de sa jeunesse : l’antisémitisme dont il souffre au lycée et l’explosion de sa famille, dans une deuxième partie répétitive, qui souffre de longueurs, a fortiori pour les familiers de son parcours.
Un nouvel horizon
On attendait plus de fougue et de verve de la part de l’inventeur du blockbuster, surtout sur son film le plus intime, sur SA jeunesse. Et si la rencontre de Sam-Steven avec l’un de ses réalisateurs fétiches, monstre du vieil Hollywood, lui ouvre littéralement un nouvel horizon à la fin du film, – étonnant caméo d’un autre metteur-en-scène culte – on reste sur notre de faim.
Ce sera donc l’occasion de revoir Spielberg, l’excellent documentaire de Susan Lacy (Canal +) qui a servi d’inspiration aux Fabelmans : truffé d’anecdotes, d’images d’archives et d’interviews des proches du maître, avec une touchante révélation. Des décennies après leur divorce, les parents de Steven s’étaient retrouvés pour ne plus se quitter. Même chez Spielberg, les happy ends dépassent toujours la fiction.
Sortie : Le 22 février 2023 – Durée : 2h31– Réal. : Steven Spielberg– Avec : Gabriel LaBelle, Michelle Williams, Paul Dano, Seth Rogen – Genre : Biopic, Drame – Nationalité : Américaine – Distribution : Universal Pictures.
Dès lors, pour ce baby boomer de la classe moyenne américaine, la caméra agira comme filtre à angoisses face à la brutalité de la vie. Un petit pas cathartique pour lui, un grand pas pour l’avenir du cinéma. Un raconteur d’histoires Car au travers de l’enfance et l’adolescence de Sam (Gabriel Labelle, révélation du film), […]