Ma nuit
Coup de cœur de See Mag pour Ma Nuit en salle le 9 mars. Le premier film de la célèbre directrice de casting Antoinette Boulat produit par les frères Dardenne, porte un regard d’une belle singularité sur la jeunesse et Paris. Déambulations, rêves, peurs, espoirs, irriguent ce conte nocturne, dans lequel scintille une étoile : Lou Lampros !
Par Grégory Marouzé
Antoinette Boulat est bien connue du cinéma français et international. Elle est une directrice de casting importante, qui a accompagné Léos Carax, Wes Anderson, Sofia Coppola, Benoît Jacquot, François Ozon, Emmanuelle Bercot, Ridley Scott, Lars Von Trier, Kiyoshi Kurosawa… n’en jetons plus ! Sans elle, leurs films n’auraient peut-être pas la même saveur.
Aujourd’hui, Antoinette Boulat franchit une nouvelle étape en devenant réalisatrice. Dans Ma Nuit, elle filme Marion (Lou Lampros), jeune femme de 18 ans, refusant d’assister à la soirée d’anniversaire de sa sœur décédée, organisée par leur mère (Emmanuelle Bercot, saisissante le temps d’une scène). Marion s’échappe dans la rue, ère, croise des amis, s’engouffre dans la nuit…
Une France aux enfants meurtris
Produit par les frères Dardenne, Ma Nuit ne s’encombre pas d’un scénario artificiellement et inutilement alambiqué. Le film est une déambulation nocturne – belle photographie de Laetitia de Montalembert -, une œuvre d’atmosphère dans un Paris insolite. Pour autant, Ma Nuit dessine le portrait fort, émouvant, convainquant, d’une jeunesse ayant grandi avec les attentats du 13 novembre 2015 (une scène pudique, filmée en plan large, rappelle que les traumas sont bien ancrés), puis l’irruption de la pandémie. L’air de ne pas y toucher, sans prétention, Antoinette Boulat dessine la cartographie d’une France aux enfants meurtris.
A rebours des clichés sur la jeunesse
Si Marion vit la terreur, croise la violence (une scène de baston s’avère d’autant plus forte et révoltante, qu’elle refuse le sensationnalisme putassier), les ténèbres finiront par laisser place à la lumière, puis à la beauté. Marion saura s’en emparer. Il y a dans le film d’Antoinette Boulat un rejet du systématisme, du manichéisme, du binaire. A l’image d’une mise en scène se jouant des codes des films de teenagers, le personnage de Marion est à rebours des clichés véhiculés sur la jeunesse.
Lou Lampros : une évidence
L’apparition de Lou Lampros fait l’effet d’une secousse sismique ! Dès son entrée dans le champ de la caméra, il se passe quelque chose. La jeune comédienne est tour à tour émouvante, agaçante, présente, absente, terrienne, fantomatique, extraterrestre. Sa beauté insolente n’est pas sans évoquer une héroïne bertoluccienne (on pense à Dominique Sanda). Ainsi, en quelques plans, Lou Lampros s’impose comme une évidence. Tom Mercier (acteur israélien, connu en France pour Synonymes de Nadav Lapid) est magnifique dans le rôle d’Alex, jeune homme doux et révolté.
Le reste de la distribution est à l’avenant (Carmen Kassovitz, Lucie Saada, Angelina Woreth). Une erreur de distribution eût été une déception de la part d’une professionnelle du cinéma, rompue au travail avec l’acteur. L’expérience a donc porté ses fruits, puisque la directrice de casting se montre à l’aise dans la direction des comédiens.
Cinéma de sensations
Ainsi, Antoinette Boulat se réinvente en metteuse en scène. Filmer des groupes, des conversations, des rencontres, des regards, des disputes, des errances, peut paraître chose aisée. C’est, au contraire, ce qu’il y a de plus difficile à réussir. Antoinette Boulat s’en sort haut la main, car elle possède quelque chose d’assez rare : un regard. La scène dans laquelle les jeunes s’enivrent de danses, de musiques, frappe.
Si le film échappe au banal et à la caricature, c’est parce que sa réalisatrice fait glisser le film, du naturalisme vers l’onirisme. Elle a compris que le cinéma est avant tout affaire de sensations. Nous voilà en immersion. De spectateurs, nous devenons acteurs. Il semble même que le critique ait retrouvé un peu de sa jeunesse.
Magie du cinéma.
Sortie : Le 9 mars 2022 – Durée : 1h27 – Réal. : Antoinette Boulat – Avec : Lou Lampos, Tom Mercier, Carmen Kassovitz.. – Genre : Drame – Nationalité : Française
Une France aux enfants meurtris Produit par les frères Dardenne, Ma Nuit ne s’encombre pas d’un scénario artificiellement et inutilement alambiqué. Le film est une déambulation nocturne – belle photographie de Laetitia de Montalembert -, une œuvre d’atmosphère dans un Paris insolite. Pour autant, Ma Nuit dessine le portrait fort, émouvant, convainquant, d’une jeunesse ayant […]