ils n’ont pas vu le même film

Le pour et le contre des journalistes de SEE

Pour UN FILM ENGAGE

Par Tramber

Alors que les salariés de Perrin Industrie ont signé un accord d’augmentation du temps de travail sans augmentation de salaires, engageant la société à préserver leurs emplois, ils apprennent que cette dernière, compte fermer ses portes malgré des bénéfices records. Les 1100 salariés, emmenés par Laurent Amédéo, incarné par Vincent Lindon, vont se battre pour sauver leur boulot. Un film social, politique, coup de poing, d’une rare puissance.

Ce film n’est presque pas un film, il frôle le documentaire avec, à l’exception de Vincent Lindon, ses acteurs qui n’en sont pas. Stéphane Brizé a ici, renouvelé l’expérience de son long métrage précédent, La Loi du Marché : faire tourner des acteurs non professionnels afin qu’ils apportent « la vérité de leur vécu », comme le précise le réalisateur. Résultat, une œuvre d’une immersion totale et d’une vérité trop absente d’un cinéma français souvent plus démonstratif que… vrai.

Un réalisateur humaniste

Stéphane Brizé est un humaniste mais sans démagogie. L’humanité présente dans Mademoiselle Chambon en 2009, dans Quelques heures de printemps en 2012, et évidemment dans La Loi du Marché en 2015, qui a rapporté à Vincent Lindon, le Prix d’interprétation au festival de Cannes en 2015 et un César du meilleur acteur. Vincent Lindon qui signe là sa quatrième collaboration avec le réalisateur.

Forcément, on retrouve cette humanité dans En Guerre, une humanité complexe, qui évite intelligemment l’écueil du patron méchant et de l’employé gentil. Chacun y va de ses doutes, de ses convictions, de ses alliances et de ses désalliances, et surtout de ses objectifs, de son objectif.

Mais l’engagement social résonne tout de même avec des phrases chocs prononcées par Laurent Amadéo/Vincent Lindon : « 1100 salariés sans emplois, c’est 1100 familles et 4000 personnes en difficulté », ou encore lors d’une querelle avec quelques syndicalistes prêts à trouver un compromis : « Ce que tu n’arrives pas à comprendre, c’est que toi, toi, toi, moi et nous tous, c’est que quand la société fermera, pour nous tous, ce sera TERMINE ! »

Obstination

Pour ce rôle de l’obstiné Laurent Amédéo, jusqu’au-boutiste comme on n’en fait plus, Vincent Lindon mérite tous les prix de la terre. Mais le film ne se limite pas à sa performance d’acteur tant son propos devrait sensibiliser la France entière. Chaque citoyen devrait payer son ticket pour s’assoir dans une salle obscure et s’immerger dans cette histoire qui fait passer chaque reportage de BFM TV pour une œuvre de fiction.

En Guerre est un film comme on n’en fait plus dans l’hexagone. Il échappe à tous les codes d’un cinéma français qui trop souvent dérape soit vers une comédie dont le scénario semble écrit pour ne pas faire rire, ou encore vers une fausse authenticité qui frôle le ridicule.

Intelligent, dur, parfois insoutenable, souvent extrême, parfois léger, mais toujours intelligent. Stéphane Brizé ne juge pas ses personnages, il les filme, il les observe, il rend compte « presque » sans parti pris – les actionnaires en prenant tout de même pour leur grade.

Pour Laurent Amédéo, c’est l’histoire d’une lutte de groupe mais aussi d’une obsession, d’une quête individuelle jusqu’à s’oublier, jusqu’à oublier tout ce qui l’entoure.

En Guerre, qui est en compétition au festival de Cannes 2018, n’est ni une œuvre « contre » ni « pour », c’est une chronique, une tranche de vie, une histoire, un événement, mais le propos sonne tellement « vrai » que son histoire n’est sûrement pas une fiction.

Voir ce film est presque obligatoire et forcément utile.

Contre UN FILM ENGAGE, MAIS…

Par Marc Godin

Trois ans après La Loi du marché, Stéphane Brizé revient à Cannes pour un nouveau film social où Vincent Lindon incarne avec brio un dirigeant syndicaliste confronté à l’horreur économique. Une œuvre engagée, mais desservie par sa mise en scène.

« Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. »

Trois ans après La Loi du marché, le nouveau film de Stéphane Brizé s’ouvre une citation de Bertolt Brecht. Et le film est à nouveau sélectionné à Cannes, car sur la Croisette, on aime bien les prolos. Je vous rassure, pas sur les marches, ni dans les hôtels de luxe ou dans les salles de projection, plutôt sagement sur les écrans. Ainsi, au fil des années, Cannes a donc honoré les films de Ken Loach ou ceux des frères Dardenne, pamphlets humanistes sur la violence du monde et l’horreur économique.

Dans La Loi du marché, Brizé décrivait la longue chute de Thierry, incarné par Vincent Lindon, la cinquantaine bourrue et moustachue, chômeur longue durée, qui, d’échecs en humiliations, finissait par accepter un poste de vigile dans un supermarché après vingt mois de chômage. « Comment je vais faire pour vivre avec 500 euros ? » Avec En guerre, Brizé creuse le même sillon social. Laurent, toujours campé par Vincent Lindon, a fait toute sa carrière chez Perrin Industrie. Soldat du syndicalisme, il monte en première ligne quand sa boîte ferme, malgré les bénéfices record de la maison-mère en Allemagne et les dividendes gracieusement distribués aux actionnaires. Face à face, les 1100 salariés qui avaient déjà consenti à de gros sacrifices contre la promesse de garder leur emploi cinq ans, et les cadres de l’entreprise, qui ne parlent que de compétitivité et de loi du marché.

La guerre est déclarée…

Une mise en scène lourdaude

Le cœur nucléaire du film, c’est Vincent Lindon. Il gueule, vocifère, rue dans les brancards, balance. Il est incroyablement intense, et toujours juste face aux acteurs non-professionnels, au talent éclatant. Il évoque à la fois Jean Gabin et Xavier Mathieu, l’ancien leader de la lutte des Continental, conseiller technique sur le film et coscénariste. Pourtant, malgré cette performance exceptionnelle, En guerre rate son but et ce à cause d’une mise en scène lourdaude, ostentatoire, un dispositif qui tourne à vide.

Dans La Loi du marché, Brizé empruntait la forme du cinéma des Dardenne : une succession de longs plans-séquences, autonomes et brutes, qui se terminaient violemment, sans musique, ni voix off, éclairés par une lumière crue (le chef op’ vient du documentaire) et avec un parti pris esthétique radical : filmer Vincent Lindon quasiment tout le temps de profil.

Ici, la première séquence est frappée du sceau… BFM TV. La caméra est prise de tremblote, il y a du flou, des décadrages sauvages, bref, on est dans le réel, coco ! Tout le reste du film va être filmé « docu » : entre des reportages de France 2, France 3 ou BFM, la caméra d’Eric Dumont est toujours en mouvement. Il tremble, décadre, tente de choper le visage de Lindon dans la foule de manifestants, filme une tête floue en amorce, décadre encore et toujours…

Le dispositif bouffe le propos

Très vite, on ne voit plus que la tremblote du caméraman épileptique, la mise en scène chichiteuse, l’artifice. C’est le bateau ivre, et ce pendant près de deux heures ! Brizé veut bien nous faire comprendre qu’il filme télé, documentaire, qu’il filme la réalité en plein cadre, et pourtant, tout cela fait terriblement artificiel, le dispositif bouffe le propos.

Mais surtout, à cause des tics et des tocs, Stéphane Brizé évacue toute émotion. Le spectateur assiste à la mise à mort sociale (et pas seulement) de plusieurs hommes et femmes, mais on reste extérieur. A la fin, Brizé conclut avec une séquence peu convaincante mais hyper-spectaculaire, filmée avec un format iPhone. Comme lors du final de La Loi du marché, où il tentait une série de séquences avec des caméras de surveillance.

On devrait être en empathie avec Lindon et les salariés, Brizé ne réussit qu’à mettre de distance entre son sujet et le spectateur. Dommage…

Sortie : 16 mai 2018 – Durée : 1 h 53 – Réal. : Stéphane Brizé – Avec : avec Vincent Lindon, Mélanie Rover, Jacques Borderie… – Genre : drame – Nationalité : française

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