Par Jean-Pascal Grosso

Dans Le Flambeur, adapté d’un roman de Dostoïevski, le cinéaste britannique Karel Reisz filme la chute d’un professeur d’université à la vie empoisonnée par le démon du jeu. Avec James Caan dans le rôle-titre, superstar à l’époque, dans un film sans la moindre concession.

Il y a eu jadis, à Hollywood, une parenthèse magnifique. Des auteurs venus de l’étranger étaient invités à venir s’y exprimer à travers des œuvres solides, personnelles, souvent mémorables.

Si loin des levés de jambes vandammiens, des pétarades enragées ou autres conneries super-héroïques… Ce fut le cas de Karel Reisz, metteur en scène anglais qui « explosa », à l’aube du Free Cinema, en adaptant le Samedi soir, dimanche matin (1960) d’Alan Sillitoe ; l’histoire d’un jeune ouvrier coureur, bagarreur et ivrogne (Albert Finney) qui finira par se ranger des voitures et fonder un foyer.

Le film reste une des grandes fiertés du cinéma britannique. Deux décennies plus tard, le metteur en scène obtiendra son succès planétaire avec La Maîtresse du lieutenant français (1981) et sa Meryl Streep actrice en apothéose.

L’Amérique

Et entre-temps, il y eut l’Amérique. Et James Caan. A l’époque, s’offrir les services de Sonny Corleone revenait à faire tourner Ryan Gosling aujourd’hui. Caan, acteur solide, athlétique, passé du théâtre aux films de John Wayne, puis à Coppola, Peckinpah, Mann, sex-symbol, abonné aux soirées de la Playboy Mansion, cocaïnomane notoire…

Dans sa filmographie des années 70, dorée sur tranche, Le Flambeur (1974) se situe entre les deux premiers volets du Parrain. L’année suivante sera pour l’acteur celle du futuriste et glaçant Rolerball.

Au départ, le scénariste James Toback souhaitait Robert De Niro dans le rôle du brillant prof d’université, issu d’une riche famille juive new-yorkaise, qui sombre dans la dépendance au jeu. De Niro et lui deviennent amis à un point que la star en devenir finit par le singer jusque dans le choix de ses vêtements. Mais Reisz fera fi des pressions de Toback et préférera miser sur Caan. Un choix excellent.

44 000 dollars… le prix de six Cadillac !

Le film s’ouvre sur une suite d’ellipses tout bonnement remarquable. Au volant de sa voiture, Alex Freed (James Caan) se remémore sa partie de cartes de la nuit passée qui a viré à la catastrophe. Il perd, sous les yeux de son bookmaker et ami « Hips » (Paul Sorvino), 44 000 dollars… « Le prix de six Cadillac ! » s’estomaque le « book ». Ainsi, de manière aussi tragique qu’aérienne, débute une œuvre au noir qui a divinement vieilli. Ce n’est que tardivement dans son récit que le réalisateur revient aux codes « réels » du film de gangsters (intervention des hommes de main, passage à tabac, entrée en scène du capo…).

Mais il parvient, entre-temps, à injecter dans la simple recherche de l’argent par son « héros » méprisable un sens du suspense qui donne à des moments simples – ses retrouvailles avec sa mère, la rencontre avec son grand-père, son lien avec sa petite amie (Lauren Hutton, irradiante et malmenée)… – les allures d’une course contre la montre. Et une demande de chèque à la banque, quoique banale (avec un très jeune James Woods dans le rôle de l’employé arrogant), prend, elle, des allures de braquage. Jamais cette intensité ne se relâche.

Une plongée hallucinante autant qu’oppressante

Rarement le spectateur en vient à compatir avec Freed qui se montrera toujours plus veule, incroyable d’égoïsme, dangereux pour lui-même et les autres. Mais par sa maestria, une sorte de magie (noire) opère : jusqu’aux dernières minutes du film (une plongée hallucinante autant qu’oppressante dans un quartier malfamé), le spectateur s’inquiète du sort d’un type sans morale, livré comme nu à ses propres démons, et qui se frotte une ultime fois au risque absolu par pure besoin de catharsis.

A l’heure où le pékin moyen est bombardé de campagnes sur le pari en ligne, le jeu vendu comme forcément facile et fructueux, swag limite, Le Flambeur, drame puissant sur l’addiction, doublé d’un portrait sans louange d’un homme en perdition, se « triple » d’une piqûre de rappel pour qui croit au hasard comme à une poule aux œufs. Une film « vieux » de 45 ans et qui n’a rien perdu de ses vertiges et de sa rage.

Sortie initiale : 5 mars 1975 – Reprise : 12 juin 2019 – Durée : 1h51 – Réal. : Karel Reisz – Avec : James Caan, Lauren Hutton, Paul Sorvino… – Genre : suspense – Nationalité : américaine

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