Ils n’ont pas vu le même film !

Le pour et le contre des journalistes de SEE

Barbie balance les porcs

Par Marc Godin

Laissée pour morte dans le désert, une Barbie en sous-vêtements affriolants fait pisser le sang de ses tortionnaires. Une série Z faussement féministe et vraiment décérébrée.

C’est un film paradoxal.

A la fois très maîtrisé et incroyablement con.

L’histoire est tellement pathétique qu’à côté, un scénario de Luc Besson ressemble à du James Joyce. Dans cet embryon de script, trois riches hommes d’affaires se retrouvent dans le désert pour leur partie de chasse annuelle. L’un d’eux, Richard (le plus riche ?) est venu avec sa maîtresse, Jennifer, une cagole ultra sexy qui se balade en minishort. La lolita se fait violer par un pote de son amant, et Richard décide bientôt de se débarrasser de la malheureuse en la balançant d’une falaise.

Barbie finit empalée sur un tronc d’arbre (métaphore !), parvient à s’extraire du piège mortel et va rendre coups pour coups à Ken et aux deux autres méchants mâles. Et c’est parti pour plus d’une heure de poursuites sous le soleil, de mutilations, de gros plans crades et d’hectolitres de sang.

Pour son premier long-métrage, Coralie Fargeat tourne un « rape and revenge movie », ce genre sensible et romantique qui a donné naissance à des chefs-d’œuvre immortels comme I spit on your grave (Œil pour œil), Crime à froid ou encore La Dernière maison sur la gauche. Du cinéma d’exploitation, comme on dit, franchement gerbant, où les réalisateurs filment dans la première partie un viol sous toutes les coutures, histoire que le spectateur se rince l’œil (pour œil), puis la vengeance sanglante de la jeune femme, ou si elle est trop morte, de son mari top vénère.

C’est franchement indéfendable et la plupart du temps irregardable. Qu’une jeune cinéaste puisse en 2018 se lancer dans un « rape and revenge » pour son premier film me laisse plus que perplexe, car elle patauge dans le cinéma Z, loin de l’aspect arty de Grave de Julia Ducournau. Pourtant, dans ses interviews, Coralie Fargeat n’assume même pas et assure que Revenge n’est PAS un « rape and revenge movie », alors que c’est la même structure narrative (viol, fuite, exécutions des bourreaux…), la même bêtise crasse, la même complaisance envers la torture, la même philosophie dégueulasse.

On est au-delà du foutage de gueule…

Kevin Janssens © M.E.S. PRODUCTIONS – MONKEY PACK FILMS

Une réalisation efficace, carrée, mais…

Dans son film, les hommes sont débiles, ignobles, des animaux gluants. Et la cinéaste s’invente un argumentaire sur fond de #balancetongrosporcvioleur opportuniste style « Mon héroïne refuse de se taire après avoir été violée. C’est une femme d’aujourd’hui qui ne se laisse pas humilier. » Bah voyons ! C’est pour cela qu’elle passe tout le film en sous-vêtements, petite Lara Croft gore, avec gros plans complaisants sur ses seins ou sur son cul ? Même la symbolique récurrente de la pénétration fait doucement rigoler…

Pour le reste, Coralie Fargeat sait filmer, même si son style ressemble furieusement à celui d’un pubard sous influence. C’est efficace, carré et la réalisatrice a vraiment des aptitudes pour emballer une séquence ou construire un cadre.

Les scènes gore sont remarquablement mises en scène et je me souviens avoir baissé les yeux plusieurs fois. Néanmoins, on peut douter de ses capacités à diriger correctement un acteur. Son héroïne, Matilda Lutz, est très agréable à regarder, mais elle n’a que deux expressions et pas grand-chose à jouer. Le reste du casting, les trois nuisibles, est carrément pathétique, mention spéciale à Vincent Colombe, irrésistible sosie d’Hanouna, toujours à côté de la plaque, qui déclenche l’hilarité dès qu’il ouvre la bouche.

Guillaume Bouchède et Vincent Colombe © M.E.S. PRODUCTIONS – MONKEY PACK FILMS

Un excellent timing avec l’affaire Weinstein

En l’état, Revenge n’est que le CV d’une technicienne habile. Mais quel est l’intérêt, l’ambition, d’une telle chose ? Que nous dit ce film ? Que la femme est l’égale de l’homme dans la bestialité ? Qu’il est légitime qu’une femme exécute ses bourreaux testostéronés ? Revenge ne raconte rien, n’est rien.

Un excellent timing avec l’affaire Weinstein et les éléments de langage récités par la réalisatrice ne suffiront pas à faire illusion : Revenge est une énorme déception.

un plaisir coupable

Par Olivier Rouhet

Le titre Revenge est réducteur pour l’amateur de films de genre. Pour ratisser d’avantage, le long métrage aurait dû s’intituler « Rape revenge – Porn Gore – Survival ». Bref, le cahier des charges d’Eli Roth. Mais l’ours juif d’Inglorious Basterds n’a rien à voir avec Revenge, même s’il ne fait aucun doute qu’il doit se mordre les doigts de ne pas avoir réalisé ce film au pitch minimaliste : un riche et bel homme d’affaires (Richard) part en week-end avec sa maîtresse lolita, Jennifer, dans sa luxueuse villa située au milieu de nulle part, à savoir un désert.

Ses deux associés le rejoignent avec un peu d’avance, Stan et Dimitri, pour une bonne partie de chasse, mais Stan souhaiterait également s’envoyer une bonne partie de jambes en l’air avec Jen’, qui de plus, l’allume assez fort. Il la viole (sans aucune violence graphique filmée).

Elle s’échappe de la villa poursuivie par les trois comparses. Arrivée au bord d’une falaise, Richard, très énervé, la pousse dans le vide et Jen’ finit une quinzaine de mètres plus bas, empalée  sur un tronc d’arbre.

Une excellence formelle

MIRACULEUSEMENT (en majuscule, car il y a un « twist », non pas dans le film, mais à la fin de cette critique), elle s’en sort, puis est prise en chasse par les Trois Z’Amis (Survival). Jen’ va reprendre du poil de la bête, va vouloir se venger (Revenge), et un jeu de chat et de la souris de s’enclencher entre les quatre protagonistes, un jeu ponctué par des scènes insoutenables (porn gore), qui font passer les plus brutales séquences de La passion du Christ pour des scènes de conflit des productions AB.

Rewind maintenant : Revenge est un long métrage français, le premier de sa réalisatrice Coralie Fargeat, et son excellence formelle en fait un film qui vole bien au-delà de ce que son pitch devrait le cantonner à un film de série Z.

On est ici dans la série B haut de gamme, à la… Eli Roth. Bien éloigné de l’austérité formelle, glauque et un peu ennuyeuse  du FEMISé Grave, Fargeat se détache en convoquant des références/clins d’oeil flashy anglo-saxonnes : George Miller (Mad Max, notamment dans la colorimétrie impressionnante de Fury Road), Kubrick (Lolita, forcément), Tony Scott (Man on fire, True Romance), Stone (Tueurs nés,), Tarantino (Kill Bill), Kotcheff (Rambo)…

Revenge est un « guilty pleasure », un plaisir coupable, très clipesque, à la MTV des années 80 et extrêmement stylisé, avec une esthétique de la violence suggérée : nous citerons comme exemple ces gouttes de sang frappant au ralenti des fourmis, avec à chaque impact visuel, le même impact niveau sonore, la bande son envoyant à chaque impact, des infrabasses glaçantes. Le mot « impact » a été répété à outrance dans les lignes qui précèdent, il le sera encore dans ce qui va suivre : les impacts de balles.

Une seule nuance de rouge

Alors qu’aujourd’hui même les plus gros blockbusters ont recours aux images de synthèse, gros comme le visage des frères Bogdannoff lors d’un concours de beauté, pour figurer l’impact (on pense notamment au Director’s cut de Batman V Superman, où à échelle moindre, le premier John Wick ou tous les Expendables). Coralie Fargeat revient à la méthode old-school, elle envoie la sauce à la Savini/Romero. Il y a du sang par mètres-cube qui gicle des blessures. Dans Revenge, il n’y a pas cinquante nuances de rouge, mais une seule : celui bien gluant et dérangeant qui faisait vomir dans le premier Evil Dead, ou ce sang de porc contenu dans le seau déversé sur Carrie par Brian de Palma.

Le climax du film est un peu long (avec notamment un plan séquence inutile et très long, qui laisse penser que Coralie Fargeat veut démontrer que bien qu’autodidacte, elle maîtrise toutes les techniques de mise en scène ; le-dit plan-séquence ne suit qu’un protagoniste dans un lieu de taille réduite, ce qui n’est quand même pas une prouesse en soi).

Bref, Revenge une œuvre hautement recommandable, une curiosité dans le cinéma d’entertainment hexagonal, et pour la deuxième fois dans cet article, nous emploierons le terme de « plaisir coupable ». Sinon…

Nous vous avions promis un « twist » à la fin de cette chronique. Mesdames et messieurs, nous avons le plaisir de vous en proposer deux pour le prix d’un !

1/ Cette critique est fort positive mais notre vision du film a été parasité par un élément absolument majeur (et il n’y a pas de spoiler puisque tout est présent dans la bande-annonce) : comment une personne normalement constituée, citons par exemple Arnold Schwarzenegger, pourrait survivre à une chute de quinze mètres se concluant par un empalement abdominal sur un arbre ?

2/ Bien que Revenge parle de viol, l’affaire Weinstein n’a pas été évoquée dans cet article, la genèse du  projet remontant à trois ans.

Date de sortie : 7 février 2018 – Durée : 1h48 – Réal. : Coralie Fargeat – Avec : Matilda Lutz, Kevin Janssens, Vincent Colombe… Genre : suspense – Nationalité : Française

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