Par Marc Godin

Amnésique après une agression sauvage, Steve Carell se réfugie dans un monde imaginaire peuplé de figurines animées. Entre réalité et fantasme, Robert Zemeckis joue à la poupée et signe un de ses films les plus poignants.

Robert Zemeckis, 68 ans, est un des meilleurs artisans d’Hollywood, un grand « storyteller » doublé d’un expérimentateur de génie, fils illégitime de Steven Spielberg et de James Cameron. À son palmarès, de belles réussites comme Forrest Gump, Seul au monde, Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, Retour vers le futur ou encore Flight.

Passionné par la technologie (image de synthèse, relief, performance capture…), Zem n’aime rien tant qu’innover pour trouver de nouvelles façons de raconter des histoires (Beowulf, Le Pole Express). Ce qui ne l’empêche pas ce cinéaste inégal de foirer dans les grandes largeurs certains projets (La mort vous va si bien, Le Drôle de Noël de Scrooge, Contact ou récemment The Walk), avec des films qui ne sont pas toujours à la hauteur de ses ambitions.

Avec l’excellent Bienvenue à Marwen, Zem se régale avec une histoire complexe qui mixe temporalités et images de synthèse, quotidien et fantasme, personnages réels et poupées animées. Et régale son spectateur avec un de ses films les plus émouvants, les plus dépressifs, sous des allures de divertissement cool avec Steve Carrell.

D’ailleurs, le public US a rejeté le film en bloc et Bienvenue à Marwen restera probablement le pire échec de la carrière du grand Zem.

La  Seconde Guerre mondiale en talons aiguilles

L’action de Bienvenue à Marwen semble reprendre là où Zem l’avait laissée dans Alliés avec ses beaux héros US en uniformes et de méchants nazis. Sauf que le capitaine Hogie, dont l’avion est abattu par des Allemands, est un jouet en plastique, une poupée style G.I. Joe, avec peau rutilante, membres un peu trop raides, articulations mécaniques, mouvements saccadés.

Fait prisonnier, il va être exécuté alors qu’il porte de magnifiques hauts talons qui soulignent la coupe parfaite de son treillis camo et il est sauvé in extremis par des Barbies résistantes, toutes plus affriolantes les unes que les autres…

Fun et décalé, ce prologue virevoltant est en fait une mise en scène du héros du film, Mark Hogancamp, un homme brisé incarné par un magistral Steve Carell.

Cloîtré chez lui, psychologiquement diminué, il s’est recréé un univers de fiction où il vit en sécurité avec ses chaussures à talons compensés et ses poupées animées qu’il photographie sous toutes les coutures dans des situations aventureuses.

Une histoire vraie

Le plus étonnant dans ce scénario abracadabrantesque, c’est qu’il est inspiré d’une histoire vraie. Dans la nuit du 8 avril 2000, Mark Hogancamp s’est fait massacrer par cinq hommes à la sortie d’un bar.

Laissé pour mort, on doit lui reconstruire le visage mais il n’a plus aucun souvenir de sa vie d’adulte. Alors qu’un retour à une vie normale est impossible, Mark s’invente un monde imaginaire, élabore sans fin des histoires héroïques durant la Seconde Guerre mondiale et photographie ses poupées 1/6 avec un vieil appareil argentique. De cet art brut, thérapeutique, naitra des expos, un documentaire (Marvencol, sorti au ciné en 2010) et même un livre, obligeant Mark à sortir – un peu – de sa bulle.

Art brut et résilience

Avec cette histoire d’art brut et de résilience, Zemeckis le scénariste signe ici son grand œuvre, un récit brillant et gigogne où il parle de la transfiguration du réel par l’imagination et l’art.

Quelque chose qu’il doit bien connaître car en près de 20 films, Zem a transformé, modelé notre imaginaire et peut-être même la pop culture. En plus de la perfection de la narration, avec de magnifiques allers-retours entre réalité et monde fantasmé, Zem cite ouvertement Forrest Gump, Retour vers le futur, Roger Rabbit

Bienvenue à Marwen serait-il un film autobiographique, celui d’un artiste qui crée de toute pièce un monde pour supporter ou sublimer le réel ? Comme l’hommage d’un créateur à un autre créateur, d’un rêveur à un autre rêveur. A l’instar de Flaubert, Zem pourrait-il déclarer, Hogancamp, c’est moi ?

Ce qui est sûr, c’est que Zem mixe soigneusement fond et forme, conjugue son amour pour le cinéma traditionnel et le cinéma virtuel. Mais son film n’est en rien un gros Barnum 3D, un truc artificiel, vide.

La technologie est au service de l’histoire et avec (malgré) ses millions et les effets spéciaux stupéfiants, le Zem te cueille et fait pleurer avec une réplique toute simple (« I’ll be OK ») ou un regard de Steve Carell. Simplement sublime.

L’intelligence du spectateur

En l’état, Bienvenue à Marwen est un film intimiste, désespéré, fragile, qui fait confiance à l’intelligence du spectateur et qui te dit que dans ce monde infecté par la violence, la femme – en talons aiguilles – est l’avenir de l’homme.

C’est une œuvre qui questionne le réel, l’art, avec une dimension sexuelle (poupées sexy et fétichisme du pied) assez réjouissante en ces temps de puritanisme exacerbé. Qu’un tel film ait pu se monter à Hollywood relève du miracle. Hautement recommandé.

Sortie : 2 janvier 2019 – Durée : 1h56 – Réal. : Robert Zemeckis – Avec : Steve Carell, Leslie Mann, Elsa Gonzales… – Genre : drame – Nationalité : américaine

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