Javier Bardem « Si tu juges ton personnage, tu es baisé »

Il a interprété les méchants les plus terrifiants et les plus grands séducteurs. Nous l’avions rencontré à l’occasion du dernier Pirates des Caraïbes dont il était la grande sensation d’un cinquième volet pour le moins décevant. De Bigas Luna aux frères Coen, rencontre avec Javier Bardem, qui à 50 ans, ne s’embarrasse plus de la langue de bois.

Propos recueillis par Marc Godin

Qu’est-ce qui était le plus difficile sur le tournage de Pirate des Caraïbes : le jeu ou l’aspect technique ?
Il n’y avait rien de vraiment difficile, parfois ce n’était pas très évident de rester trois heures au maquillage mais on se dit « Je bosse avec l’équipe qui a gagné l’Oscar pour Mad Max donc je fais confiance ». Parfois, l’attente était longue mais rien de méchant. J’aimerais bien jouer dans un autre film de la série, mais je ne pourrais pas, je suis mort !

Quelle a été votre marge de manœuvre par rapport à votre personnage et au scénario ?
Quand on vous donne le scénario, on vous propose le rôle, c’est un peu comme le début d’une négociation. Après, c’est à vous de dire ce que vous aimez, ce que vous n’aimez pas. J’ai suggéré des changements et c’est une vraie négociation créative pour trouver un accord commun. C’est toujours comme cela. J’ai apporté mon accent, la façon de marcher, les béquilles, en partie ses cheveux, sa rage, son besoin de tuer pour sortir de l’arène. La rage était très importante.

Et le sang dans votre bouche, c’était quoi ?
C’était du vrai sang, j’ai mordu ma langue (rires). Je suis un acteur qui utilise « la Méthode ». Non, c’était du chocolat. Enfin ils m’ont dit que c’était du chocolat, mais ça n’avait pas du tout le goût du chocolat. Ca avait un goût de merde et j’appelais ça le « caca de singe ». J’avais une prothèse pour avoir les dents pourries et on m’a appliqué le faux sang. Lors des essais, ça dégoulinait et on m’a dit « Ok, on garde ». Geoffrey était surpris car à chaque fois que je parlais, je postillonnais cette chose sur lui

N’avez-vous pas eu peur d’en faire un peu trop avec ce personnage de Salazar ?
Eh bien, vous tournez un Pirates des Caraïbes et vous connaissez le ton de ces films. Dans No Country for old Men, d’après Cormac McCarthy, je jouais un tueur, très sec, tranchant comme une lame, sec comme le Texas, le désert. L’acteur doit servir le film, pas le contraire. Ici, il y a de l’eau, de la lumière, c’est très coloré, plus léger. Mon personnage est enragé, mais cela doit rester léger. Dans la salle de cinéma, il y a des mômes qui dégustent du pop corn, ils ne veulent pas perdre leur temps avec des putain de drames.

Chaque film a déjà été tourné, chaque personnage a déjà été joué des milliers de fois et beaucoup mieux que je ne pourrais le faire ! De bons films, de mauvais. Tout ce que vous pouvez faire, c’est ajouter une petite nuance, un petit parfum, une étincelle de personnalité que l’on n’a peut-être pas encore essayé.

Vous interprétez des méchants magnifiques, dans No Country for old Men ou le James Bond. Où trouvez-vous l’inspiration pour ces personnages ?
Merci ! Je ne sais pas… Chaque film a déjà été tourné, chaque personnage a déjà été joué des milliers de fois et beaucoup mieux que je ne pourrais le faire ! De bons films, de mauvais. Tout ce que vous pouvez faire, c’est ajouter une petite nuance, un petit parfum, une étincelle de personnalité que l’on n’a peut-être pas encore essayé. Il y a déjà eu de grands pirates, mais on peut essayer un petit truc en plus, travailler son passé. Il est comme les autres, mais peut-être un peu différent car il a ta voix, ta démarche. On ne peut pas faire plus que cela. Il faut rester humble, être honnête, on ne va pas réinventer la roue. Mais tout dépend du scénario. S’il n’y a rien dans l’histoire, tu ne peux rien faire.

Votre personnage, qui chasse les pirates, ne se voit pas comme un méchant.
Victoria Abril a dit un jour que les acteurs sont les avocats de leurs personnages, il faut les défendre. Et c’est vrai ! Si tu juges ton personnage, tu es baisé. Même si tu joues Hitler… Tu commences à faire tes recherches sur le personnage, tu explores son cerveau. Ton personnage a toujours raison, quoi qu’il fasse, il a raison. Pour Salazar, je pense qu’il était dans le vrai au début. Les pirates étaient vraiment horribles. A l’époque, les capitaines de navires venaient du Sud de l’Espagne et avaient un sens de l’honneur incroyablement développé, un sens de l’honneur que nous avons perdu aujourd’hui. On tuait pour l’honneur. Salazar doit nettoyer les mers et il prend cela très au sérieux avant de se faire rouler par un gamin de 16 ans. Ca le rend dingue. C’est le pire des cauchemars. Je le vois comme un taureau attaqué, empli de rage, blessé, en train de mourir, qui avance tout le temps. Une fois que j’ai compris cela, c’était facile de défendre mon personnage.

Au niveau du jeu, c’est la même technique, la même méthode, quand vous tournez un petit film indépendant avec Alejandro Amenabar, Bigas Luna, ou une grosse machine comme Pirates des Caraïbes ?
Oui, c’est la même chose. Mais vous savez, ce n’est pas facile. On se retrouve dans un hangar géant, devant 5 caméras, sur un fond bleu, votre visage est criblé de marques pour les effets spéciaux, vous vous sentez complètement ridicule, et en plus, j’avais sur le visage des espèces de trucs qui ressemblaient à des poitrines de poulet. Et puis le réalisateur te dit, à droite, tu as la mer, à gauche, la bateau, là, un monstre et maintenant « Action ! » Putain ! C’est comme quand tu as un invité à la maison et que tu dis à tes enfants « Allez, fais rigoler notre invité » et que le môme pense « Putain ! » C’est la même chose, tu n’as pas envie de ça, pas envie d’être ridicule. Tu es seul sur le plateau, il n’y a pas d’échange, pas d’interaction avec un autre comédien, ce n’est pas facile. C’était la première fois que je faisais ce genre de films à effets spéciaux. Le premier jour, je me sentais tellement timide… Euh, où est la mer au fait ? Il faut commencer à faire fonctionner son imagination et cela devient drôle. Mais à la fin, c’est le même travail, il faut croire en ce que l’on fait, défendre son personnage.

Quel a été votre réaction la première fois que vous avez découvert votre personnage sur un écran, avec les effets spéciaux sur son visage ?
J’étais ébloui, émerveillé. C’est un des cadeaux de ce genre de film. Tu passes cinq mois avec ces marques sur le visage, mais aussi des acteurs comme Johnny Depp. Mais il faut y croire quand les techniciens te disent que tes cheveux vont flotter comme dans l’eau, c’est une question de foi. Et cinq mois plus tard, c’est vrai ! Mais vous savez, à chaque fois que je suis à l’écran il y a beaucoup de pognon en jeu (rires).

Javier Barden en 10 dates

1992  Le réalisateur espagnol Bigas Luna le découvre et lui offre ses deux premiers rôles dans Les Vies de Loulou et Jambon, Jambon.

1995  Il devient un acteur incontournable dans le cinéma espagnol grâce aux deux prix qu’il remporte cette année-là : Goya du meilleur second rôle dans Dias Contados et meilleur acteur dans Bouche à Bouche.

1997  Le maestro Pedro Almodovar le fait tourner dans En Chair et en Os.

2001  Il est nominé aux Oscar comme meilleur acteur pour Avant la Nuit de Julian Schnabel.

2003  Il obtient un second Goya du meilleur acteur pour Les Lundis au Soleil de Fernado Leon de Aranoa.

2004  Mar Adentro de Alejandro Amenabar marque un tournant important dans sa carrière et lui ouvre toutes les portes.

2007  Les frères Coen lui offrent le rôle de Anton Chigurh, un tueur psychopathe dans No Country for Old Men. Pour cette prestation, il remporte l’Oscar du meilleur acteur et un Golden Globe.

2008  Il renverse les cœurs de Penelope Cruz, Scarlett Johansson et Rebecca Hall dans Vicky Christina Barcelona de Woody Allen.

2010  Il obtient le prix d’interprétation masculine à Cannes pour Biutiful de Alejandro González Iñárritu.

2012  Il est le grand méchant de Skyfall, le James Bond de Sam Mendes et il obtient son étoile sur le Hollywood Walk of Fame.

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