DERNIERES SEANCES AU BEVERLEY

A deux pas du Grand Rex, le Beverley, dernier cinéma X de France, projetait ses pornos vintage – avec Brigitte Lahaie et sexes non épilés – des années 70-80. Mais après des années de bons et loyaux se(r)vices, Maurice, le propriétaire de la salle, allait tirer le rideau. Définitivement. Notre journaliste y était allé… courageusement.

Par Marc Godin

L’origine du monde. Sur un écran de 3 mètres sur 2. Un sexe géant, en gros plan, non épilé. La caméra de John Love recule. L’infirmière prend son stéthoscope, commence à s’en servir d’une façon peu orthodoxe, avant l’arrivée d’Alban Ceray qui va la besogner sauvagement.

Dans la salle de 90 places du Beverley, à deux pas du Grand Rex, rue de la Ville Neuve, des hommes retiennent leur souffle. Que des hommes ! Des hommes assis, d’autres debout, adossés au mur. Et pendant toute la séance, c’est un va et vient incessant, avec des spectateurs qui se précipitent par grappe vers les toilettes ou qui cherchent un voisin compréhensif afin de se livrer à de petites gâteries.

Dans la cabine du Beverley, on entend le vrombissement d’un projecteur antédiluvien. Il y a une colleuse, des morceaux de pellicule par terre. Le Beverley doit être un des derniers cinémas équipés d’un projecteur 35 mm et c’est assurément le dernier cinéma porno de France.

Dans sa cabine, Maurice, 75 ans, proprio de la salle, caissier, projectionniste et assistante sociale à l’occasion. A 12H15, Maurice installe la lourde bobine de 15 kilos. Le rideau de fer est encore baissé et dehors, les premiers spectateurs – que des hommes aux cheveux blancs – s’impatientent.

Maurice lance la chanson du Beverley, lève le rideau de fer, s’installe derrière son minuscule comptoir (le paquet de Kleenex est à 60 centimes) et vend ses premiers tickets (12 euros le double programme permanent) aux clients qu’il connaît par leurs prénoms. Il allume son projecteur américain, un Ballentyne, qui est là depuis la nuit des temps ; la bobine commence à tourner quasi miraculeusement…

© MARC GODIN

 » C’est fini ! Je devais arrêter fin décembre, mais mes clients pleuraient donc j’ai décidé de prolonger ! Il y en a même un qui m’a embrassé « .

Pourtant, le Beverly connaît ses dernières heures et Maurice va baisser le rideau fin février. « C’est fini ! Je devais arrêter fin décembre, mais mes clients pleuraient donc j’ai décidé de prolonger ! Il y en a même un qui m’a embrassé. Ca redémarre même un peu. Même les soirées couples du jeudi reprennent, les gens veulent voir ça avant la fin. Dans les années 80, ça marchait très bien, avec 1500 clients par semaine. Aujourd’hui, si je fais 500 entrées, je suis heureux. C’est pour cela que je ferme les portes du Beverley en ce mois de février. Il y a de moins en moins de public, à cause du porno gratuit sur le Net, la peur des attentats, les difficultés pour stationner… Pourtant, certains clients ne s’en remettent pas que je ferme. Je suis d’utilité publique ! »

Regarde les hommes bander…

Avant d’être un cinéma porno, le Beverley a d’abord été la salle de danse du restaurant mitoyen, l’ancienne Brasserie Auvergnate, dont l’entrée était sur le boulevard Bonne-Nouvelle. Le jeune André Verchuren y a fait ses débuts. Dans les années 50, ce petit cinéma de quartier s’appelle tout d’abord le Bikini. A cause de la proximité du Grand Rex qui monopolise les premières exclusivités, le Bikini passe des westerns, des films d’aventures, puis des films d’horreur et enfin des films X en 1974.

© marc godin

« Il faudrait être malade pour reprendre ce business »

Pour Maurice, tout commence il y a une trentaine d’années. « Avant de venir ici, je n’avais jamais mis les pieds dans un cinéma érotique. Je bossais comme directeur de complexe en banlieue nord. J’ai vu une annonce et je pensais que c’était un poste pour le Grand Rex. C’était le Beverley ! J’ai sauté le pas et en 30 ans, je n’ai jamais eu l’impression de travailler. Quand mon patron est parti, j’ai repris le cinéma. Je bossais 6 jours sur 7, 15 heures par jour de 9h du matin à minuit. »

Au Beverley, Maurice ne passe que des films 35 mm des années 70-80. « Pour les copies, j’ai un distributeur à Lyon qui a un stock de 150 films, pas vraiment en bon état. Beaucoup de copies sont abîmées, il manque parfois des scènes entières. Cela me coûte 1000 € la semaine. Le dernier film du stock est Les Lolos de la pompiste, de John Love, qui date de 1991. J’ai souvent des problèmes de cassure, les pellicules sont fragiles et certains opérateurs ont malmené les copies. Les originaux sont à la Cinémathèque, une grosse partie en tout cas. Dans ces films, les femmes n’étaient pas rasées, elles n’avaient pas la poitrine refaite – bref, des femmes qui ressemblent à des femmes – et on n’utilisait pas le préservatif. »

Des habitués depuis 30 ans

Certains spectateurs restent 15 minutes, d’autres restent six heures d’affilée. Maurice connait pratiquement toute sa clientèle et appelle certains spectateurs par leur prénom. « Tous les milieux socio-professionnels fréquentent la salle. Nous avons des retraités comme des profs de médecine. Autrefois, beaucoup de VRP passaient l’après-midi, une fois leurs contrats signés, au Beverley ! Des habitués viennent depuis 30 ans. Et parfois aussi des jeunes qui veulent découvrir du cul vintage, pour changer du porno sur ordinateur. Nous organisons des soirées couple les jeudi et samedi à 22h. Certains clients viennent parfois lire une page de poésie érotique. D’autres me rapportent des statues érotiques de leurs vacances ou des livres. »

© marc godin

« Pourtant c’est le porno qui a sauvé le cinéma d’art et d’essai dans les années 70″ »

Dans sa cabine, Maurice vend ses tickets et surveille d’un œil la projo, en priant pour éviter la cassure. Sur l’écran, ça halète, ça s’étreint, et ça jouit sans entrave. Néanmoins, ici, c’est la dure lutte du Beverley ! Depuis 1975, une lourde taxe frappe les films X et exclut les salles qui les diffusent de toute subvention publique.

« Pourtant, c’est le porno qui a sauvé le cinéma d’art et d’essai dans les années 70. Je suis taxé à 33%. Il faudrait être malade pour reprendre ce business. J’ai fait de la résistance, Papy fait de la résistance ! Pour moi, c’est la retraite maintenant. C’est le lendemain de la fermeture que ça va être dur. Cela fait 34 ans que je viens tous les jours, et je n’aime pourtant pas trop les films de cul ! C’est la fin d’une époque, pour et pour Paris, en toute simplicité. Pour la suite, je peux seulement vous dire que le Beverley va rester un lieu artistique, pas forcément un cinéma. Ca va être très bien. »

Le Beverley
14 Rue de la Ville Neuve, 75002 Paris
01 40 26 00 69
www.le-beverley.info

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