Roman Polanski, le prisonnier

Prodige du cinéma qui aura marqué le XXe siècle de son génie, Roman Polanski, marqué du sceau de l’infamie, est tour à tour fugitif et prisonnier, comme la plupart de ses héros torturés. Portrait sans fard du césarisé controversé comme meilleur réalisateur pour J’accuse.

Par Marc Godin

« Chez lui, il y a toujours un tunnel au bout de la lumière », a déclaré un jour Robert Towne, le scénariste surdoué de Chinatown, à propos de Roman Polanski. Il a survécu aux nazis, aux communistes, au massacre de sa femme, à la traque de la justice…  La vie de Polanski a tout d’une tragédie ou d’une nouvelle de son idole, l’écrivain Franz Kafka.

De fait, Polanski a 6 ans quand la Seconde Guerre mondiale éclate. A 7 ans, il apprend à traverser les barbelés du ghetto de Cracovie. Quand il a 10 ans, son père le pousse à travers le trou d’un mur du ghetto et lui ordonne de fuir. Enceinte de quatre mois, sa mère est gazée dès son arrivée à Auschwitz, son père est déporté à Mauthausen.

Célébré comme une rock star

Dans les années 60, à l’époque de Rosemary’s Baby, Polanski est célébré comme une rock star, quand sa femme alors enceinte, Sharon Tate, est éventrée par les dingues de la secte Manson. Depuis, le réalisateur a signé plus de 20 films, dont Répulsion, Le Bal des vampires, Chinatown, Le Locataire, Tess ou Le Pianiste, mais personne ne se souvient du titre de son petit dernier (D’après une histoire vraie). Car quand Polanski fait maintenant la une des journaux, c’est pour une sordide histoire de viol. Une affaire qui le poursuit depuis plus de quarante ans, qui rebondit, qui le hante, qui l’emprisonne.

Polanski est inculpé pour fourniture de substance réglementée à une mineure, actes obscènes ou lascifs sur un enfant de moins de 14 ans, viol par usage de drogue, perversion et sodomie, selon un récit du Los Angeles Times.

roman polanski et sharon tate © DR

Nous sommes le 10 mars 1977. Roman Polanski, 43 ans, fait une séance photo avec Samantha Geimer, une mineure de 13 ans, pour Vogue Hommes. Il va la faire boire et avoir une relation sexuelle avec elle. Quinze jours plus tard, Polanski est inculpé pour fourniture de substance réglementée à une mineure, actes obscènes ou lascifs sur un enfant de moins de 14 ans, viol par usage de drogue, perversion et sodomie, selon un récit du Los Angeles Times.

Un accord est négocié (plea bargain) avec le procureur, la famille souhaitant éviter à la fillette le traumatisme d’un témoignage public. Polanski décide alors de plaider coupable pour le chef d’accusation de « relations sexuelles illégales ». Les autres accusions sont abandonnées. Le juge Laurence Rittenband le condamne à plusieurs mois de prison pour subir des « examens mentaux ». Polanski est incarcéré 42 jours dans la prison Chino, près de Los Angeles. Libéré, il apprend qu’il risque maintenant jusqu’à 50 ans de prison. Il décide fuir les Etats-Unis et trouve refuge en France.

mia farrow et john cassavetes dans rosemary’sbaby en 1968 © DR

« Il ne m’était jamais venu à l’esprit que je pourrais finir en prison pour avoir fait l’amour. »

Dans son autobiographie, Polanski déclare ne pas comprendre le problème : « Il ne m’était jamais venu à l’esprit que je pourrais finir en prison pour avoir fait l’amour. » Au-delà du déni ! Quant à sa victime, dont la vie sera saccagée pendant des décennies, elle assure qu’elle a bel et bien été violée et déclare en 2003 dans le Los Angeles Times : « J’ai rencontré Roman Polanski en 1977, quand j’avais 13 ans.

J’étais en quatrième cette année-là, quand il a dit à ma mère qu’il voulait prendre des photos de moi pour une revue française. C’est ce qu’il a dit, mais en fait, après avoir pris des photos de moi dans la maison de Jack Nicholson à Mulholland Drive, il a fait quelque chose d’un peu différent. Il m’a donné du champagne et du Quaalude (un puissant sédatif). Et il a abusé de moi. Ce n’était pas du sexe consenti, en aucune façon. J’ai dit non, de manière répétée, mais il ne voulait rien entendre. J’étais seule, et je ne savais pas quoi faire. J’avais peur et, avec le recul, j’avais la chair de poule. »

Fuites et emprisonnements

Après sa fuite, Polanski va mener sa carrière en Europe, il obtiendra le soutien et la grande mansuétude de l’intelligentsia française, l’oubli, mais son passé va le rattraper à plusieurs reprises. Si Samantha Geimer lui pardonne publiquement en 2003, réitérant qu’il y a eu viol, si les avocats de Polanski bataillent pour que la justice californienne abandonne ses poursuites, Polanski est arrêté le 26 septembre 2009 à Zurich.

Il va être assigné à résidence dans son chalet de Gstaad le 4 décembre. La ministre suisse de la justice annonce le 12 juillet 2010 que Polanski ne sera pas extradé vers les USA et qu’il est désormais libre de ses mouvements. L’affaire ne s’arrête pas là. En 2013, Samantha Geimer raconte son viol dans un livre, La Fille de l’ombre.

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faye dunaway dans chinatown en 1974

Jamie Foxx a déclaré que si sa fille de 15 ans avait subi le même sort que la victime, il n’aurait pas hésité à tuer le violeur d’enfant : « Polanski serait porté disparu. Point final. Il n’y aurait même pas de procès. »

L’année suivante, les autorités US tentent de le faire arrêter en Pologne. Cette histoire sordide et terrifiante a enflammé les réseaux sociaux, suscité des milliers d’articles et prises de parole. Parmi les pires, citons l’acteur Jamie Foxx qui a déclaré que si sa fille de 15 ans avait subi le même sort que la victime, il n’aurait pas hésité à tuer le violeur d’enfant : « Polanski serait porté disparu. Point final. Il n’y aurait même pas de procès. » En France, on a fait de Polanski… la victime ! Bernard-Henri Lévy a évoqué « une erreur de jeunesse », « un pédophile, c’est un récidiviste », Costa-Gavras « y a pas de viol dans cette histoire », Bernard Kouchner « tout cela n’est pas sympathique » et Alain Finkelkrault a affirmé « Polanski n’est pas pédophile. Sa victime, la plaignante, qui a retiré sa plainte, qui n’a jamais voulu de procès public, qui a obtenu réparation, n’était pas une fillette, une petite fille, une enfant, au moment des faits. »

Depuis, l’étoile de Polanski a (encore) pâli. En 2017, il doit être le président de la cérémonie des César. Devant la pression des féministes et la surprise de la ministre du droit des femmes, Laurence Rossignol, Polanski préfère passer la main. Des féministes qui ne le lâchent plus et qui hurlent leur rage quand le Cinémathèque lui rend hommage quelques mois plus tard.

2019, c’est à nouveau chute. Le très médiocre J’accuse est sélectionné au festival de Venise, malgré les réticences de la présidente, Lucrecia Martel, « très gênée ». Dans le dossier de presse, Pascal Bruckner ose la question suivante : « En tant que juif pourchassé pendant la guerre, que cinéaste persécuté par les staliniens en Pologne, survivrez-vous au maccarthysme néo-féministe d’aujourd’hui ? » Oser assimiler le féminisme à la Shoah et au stalinisme : une abjection ! Plus loin, Bruckner demande à Polanski si J’accuse représente une catharsis pour lui et Polanski répond : « Non, je ne travaille pas comme ça. Mon travail n’est pas une thérapie. En revanche, je dois dire que je connais bon nombre de mécanismes de persécution qui sont à l’œuvre dans ce film et que cela m’a évidemment inspiré. » Tourner un film sur le capitaine Dreyfus, faire une petite apparition, oser se comparer à lui, c’est juste obscène. D’ailleurs, le dernier qui s’y était risqué, c’est… Tariq Ramadan !

Le film est néanmoins primé à Venise, la promo commence et Polanski change de plan marketing en déclarant au Point : « Il y a dans le destin de Dreyfus certains aspects que je connais. Mais si on pense que je me compare à lui, je n’ai même pas envie d’en discuter, c’est complètement idiot ! » Fin du débat ?

Mais une dizaine de jours avant la sortie, Valentine Monnier, choquée par l’indécence de l’entreprise accuse Polanski de l’avoir violée en 1975, à Gstaad. « Il me frappa, me roua de coups jusqu’à ma reddition, puis me viola en me faisant subir toutes les vicissitudes. » Elle est la cinquième femme à déclarer officiellement avoir été violée par Polanski, depuis l’affaire Samantha Geimer.

Le service après-vente de J’accuse s’arrête net, Jean Dujardin et Philippe Garrel annulent leurs interviews et la sortie salles s’annonce compliquée : ça sent le boycott…

Une œuvre en chute libre

Si j’ai autant insisté sur le viol de Samantha Geimer, c’est que la carrière de Polanski va basculer après 1977. De fait, après cette date, Polanski ne parviendra plus jamais au niveau de ses premiers films et Le Locataire (1976) restera son ultime chef-d’œuvre. En 1979, il signe le très académique Tess avec Nastassja Kinski (qui a été sa maîtresse alors qu’elle n’avait que 15 ans). Puis, c’est la dégringolade avec Pirates (dont l’actrice Charlotte Lewis accusera Polanski de viol en mai 2010), Frantic, le pathétique Lunes de fiel, d’après Pascal Bruckner, La Jeune fille et la mort ou le très Z La Neuvième porte avec Johnny Depp aux prises avec des adorateurs de Satan.

La suite, c’est une série d’œuvres oubliables et oubliées, de téléfilms médiocres et sans âme d’où surnage peut-être Ghost Writer, thriller hanté par les fautes du passé.

En 2002, Polanski met en scène Le Pianiste, récompensé dans le monde entier, mais le film est loin de posséder la force tellurique du livre de Wladyslaw Szpiman. La suite, c’est une série d’œuvres oubliables et oubliées, de téléfilms médiocres et sans âme d’où surnage peut-être Ghost Writer, thriller hanté par les fautes du passé. Comment comparer cette période d’une quarantaine d’années avec la première partie de la carrière de Polanski, éjaculation d’œuvres séminales, surréalistes, inoubliables ?

Des prisons, réelles ou mentales

Survivant de la Seconde Guerre mondiale, Roman Polanski, né en 1933, monte sur les planches à 14 ans. A 16 ans, il veut faire du cinéma. Un film lui donne le goût du cinéma, Huit Heures de sursis, de Carol Reed. Il l’a vu des dizaines de fois, avant de réaliser qu’il avait une raison profonde d’être aussi ému : « C’était l’histoire d’un fugitif ! » Son père lui conseille de devenir soudeur mais Polanski intègre la fameuse école de Lodz, inspiré par le cinéma soviétique. « J’étais le produit d’une école très formatrice. Fort de cela, je ne pouvais pas aimer la Nouvelle Vague, qui était un cinéma d’amateurs. »

Grand manitou du 7e art, fasciné par la technique, Polanski a souvent déclaré qu’il ne fallait pas chercher de liens entre ses films et sa vie, qu’il ne faisait pas du cinéma d’auteur mais pour distraire le public.

Dès ses courts-métrages ou son premier film, Le Couteau dans l’eau, Polanski, sous influence de Kafka, invente un monde où règne l’inquiétante étrangeté et un humour macabre, un univers violent, bizarre, décalé. Un cinéma formellement parfait avec une science des cadrages hallucinante et une photo toujours exceptionnelle. « Il me faut des défis, sinon, je me fais chier. » Grand manitou du 7e art, fasciné par la technique, Polanski a souvent déclaré qu’il ne fallait pas chercher de liens entre ses films et sa vie, qu’il ne faisait pas du cinéma d’auteur mais pour distraire le public.

Pourtant, quasiment tous ses films vont parler de fugitifs qui tentent de sauver leur peau ou de prisonniers (d’un lieu, d’une condition, d’un état mental) qui font tout pour s’échapper. Il n’est question que de cela dans Répulsion, avec Catherine Deneuve en proie à une schizophrénie de plus en plus aigüe et submergée par ses inhibitions et ses fantasmes sexuels ; Cul-de-sac, avec ses personnages échappés d’un roman de Beckett perdus sur une île ; Le Bal des Vampires, avec ses héros, dont Polanski, prisonniers d’un château bourré de vampires assoiffés de sang ; Rosemary’s Baby, où Mia Farrow, enceinte, affronte des adorateurs de Satan dans son sinistre appartement new-yorkais ; Macbeth, où le héros tragique de Shakespeare et sa femme, enfermés dans leur château, mettent au point des plans machiavéliques et subissent hallucinations et cauchemars démentiels ou encore Chinatown (qualifié de « merde » à l’époque de sa sortie par Sue Mengers, agent de stars et reine d’Hollywood), un polar dans les années 30 avec une Faye Dunaway, femme vraiment fatale prisonnière de son passé, victime d’un inceste.

PIERCE BROSNAN ET KIM CATRALL DANS THE GHOST WRITER EN 2010 © pathe distribution

« J’ai vu une femme tuée, quand j’avais 7 ans, à quatre mètres de moi. C’est comme le chirurgien, il s’habitue au ventre ouvert. Je suis habitué à la mort, oui »

L’ADN de Polanski est gravé dans ses personnages écrasés par le destin, murés dans des prisons, réelles ou mentales. « J’ai toujours été fasciné par les histoires où les gens se cognent contre les murs. L’influence de Hamlet sans doute et de ce château à l’architecture variable, où la disposition des pièces est totalement incohérente. »

Echappé du ghetto, hanté par la mort (« J’ai vu une femme tuée, quand j’avais 7 ans, à quatre mètres de moi. C’est comme le chirurgien, il s’habitue au ventre ouvert. Je suis habitué à la mort, oui »), Polanski fera toute sa vie des films sur des fugitifs et/ou des prisonniers, des fables sombres et grinçantes sur la face cachée de la nature humaine, une humanité murée dans les névroses et le mensonge. « Le cinéma, c’est comme une radiographie, on voit l’âme du metteur en scène et ce n’est pas la peine qu’il s’explique, qu’il s’excuse, qu’il donne des alibis : vous imaginez tout de suite quel genre de type c’est. Quand c’est un idiot, il a beau essayer de déguiser sa stupidité, il n’y arrivera pas. Quand c’est un salaud, ça se voit. Sensible, intelligent, compliqué, drôle, ça se voit. Voilà ce qui rend le cinéma tellement intéressant. »

Le Locataire, prophétique et/ou autobiographique ?

Alors que voit-on dans Le Locataire, la quintessence de l’œuvre de Roman Polanski ? Le réalisateur incarne Trelkowski, petit employé de bureau sans saveur, timide et réservé. Il habite depuis peu un appartement parisien dont l’ancienne occupante s’est jetée par la fenêtre. Dans son immeuble, tous les voisins semblent bientôt se liguer contre lui et le harcèlent.

Trelkowski perd peu à peu la raison et commence à s’identifier à la défunte locataire. Son univers se rétrécit, ses murs deviennent ceux d’une prison, son cerceau s’affole et se métamorphose un labyrinthe infernal où il va perdre pied et sombrer.

A l’arrivée, le film est l’un des plus angoissants de l’histoire du 7e art, une œuvre tragique et grotesque qui évoque Kafka (que Polanski jouera au théâtre), une œuvre quasi prophétique qui annonce comment Polanski – au sommet de sa gloire – va devenir un reclus, prisonnier de son chalet à Gstaad ou de son appart parisien, un paria, vomi par certains, condamné à mort par d’autres.

Un tunnel au bout de la lumière ?

A lire :

L’autobiographie, Roman par Polanski, rééditée en 2016, 30 ans après sa parution initiale, avec plusieurs chapitres supplémentaires.

Le texte de Polanski publié sur le site La Règle du jeu, Je ne peux plus me taire, cliquez ici

Sur l’affaire Samantha Geimer, deux articles très documentés de Doan Bui :

« Il m’a violée, merde ! »

Ce que disait Polanski de « l’affaire » : une tension érotique entre nous

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